Les grandes figures de la Bible

 

Jean le baptiste, l’ami de l’époux

Jean le baptiste est l’un des personnages les plus populaires de la Bible. Dès l’école biblique, les enfants connaissent cet ermite ombrageux, vêtu de peau de bête, qui se  » nourrit de sauterelles et de miel sauvage  » et baptise Jésus en se sachant  » indigne de dénouer la lanière de ses sandales « .

Les sculptures et peintures attestent de l’empreinte qu’il a laissée dans notre mémoire religieuse. Les traditions populaires lui ont également réservé une place à part, avec la  » fête de la Saint-Jean « , située au solstice d’été, alors que le soleil commence à céder du terrain devant la nuit. Car, comme le jour en ce premier jour d’été, Jean-Baptiste doit décliner, pour que le Christ grandisse (cf. Jean 3, 30).

Jean-Baptiste est donc célébré et reconnu. Mais son rôle est étroitement balisé par l’Ecriture. Il appelle à la conversion, il est une voix qui  » crie dans le désert pour préparer les chemins du Seigneur « . Ni plus ni moins. Alors que des groupes de  » Baptistes  » le célèbrent comme Messie, les rédacteurs des Evangiles le restituent à ses fonctions de précurseur et de témoin. Deux mille ans plus tard, le débat n’est toujours pas clos. Pour le judaïsme, Jean-Baptiste est un faux prophète ; pour l’islam, il est l’égal de Jésus ; pour le christianisme, il est à la charnière des deux alliances,  » le plus grand des prophètes  » et  » le plus petit dans le Royaume « .

Alors, à la lumière de la Bible, que pouvons-nous savoir de la vie, la personnalité et la prédication de Jean-Baptiste ?

De la vie de Jean-Baptiste, quelques péripéties nous sont familières, à commencer par … sa mort. De nombreux tableaux représentent la danse de Salomé et la décapitation du Baptiste. Matthieu nous en raconte les circonstances (Mt 14,1-12) : Jean ayant reproché à Hérode des mœurs coupables (le roi a  » séduit  » Hérodiade, la femme de son frère), le roi l’a arrêté et emprisonné. Salomé, fille d’Hérodiade,  » ayant plu à Hérode « , elle exige de lui la mise à mort du prophète. Contre son gré, Hérode tue Jean et apporte à Salomé sa tête sur un plateau.

Par Luc, nous connaissons également son ascendance et les circonstances de sa naissance (Luc 1,5-25 ; 39-80). Jean est contemporain et cousin de Jésus. Zacharie, son père, est prêtre. Sa mère Elisabeth est de la descendance d’Aaron. Tous deux sont qualifiés de  » justes  » (ils obéissant à la volonté de Dieu). Comme Sarah et tant d’autres femmes de la Bible, Elisabeth est réputée stérile et reçoit, par l’intermédiaire de Gabriel, la bonne nouvelle d’une maternité imminente. La vocation de Jean-Baptiste est posée dès son origine et révélée par Zacharie : l’enfant à venir  » sera appelé prophète du Très-Haut  » car  » il marchera par-devant, sous le regard du Seigneur, pour préparer ses routes « .

Si les trois premiers évangiles exposent la prédication du Baptiste, Luc la précise (Luc 3,1-18). Vivant dans le désert, prêchant la repentance et la conversion, Jean-Baptiste affiche sa rupture avec la classe sacerdotale d’Israël. Il rejette tout compromis et exhorte le croyant à vivre selon sa foi, sous peine d’être exposé à la  » colère qui vient « . Il baptise ceux qui désirent cette vie nouvelle ; mais que les baptisés ne se croient pas ainsi en règle avec Dieu ! Dans la lignée des plus grands prophètes qu’Israël ait connus, Jean-Baptiste dit avec force que le Seigneur attend un changement réel et radical de mode de vie.  » Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion ! « .

Jean-Baptiste regroupe autour de lui un petit groupe de disciples. Il leur apprend à prier et à pratiquer le jeune (Luc 11,1-2). Ces  » Baptistes  » entrent en contact avec le Christ et les apôtres. De la part de Jean, ils demanderont à Jésus s’il est bien le Messie et le questionnent sur les rites et le jeûne. Pourquoi ne les respectent-ils pas davantage ? Le Baptiste désigne Jésus comme Messie. Malgré tout, certains de ses disciples ne suivent pas Jésus et restent fidèles à leur  » maître spirituel « .

Aujourd’hui encore, des traditions religieuses confessent Jean-Baptiste comme leur guide (p.e les Sabéens qui regroupent quelques centaines de milliers de fidèles en Irak notamment ou les Mandéens, présents dans les mêmes régions). De même, le Coran laissera une place éminente à Jean le Baptiste, appelé  » Yahya  » ( » il vit « ). Selon les textes coraniques, Jean ressuscite des morts. Elevé au ciel, il est le  » Sacrificateur par excellence de la Mort au Jour des Comptes « . Il participera au jugement denier, sous la forme d’un bélier. Jean-Baptiste acquiert une part de la gloire et de la souveraineté qui, pour les chrétiens, n’appartient qu’à Jésus.

Comment Jean se définit-il par rapport à Jésus ? Il rencontre Jésus alors que celui-ci vient se faire baptiser par lui. Les quatre Evangiles font référence à ce baptême. Dans le quatrième Evangile, Jean  » voit  » l’Esprit descendre sur Jésus et demeurer en lui (Jn 1,33-34). Il témoignera de ce qu’il a vu. D’emblée, le Baptiste reconnaît la prééminence de Jésus. Il n’aura de cesse de le rappeler et de le préciser.

Selon l’Evangile de Jean, des prêtres, des lévites et des pharisiens vont lui en donner l’occasion (Jn 1,19-34). En baptisant, Jean introduit un nouveau rite de purification. Ces envoyés mettent en doute la légitimité de son action. Qui est-il pour agir ainsi ? Quelle est son autorité ? Est-il le Messie ? Elie ? Le Prophète ?

Chacune de ces questions renvoie à une attente religieuse.

  • Le Messie est Celui qui doit venir instaurer le Royaume de Dieu.
  • Le livre de Malachie affirme qu’Elie, enlevé au ciel, reviendra sur terre, avant le grand jour, pour préparer les peuples à la venue du Messie et du jugement dernier (Ma 3,23). Mathieu, Marc et Luc ont retenu que Jésus lui-même avait identifié Jean-Baptiste à cet Elie qui doit revenir (Mt 11,14 ; 17,10).
  • La suggestion du Prophète repose sur la déclaration de Moïse en Deutéronome 18,15. Moïse annonce qu’un jour Dieu suscitera au milieu du peuple  » un prophète comme lui « . C’était une des figures de l’espérance juive que ce Prophète des derniers temps, semblable à Moïse, chef et rassembleur du peuple, le conduisant à une libération définitive.

A ces trois questions, Jean répond par la négative :  » Je ne le suis pas « . Il refuse d’être classé dans une catégorie d’ordre messianique. Cette première déclaration est comme l’annonce en creux des solennelles auto-affirmations de Jésus qui jalonnent le quatrième Evangile :  » Je suis  » ( » le pain de vie « ,  » le chemin, la résurrection, la vie  » etc.).

Enfin, Jean donne de lui une affirmation positive. Il n’est pas la Parole ; il est une voix qui annonce le Christ et appelle à  » aplanir les chemins du Seigneur « . Pour ceux qui l’interrogent, il n’a donc pas la légitimité nécessaire pour instaurer un nouveau rite pénitentiel. Mais peu importe. Car l’essentiel n’est pas le baptême d’eau mais le baptême d’Esprit inauguré par Jésus. De même que Jean plonge les baptisés dans l’eau du Jourdain, Jésus communiquera l’Esprit et permettra aux croyants d’être immergés dans une vie nouvelle. L’essentiel n’est pas ce qu’il est mais ce qu’il annonce ou plutôt Celui qu’il annonce. Il n’est qu’un témoin qui doit s’effacer devant Celui qu’il désigne : le Messie,  » l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde  » (Jn 1,29).

Il est  » l’ami de l’époux  » qui se réjouit de l’entendre (Jn 3,29).

Ainsi, la vocation de Jean est d’éclairer le Messie et non pas de lui faire de l’ombre. Il doit diminuer pour que Jésus grandisse (Jn 1,30).

N’est-ce pas là aussi la vocation de l’Eglise ? Comme le Baptiste, n’avons-nous pas à dire au monde l’exigence de Dieu ? A témoigner du Christ sauveur sans jamais nous substituer à Lui ? A nous tenir au coté de l’Epoux ?

Que se soit là notre joie et qu’elle soit parfaite ! (Jn 1,29).

Vincent NÊME-PEYRON


Esther, le livre du dieu absent

Le livre d’Esther, un des rares livres de la Bible portant le nom d’une femme, a une particularité : on n’y parle ni d’Israël, ni de Dieu, ni de religion. Les juifs sont là comme groupe ethnique et non comme peuple de Dieu. En raison justement de l’absence de Dieu, il fut considéré avec méfiance par l’Eglise, et Luther estima que, quoique faisant partie du canon  » il mérite plus qu’un autre d’en être retranché « . Docteurs et rabbins ne l’ont d’ailleurs admis que tardivement dans le canon. Pourtant, le livre d’Esther a donné naissance à la fête la plus populaire du judaïsme, Pourim, fête au cours de laquelle le livre, chaque année, est lu publiquement en entier.

L’histoire d’Esther se situe en Perse sous le règne de Xerxès 1er (vers 480 avant notre ère). Jean-Paul Morlay, qui participa à la révision du livre d’Esther dans la nouvelle Bible Second, nous dit :

Un certain nombre de détails historiques rendent l’histoire vraisemblable, un certain nombre d’autres la rendent impossible. Il s’agit donc d’un roman historique à portée sociale et spirituelle, davantage que du récit d’un évènement historique.

A travers ce  » roman historique « , tentons de faire un portrait de son héroïne. Esther est une jeune orpheline juive exilée à Suse, qui vit chez son oncle et tuteur Mardochée. Sage et belle comme il se doit, elle devient reine de Perse et sauve par son courage et sa grâce son peuple de l’extermination. Belle histoire qui pourrait prendre place parmi les contes de fée de notre enfance, sinon que la méchante fée est ici le méchant conseiller du roi, le pervers Haman. Tout commence d’ailleurs comme un conte de fée : le roi Xerxès a répudié la reine Vasthi, qui lui a publiquement désobéi, et ses conseillers envoient par tout le pays des émissaires pour lui chercher une nouvelle épouse. C’est ainsi qu’Esther entre en scène. A cause de sa grande beauté, elle fait partie des jeunes filles rassemblées à Suse et emmenées au palais royal où elle est préparée pour se rendre chez le roi : pendant six mois on l’apprête avec de l’huile de myrrhe et pendant six mois avec des aromates. Nous sommes en orient.

Esther séduit Xerxès par son charme et devient reine. Sur l’ordre de l’oncle Mardochée, elle lui a caché qu’elle était juive. Dans la première partie du livre, elle apparaît comme un simple instrument de Mardochée. Il tire les ficelles. Il la manipule. Elle fait tout ce qu’il lui demande. Chaque jour, il vient aux nouvelles, ou lui apporte des nouvelles de l’extérieur. Ainsi il lui apprend que deux eunuques complotent contre Xerxès et lui demande d’avertir son royal époux. Bien qu’ayant déjoué le complot, Mardochée n’obtient pas de récompense, mais le fait est consigné dans le grand livre des affaires du royaume.

C’est alors que le roi, qui semble bien incapable d’avoir une idée personnelle, s’engoue du méchant Haman et l’élève en dignité si bien que ce dernier devient le deuxième personnage du royaume et que tous doivent se prosterner devant lui. Mais Mardochée le juif refuse. Alors Haman, fou de rage, décide d’exterminer tous les juifs du royaume. Etant donné qu’il lui faut obtenir l’accord du roi, il les présente comme un peuple dangereux qui s’infiltre partout et refuse d’obéir aux lois du pays, et le roi accède à la demande de son vizir. Pour être bien sûr de réussir son coup, Haman tire les sorts (pour) – d’où le nom de la fête juive Pourim – pour connaître le jour favorable au massacre qui doit être général. Mardochée l’apprend ; il se revêt de cendre et d’un saq, selon la coutume juive, et à la porte du palais commence ses lamentations, mais ce qui est étrange dans ce livre, c’est qu’à aucun moment il n’invoque le Seigneur en prière. Il fait prévenir Esther et lui demande d’intervenir. Pour la première fois, Esther refuse d’obéir. Elle n’a pas vu le roi depuis trente jours et sait que quiconque, homme ou femme, se rend auprès du roi sans y avoir été prié, est mis à mort. Trente jours sans voir le roi, voilà qui sonne en effet comme une disgrâce. Mardochée insiste et lui fait répondre :

Ne t’imagines pas qu’étant dans le palais, à la différence de tous les juifs tu en réchapperas. Car si en cette occasion tu persistes à te taire, soulagement et délivrance surgiront pour les Juifs d’un autre endroit, tandis que toi et ta famille vous serez anéantis. Or qui sait ? Si c’était pour une occasion comme celle-ci que tu es arrivée à la royauté ? (4, 13-14)

Alors la belle Esther sort de l’ombre et prend l’initiative. Pas plus que Mardochée, elle ne s’adresse à Dieu. Contrairement aux Hébreux en Egypte, la voix des Juifs dans l’empire Perse ne s’élève pas vers Dieu pour implorer son aide, et l’omission est d’autant plus surprenante que le décret d’extermination est similaire au décret antérieur du Pharaon de tuer tous les enfants mâles des Hébreux en esclavage. C’est donc dans les mains d’Esther et non de Dieu qu’est le destin du peuple juif. Elle ne reçoit désormais plus d’ordre de Mardochée. C’est elle qui donne des ordres. D’abord, elle lui fait dire de réunir tous les Juifs de Suse, et de jeûner avec eux pour elle pendant trois jours, sans manger ni boire, tandis qu’elle même jeûnera pendant trois jours avec ses servantes. Puis, bravant l’interdit, elle se rend chez le roi, parée de ses vêtements royaux. Ebloui par sa beauté, Xerxès lui tend son sceptre d’or et lui dit :

Qu’est-ce que tu as, Esther, ô reine ? Quelle est ta requête ? Jusqu’à la moitié de mon royaume cela te sera accordé ! (5,3)

Esther ne dévoile pas tout de suite son plan. Elle fait donc languir le roi, se contentant de réclamer sa présence, ainsi que celle du méchant Haman, à un banquet qu’elle organisera pour eux. Puis, elle lui révèle que Haman prépare l’exécution publique de Mardochée, ainsi que le massacre de tous les juifs qui forment, lui dit-elle, le peuple de ses ancêtres. Faisant volte-face, le roi donne la fortune de Haman à Mardochée, fait pendre Haman au gibet que celui-ci avait fait dresser pour Mardochée, et décrète officiellement un jour d’immunité au cours duquel les Juifs pourront se venger de tous leurs ennemis :

Le roi octroie aux Juifs qui sont dans chaque ville de s’unir, de se tenir sur le qui-vive, d’exterminer, de tuer et d’anéantir toute bande armée, d’un peuple ou d’une province, qui les opprimerait, enfants et femmes, et de piller leurs biens, en un seul jour, dans toutes les provinces du roi Xerxès, le 23 du douzième mois, c’est-à-dire  » Adar « . (8,11-12)

Esther réclame un second jour, et le roi accède à sa requête. Les Juifs massacrent soixante-quinze mille  » de ceux qui les détestaient « . (9,16)

C’est pourquoi les Juifs ruraux, habitant les bourgades rurales, font du 14 du mois d’ ‘’Adar’’ un jour de joie, de banquet, de fête, en s’envoyant mutuellement des portions. (9,19)

Ainsi fut instituée la fête de Pourim, pour célébrer, dit le texte,  » le renversement de situation, le passage du tourment à la joie  » (9,22). Esther avait réussi à enrayer le massacre annoncé de son peuple ; mais la requête d’Esther se termina néanmoins par un bain de sang. En réponse à un massacre écarté, à un génocide conjuré, les Juifs ont répondu par une tuerie joyeuse et aveugle. Massacre fantasmé ou histoire vécue ? Difficile à dire. Ce qui est certain, c’est que ce contre-massacre est compris comme une délivrance. La fête de Pourim marque la survie du peuple juif.

D’Esther, que pouvons-nous dire si ce n’est qu’après avoir été présentée comme un symbole de douceur, de grâce et d’humilité, elle s’est transformée au fil de l’histoire, sortant de sa fonction première, en femme audacieuse, et en tigresse avide de sang. Elle est aussi celle qui a transgressé les lois juives, en épousant un étranger ; puis les lois perses, en violant les règles d’accès au roi. Elle est enfin celle qui a menti en dissimulant au roi son identité. Personnage complexe s’il en est, digne d’une tragédie grecque, et on comprend que Racine l’ait prise pour héroïne d’une de ses tragédies. Ce qui est intéressant, c’est que, dans la tragédie de Racine, Dieu lui-même guide l’action. Comme d’ailleurs dans la version grecque du livre d’Esther. Or ici, Dieu est bel et bien absent. On dirait même que les Juifs l’ont écarté pour un temps.

Liliane CRÉTÉ


Jonas et le pardon

Le livre de Jonas, sur le mode de la parabole, raconte une histoire, et, comme toute histoire, il comporte un sujet, des personnages, une idée force. Le sujet est le repentir et le pardon ; les personnages principaux sont Dieu et Jonas et les personnages secondaires, les marins du bateau sur lequel Jonas, désobéissant à Dieu, s’est embarqué et, bien sûr, les Ninivites. L’idée-force du livre, c’est de montrer que Dieu peut, dans sa grande miséricorde, se repentir de vouloir punir, repentir étant pris ici dans le sens hébreu de retour ou de conversion. Les Ninivites se sont convertis, et Dieu est revenu sur sa décision de détruire Ninive.

Cette histoire nous interpelle aujourd’hui à plus d’un titre et tout d’abord parce qu’en face d’actes odieux comme les attentats multiples perpétrés au nom de Dieu par des islamistes fanatiques, nous éprouvons la « sainte colère de Jonas ». Comment pardonner ? Comment ôter de sa mémoire les tours en flammes, puis en poussière, du World Trade Center ? Comment oublier les innocents déchiquetés par les bombes sur les marchés et dans les bus et partout où les gens se rassemblent? Chaque victime tuée est un coup de poignard porté à chacun d’entre nous. Les crimes commis par ces fanatiques, comme ceux des Ninivites, sont impardonnables.

Et pourtant, le pardon reste la seule voie possible lorsque le mal est irréparable, parce qu’il est contraire à la vengeance et arrête le cycle infernal des persécutions/représailles. D’où les amnisties qui, au cours des siècles, ont permis à des communautés déchirées de « vivre ensemble ». – à commencer, en France, par les communautés catholiques et protestantes. Mais que faire quand bourreaux et victimes ont disparu, qu’il ne reste plus que le souvenir douloureux des persécutions passées et qu’il nous faut quand même faire mémoire ?

Aux « oublieux », il est toujours facile de pardonner. Seulement leur pardon est sans valeur. Le pardon véritable implique la mémoire qui se dresse contre l’indifférence. Et une question se pose : est-il toujours possible et même juste de pardonner ? Car avant de pardonner, il faut savoir que le pardon inconditionnel est contraire à la justice, qu’il est même immoral puisqu’il est non réciproque ; on ne peut pardonner qu’à celui qui reconnaît son tort et s’engage à ne jamais recommencer, et pour que le pardon ait une valeur, il faut que celui qui pardonne soit celui qui a subi le tort.

Le jour du Kippour, en fin de journée, après qu’il ait demandé pardon à Dieu pendant trois longues prières, le croyant juif lit dans la synagogue le livre de Jonas pour apprendre à pardonner l’impardonnable – un récit qui interpelle l’Israël contemporain car Ninive la malfaisante, c’est Rome détruisant le second Temple, ce sont les villes espagnoles de l’Inquisition, c’est Berlin sous le 3e Reich. Dans le Premier Testament, on ne trouve pas de grandes tirades sur la nécessité de pardonner, à l’exception de Proverbes 19, 11 où il est question du bon sens dont l’homme fait preuve à « passer par dessus une offense ». Mais peut-on parler d’offense lorsqu’il y a massacre, génocide ? Le mot est bien faible. On ne trouve guère non plus dans le Premier Testament de scènes édifiantes où le modèle du pardon divin devancerait la repentance, nous incitant à imiter la générosité divine.

Jonas est comme nous, il ne peut pardonner et même se refuse à accepter la miséricorde de Dieu à l’égard de la grande ville païenne : Ninive, capitale assyrienne connue dans la Bible comme la cité du mal et de la violence, responsable de la mort des cinq sixième du peuple hébreu. Les Ninivites rassemblent sur leur nom les pires qualificatifs. Ainsi, dans le livre du prophète Nahum, en Nah. 1,11, par exemple, il est dit : « De toi est sorti celui qui trame le mal contre le Seigneur », et en 2,11-12, qu’elle est « Féroce comme un lion ». En 3,1-7, prédisant sa chute, qu’elle est une ville sanguinaire, une « prostituée pleine de fraudes et d’escroqueries ». J’arrête là la description. Sachez seulement que les Ninivites crevaient les yeux des prisonniers, puis les écorchaient, et les plantaient sur un pieux. Dieu seul peut pardonner l’impardonnable – pour peu que celui qui a commis le crime « renonce à ses voies mauvaises ». Comment Jonas mu par un sens de responsabilité et de justice très humain, ne se serait pas révolté ? La colère du petit prophète est la nôtre face à l’amour de Dieu pour le criminel même repenti. Jonas est si furieux qu’il en appelle à la mort dans sa souffrance. A Ninive, le repentir vint avant le pardon, et Dieu, qui contrairement à l’homme, voit dans les cœurs, sait quand le repentir est sincère. Faire pénitence oui, jeûner, oui, mais avant tout accomplir la volonté de Dieu, La foi, à Ninive, vint première et le jeûne et le sac en furent la conséquence. Le roi ordonna même que le gros et le petit bétail prennent le sac ! Le texte ne dit pas que Dieu vit leurs sacs et leur jeûne, mais que les Ninivites étaient revenus de leur voies mauvaises. Et à Jonas qui pleure sur son ricin fané (Jon 9-11), Dieu non sans humour dit : Tu as pitié de ton ricin, plante d’une nuit « pour laquelle tu n’as pas peiné et que tu n’as pas élevé et moi je n’aurais pas pitié de plus de 120 000 Ninivites qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche » autrement dit qui ne savent pas ce qu’ils font, contrairement à toi, Jonas, qui fait partie du peuple de l’Alliance ? La suite de l’histoire n’est pas dans le livre, mais je vais vous la dire : plus tard, les Ninivites perdirent la foi et retombèrent dans leur péché et Ninive fut détruite. La foi n’est pas l’affaire d’un moment. Mais doit être un élément permanent de la vie.

L’histoire de Jonas traverse la Bible et a sa place dans le Nouveau Testament. Les Ninivites du temps de Jonas sont considérés comme des repentis exemplaires que Jésus prend pour modèles pour montrer la force de la parole de Dieu. Ainsi, dans Matthieu 12,41, aux pharisiens et aux scribes qui lui demandent un signe, Jésus dit : « Lors du jugement, les hommes de Ninive se lèveront avec cette génération et ils la condamneront, car ils se sont convertis à la prédication de Jonas, eh bien ! ici, il y a plus que Jonas. »

Il y a en effet Jésus Christ, le Fils envoyé par le Père pour nous montrer le chemin du salut. Jésus qui n’efface pas la loi mais l’accomplit, et qui, sur la croix, demande à Dieu de pardonner à ses bourreaux, « car, dit-il, ils ne savent pas ce qu’ils font ». (Lc. 23,34). Comme les Ninivites du temps passé.

Nous même, chaque jour, en récitant la prière que Jésus nous a enseignée, nous disons à Dieu : « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Sommes-nous vraiment sincères ? Et nous demandons-nous si l’impardon-nable fait partie de nos offenses ? En vérité, le livre de Jonas fait passer un message d’espoir dont nous avons bien besoin : l’homme peut changer et Dieu peut pardonner.

Liliane CRÉTÉ


Rencontre avec la Samaritaine (Jean 4, 1-42)

L’épisode racontant la rencontre de Jésus et de la Samaritaine met en relief le double thème de l’eau et de la soif. Le puits est l’endroit idéal pour aborder ce thème. Mais Jean l’évangéliste le traite d’une façon particulière : il y a une histoire racontée, et le message que l’évangéliste fait passer au travers de la discussion entre Jésus et une Samaritaine, impensable en ce temps-là.

Le puits est toujours lieu de rencontre dans la Bible. C’est là que Jacob, Isaac, Moïse, trouvèrent leurs épouses et la rencontre se terminait par une visite au futur beau-père. La rencontre de Jésus et de la Samaritaine a lieu au puits de Jacob. Mais ici, tout est différent : l’eau même dont parle Jésus est autre puisqu’il s’agit d’une eau apportant la vie, que lui seul peut donner et que celui qui la boira n’aura plus jamais soif. Alors, comme souvent chez Jean, il y a incompréhension, confusion, dissonance entre ce que dit Jésus et ce que comprend la Samaritaine. Il faut toujours avoir présent en mémoire, en lisant le quatrième évangile, que le but de son ou ses auteurs, est de nous amener à croire que Jésus est le Fils, envoyé par Dieu, que le Père et le Fils ne font qu’un, et que celui qui croit en lui a déjà maintenant la vie éternelle.

Pour mieux saisir les enjeux théologiques de cette rencontre, il me semble nécessaire de nous poser deux questions : qu’est-ce qu’un Samaritain ? Quels changements s’opèrent chez la Samaritaine au cours de sa rencontre avec Jésus ?

Disons le vite: les juifs n’ont que mépris pour les Samaritains. La première mention de la Samarie dans la Bible est en I Roi 13, 32 où il est dit que Iahvé, par la bouche d’un « homme de Dieu », avait crié « contre l’autel qui était à Bethel et contre toutes les maisons de hauts lieux qui se trouvent dans les villes de Samarie ». La figure de Jézabel, suffit à lui donner cette réputation exécrable. Princesse phénicienne, Jézabel avait détourné du Dieu d’Israël le roi Achab son époux et pourchassé les prophètes de Iahvé. La prise de la Samarie par les Assyriens en -722 suivie de la déportation de ses habitants, qui seront remplacés par des gens venus de Babylone et autre lieux étrangers, seront donc vues comme une punition légitime de leur Dieu qu’ils ont trahi.

Alors que la restauration d’Israël, au retour d’Exil (587-538), se fait à Jérusalem autour du culte unifié et qu’il est décidé que la Torah sera dorénavant scrupuleusement respectée, les Samaritains, eux, continuent à rendre des cultes aux idoles, même ceux d’entre eux qui font encore une place au Dieu de leurs ancêtres. L’une des conséquences donnée à la pureté lévitique, au retour d’Exil, aboutit à la rupture radicale entre les Judéens et les Samaritains. A la lecture des Evangiles, on comprend que Jésus et ses contemporains ne considèrent pas les Samaritains comme faisant partie du peuple juif. Ainsi, avant d’envoyer les 12 disciples en mission pour annoncer la venue du Royaume, Jésus leur dit : « Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez-pas dans une ville de Samaritains : allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 10, 5-6). Le fait que des juifs orthodoxes et des Samaritains soient venus grossir les rangs des judéo-chrétiens de la communauté johannique, peut expliquer le choix d’une Samaritaine comme interlocutrice de Jésus. Subtilement, l’évangéliste met en scène le cheminement de la foi chez la femme. Elle lui viendra par étapes, selon ce que Jésus lui dévoile, chacun en vérité tentant de rejoindre « l’autre ».

Reprenons le fil de l’histoire : Jésus est seul, épuisé. Il s’est assis au bord du puits tandis que ses disciples sont partis à la ville chercher des vivres. A la femme venue puiser de l’eau, il demande à boire, mais celle-ci le rabroue sèchement, d’autant qu’il n’a pas de seau pour puiser. Et puis il est juif, elle Samaritaine. Ils n’ont rien en commun et elle le lui dit avec ironie. Jésus répond en lui proposant la seule chose qu’il peut lui offrir et qui importe : de l’eau vive – c’est-à-dire qui doit être comprise comme eau de vie éternelle – ce que ne comprend pas la femme. Il n’y a pas d’action dans la scène seulement un dialogue, et le quiproquo s’installe immédiatement. Pour éviter les corvées au puits, la femme ne demande pas mieux que de boire de l’eau qu’offre Jésus puisque celui qui le boira n’aura plus jamais soif. Elle reste ainsi dans le terre-à-terre. Et pourtant, a-t-elle intuitivement pressenti que son interlocuteur était autre qu’un voyageur juif fatigué et assoiffé ? Car à partir de là, elle l’appelle « Seigneur ». Mais ce changement n’est pas suffisant pour Jésus. Il tente par un autre chemin de l’amener à professer sa foi: il lui parle de ses cinq maris et du dernier homme avec lequel elle vit qui n’est pas son mari, montrant par là qu’il connait sa vie désordonnée. L’évangéliste, on le sait, est passé maître dans l’art de la double-entente et on peut penser aussi que les cinq maris représentent les cinq peuples qui se sont installés en Samarie avec leurs dieux et leurs traditions. Jésus alors ferait allusion au syncrétisme religieux des Samaritains, tant honni des juifs depuis leur retour de Babylonie. Le chiffre cinq ne peut être une coïncidence. En tout cas, les yeux de la femme, devant cette révélation, commencent à s’ouvrir : elle voit maintenant en lui un prophète et elle l’entraîne sur le terrain théologique. Jésus entre dans son jeu et se dévoile un peu plus, fait un pas de plus dans la Révélation : il lui dit que bien que le salut vienne des Juifs, « l’heure vient où les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité » et non à Jérusalem ou au mont Garizim. Alors la femme confesse sa foi. Sans doute a-t-elle entendu parler des prophéties d’Esaïe car elle voit maintenant en lui le messie dont on parlait « autrefois ». Jésus comprenant que le cour de la Samaritaine s’est ouvert à la vérité, la congédie d’un mot familier à ceux que Dieu appelle : « Va ». Et la femme court avertir les gens du village de la rencontre qu’elle a faite au puits de Jacob : « Je crois avoir rencontré le Messie ». Elle est devenue disciple et missionnaire ; on peut même dire que la Samaritaine représente un modèle de femme disciple. Tous les hommes du village crurent à sa parole ; ils allèrent trouver Jésus et le narrateur dit que Jésus resta deux jours avec eux.

Graduellement, par les paroles de Jésus, on voit que les barrières sociales et religieuses séparant la femme de l’homme et les Samaritains des Juifs sont tombées. Jésus l’a touchée au cour. Elle s’est ouverte à la Vérité ; elle est prête à adorer en esprit et à communiquer sa foi aux autres. Chacun, dans ce dialogue si mal parti, a fait un pas vers l’autre pour en arriver à cette profession de foi, et nous constatons que les changements progressifs chez la Samaritaine se traduisent et se comprennent par les qualificatifs qu’elle donne à son interlocuteur : Juif d’abord, lorsqu’il demande de l’eau ; puis Seigneur, lorsqu’il parle de lui donner de l’eau vive qui assouvira sa soif à jamais ; puis prophète lorsqu’il lui révèle qu’il connait sa vie privée. Pour finir, elle pense voir en lui le messie attendu. Jésus se révèlera alors définitivement à elle par ces mots « Je suis », comme Dieu au Sinaï quand Moïse lui demande son nom pour le répéter au peuple resté dans la plaine. En s’identifiant par cette formule au messie attendu, il indique la présence de Dieu et son action dans la conversion de la femme. Cette jolie histoire montre également que celui qui dit « Je suis », sans cesse questionne ses interlocuteurs pour savoir qui il est, comme s’il fallait une interrogation sur sa personne pour les amener à croire.

Liliane CRÉTÉ


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