Lien vers la vidéo de la conférence : https://youtu.be/0lNdYWn9I4g
Hervé PLATEL est enseignant chercheur à l’université de Caen et dirige l’unité de recherche INSERM « Neuropsychologie et neuro-imagerie de la mémoire humaine ». Il étudie les effets de la musique sur le cerveau, notamment dans le cadre des maladies neurodégénératives comme Alzheimer. Son objectif est double : comprendre le fonctionnement du cerveau, particulièrement en ce qui concerne la mémoire, et développer des applications cliniques utilisant la musique pour stimuler la mémoire chez les patients atteints de troubles cognitifs.
Utilité de la musique
La musique n’est pas indispensable à la survie de l’espèce. Steven Pinker en 1998 a décrit la musique comme la « cerise sur le gâteau de l’évolution » ! Cependant, la musique est présente dans toutes les cultures humaines sous différentes formes (chants, pratiques instrumentales) et semble avoir une fonction sociale, notamment dans la cohésion des groupes humains et dans les rites de passage (naissances, deuils, etc.). Certaines recherches suggèrent que la musique pourrait aussi jouer un rôle dans l’attractivité sexuelle, un peu comme chez les oiseaux chanteurs.
Certaines pratiques musicales présentent beaucoup de similitudes entre les différentes cultures : c’est le cas des berceuses que les mamans chantent à leurs bébés pour les rassurer. Ce comportement de maternage est présent aussi chez les grands singes qui font des vocalisations pour calmer leurs bébés.
Certains individus, environ 3 à 4 % de la population, souffrent d’« amusie », un trouble du décodage musical qui les empêche de reconnaître les nuances musicales, comme la hauteur ou le rythme. Ce trouble n’est pas dû à une maladie, mais à un problème de neuro-développement : défaut de connexions neuronales normalement créées pendant l’enfance.
Les émotions dans l’écoute musicale
La musique produit des émotions chez tous les êtres humains sauf chez les amusiques. Cette sensibilité est en partie innée, mais nécessite généralement un apprentissage.
Les émotions fondamentales associées à la musique, telles que la joie, la tristesse et la peur, sont universellement reconnues, même dans des cultures très différentes.
Écouter une musique qu’on aime nous ramène à un souvenir agréable. L’attente d’un passage particulier (arrivée des violons, solo de guitare…) déclenche le « circuit de la récompense » dans le cerveau avec libération de dopamine et provoque alors un « frisson musical ».
Certaines personnes ne prennent pas de plaisir à l’écoute de la musique : elles sont « anhédoniques ». Cela est dû à un défaut de connectivité entre les aires auditives et la mémoire. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à la musique : certains individus réagissent émotionnellement, d’autres non alors qu’ils catégorisent correctement les informations musicales.
Neuroplasticité du cerveau et pratique musicale
Le cerveau est un organe qui reste plastique et se modifie tout au long de la vie. La pratique musicale est un modèle privilégié, autre que les mots et les images, pour l’étude de la plasticité du cerveau. La pratique musicale peut entraîner une neuroplasticité fonctionnelle (mobilisation d’autres régions
du cerveau) ou structurale (augmentation de l’épaisseur corticale, du nombre de neurones dans certaines régions, de la densité de fibres de connexion).
L’analyse de l’activté cérébrale de personnes qui regardent un film muet montrant les mains d’une pianiste en train de jouer un morceau, montre que chez les musiciens experts, les régions auditives sont activées (ils « entendent » la musique), alors que chez les musiciens amateurs, seules les régions motrices sont activées (ils imaginent bouger les doigts), et chez les non-musiciens on n’observe rien de précis.
L’analyse comparée de l’activité cérébrale de musiciens pendant qu’ils jouent un morceau montre que les régions activées sont les mêmes mais sont plus diffuses chez les amateurs que chez les professionnels. Les experts recrutent plus efficacement les régions cérébrales nécessaires à la coordination des mouvements, en utilisant moins de ressources que les amateurs.
L’activité cérébrale d’une pianiste suivie en temps réel, est la même lorsqu’elle joue son morceau et lorsqu’elle imagine jouer ce morceau. Le cerveau est donc un organe qui nous permet de décoder le monde qui nous entoure mais aussi de le simuler. Quand on simule, les zones du cerveau qui sont activées sont les mêmes que lors d’une activité réelle.
Musique et mémoire
Les musiciens ont une densité neuronale plus importante dans les régions du cerveau liées à la mémoire, comme l’hippocampe, et ceci, proportionnellement au nombre d’années de pratique. Généralement, les musiciens vieillissent mieux mais cela dépend aussi de leur hygiène de vie. Même démarrée sur le tard, la musique peut aider à mieux vieillir.
Chez une paire de jumeaux homozygotes qui n’ont pas eu la même activité dans leur vie, celui qui a fait de la musique a des régions du cerveau plus denses que son jumeau non musicien, alors qu’ils ont les mêmes gènes. L’environnement, l’apprentissage et l’entraînement modifient l’architecture de notre cerveau.
Les musiciens âgés ont de meilleures performances en mémoire et en exécution que les plus jeunes.
Les personnes qui démarrent une maladie neurodégénérative comme Alzheimer, restent sensibles à la musique (sauf les amusiques). La mémoire musicale est bien conservée. La musique est utilisée à des fins thérapeutiques : elle diminue l’anxiété et la dépression, éveille les patients devenus apathiques, stimule l’attention, la concentration, lutte contre l’isolement social. Les interventions peuvent être personnalisées et adaptées à chaque patient en fonction du stade d’avancement de la maladie. La musique est intéressante pour les malades mais aussi pour les aidants professionnels ou familiaux.
Lien vers la vidéo de la conférence : https://youtu.be/0lNdYWn9I4g
Références

- Emmanuel Bigand et Gérard Mick, Musique, science et santé, Dunod, 2024
- Hervé Platel et Catherine Thomas-Antérion, Neuropsychologie et art – Théorie et applications cliniques,
De Boeck, 2014
https://www.researchgate.net/publication/353998152_Neuropsychologie_et_Art