Les prédications, 2005-2020

 

Les textes étudiés sont consultables sur des sites internet dans les traductions suivantes :
Bible TOB, Bible Segond, Bible du Semeur, Bible de Jérusalem.

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Prédication de Liliane Crété, culte du 14 août 2016 – Texte : Exode 17, 1-7 ; Jean 4, 3-26

La Samaritaine

Ce récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine est riche en enseignement, et on peut en faire de nombreuses lectures. Première lecture, la conversion d’une samaritaine, c’est à dire une étrangère, et même, aux yeux des juifs, une « impure » puisque les Samaritains s’étaient laissés corrompre par les différents occupants de leurs pays et avaient même adoptés leurs coutumes, voire leurs dieux. Deuxième lecture : bien qu’étrangère et femme, la Samaritaine est choisie par Jésus comme disciple, et comme les autres disciples, elle est envoyée en mission et comme eux, elle laissera tomber le quotidien pour annoncer la Parole. Une troisième lecture est de s’interroger sur la personnalité de Jésus. Qui est-il ? Que révèle-t-il ? C’est la lecture que j’ai choisie, car elle est la continuité de notre dernière prédication et ce sera d’ailleurs le thème de mes prédications de l’été : qui est Jésus, selon la communauté johannique ?

Dans le Prologue, rappelez-vous, il est dit que Jésus est le Logos, la Parole, et la Lumière. Mais pour les juifs qu’il côtoie, sa personnalité n’est pas claire. Tous se posent des questions sur lui : est-il Elie ? Est-il le Prophète ? Est-il le Messie ? Ensuite Jean le baptiseur rapporte son baptême et atteste qu’il est l’Agneau de Dieu, venu ôter les péchés du monde. Puis Jésus se choisit des disciples qui tous le reconnaissent pour le messie, ce qui amène Jésus à utiliser, toujours à la troisième personne, le titre de Fils de l’Homme, titre tiré de Daniel 7,13, qui n’est employé par lui, que lorsqu’il s’agit de sa relation de Fils avec le Père qui est Esprit.

Lorsque Nicodème, de nuit, se rend auprès de Jésus, c’est parce qu’il pense qu’il « vient de Dieu ». La Samaritaine, elle, suggère d’autres rôles pour lui, si bien qu’en quelques chapitres, nous trouvons sept qualificatifs pour Jésus, que je vous cite dans l’ordre d’apparition :
Juge
Agneau de Dieu
Messie (fils de Dieu ou Fils adoptif de Dieu)
Fils de l’Homme
Temple
Epoux
Prophète et législateur (autrement dit, un second Moïse).

Le récit de la rencontre avec la Samaritaine nous montre de prime abord un Jésus « familier » un peu ironique, et comme chaque fois qu’il a à faire avec une « païenne », ou, comme ici une « apostate » puisque les Samaritains se refusèrent au retour d’Exil des Hébreux, de se plier à leurs ordonnances et leurs rituels, il se termine par un acte de foi. Mais ce qui est surprenant, c’est que Jésus le juif, qui a refusé le titre de messie que voulaient lui donner ses disciples, reconnaît devant cette étrangère, cette apostate, qu’il est le Messie.

Foi et Révélation sont donc les thèmes principaux de ce récit. Reprenons notre texte. Le récit se construit autour du puits, lieu féminin par excellence – la corvée d’eau était réservée aux femmes dans le temps. Elles s’y retrouvaient en nombre pour bavarder. C’est aussi le lieu où Isaac et Jacob rencontrèrent leurs futures épouses. D’ailleurs le texte mentionne le fait que Jésus s’est arrêté « non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph » (4,5). L’évangéliste met donc en scène la rencontre dans un décor familier. La conversation débute de façon très conventionnelle : Jésus est fatigué, il a soif, il demande de l’eau. Quoi de plus naturel. Cependant, la scène nous « dérange » quelque part: Jésus tient des propos ambigus ; la femme répond avec intelligence. Mais la conversation entre les deux protagonistes tourne vite, comme toujours chez Jean, à un dialogue « révélateur des choses du Ciel », et le malentendu s’installe, parce que les deux protagonistes sont situés à des niveaux différents : la Samaritaine a des préoccupations terrestres ; Jésus a des préoccupations célestes. Il est là pour révéler aux hommes quel est le chemin qui mène au Père et ce que le Père demande : il veut que « nous l’adorions en esprit et en vérité ». L’eau vive devient ainsi le motif central du récit. Jésus veut faire comprendre à la femme qu’il est la source d’eau « jaillissante en vie éternelle », contrairement à l’eau du puits à laquelle elle a accès, et qui ne fait que désaltérer pour un temps. Alors pas à pas, ou plutôt marche par marche, puisqu’il y a ascension, le dialogue se transforme. Ce qui était conversation banale, presque badine, se transforme en acte de foi et de révélation. La Foi et la Révélation agissent dialectiquement l’une sur l’autre dans la progression des titres christologiques, ce qui est une constante chez Jean où le thème de la foi double toujours l’auto-révélation de Jésus.

La samaritaine donne d’abord à Jésus le qualificatif de juif (v.9), puis elle l’appelle « Seigneur » (v. 11), ensuite elle demande à Jésus s’il est plus grand que « notre père Jacob » (v. 12), montrant ainsi qu’elle n’est pas totalement coupé du judaïsme ; puis elle le voit en prophète (v. 19) ; Jésus lui rappelle que le salut vient par les Juifs (v.22), la Samaritaine lui répond qu’elle attend le Messie, le Christ (v. 25). Jésus lui révèle alors qu’il est le Messie, et il le fait en utilisant l’expression « Je suis », (v. 26). Plus tard, la femme reviendra au puits avec les gens du village, et ceux-ci reconnaitront en lui « le sauveur du monde » (v. 42).

Ce qui doit être souligné, c’est que le dialogue révélateur progresse à travers une série de malentendus vers une meilleure perception de celui qui apporte la Révélation. La rencontre ne conduit pas à une profession de foi inopinée, comme par l’infusion soudaine du Saint Esprit, mais par une révélation progressive. Jésus se révèle à elle, en l’obligeant à se découvrir elle-même, et à s’interroger sur le sens de sa vie, et c’est en quoi ce récit nous concerne toujours. Elle ne demande qu’à croire, puisqu’elle demande à Jésus de lui donner de cette eau vive qui désaltère éternellement, mais dans un but très terre-à-terre : afin qu’elle n’ait plus à aller au puits chaque jour. Comme dans la conversation entre Jésus et Nicodème, il y a malentendu. La femme ne se tient pas, mais pas du tout, au même niveau que Jésus. Le récit se termine néanmoins par l’envoi en mission de la femme afin qu’elle transmette la bonne Nouvelle qu’elle a reçue, comme les autres disciples de Jésus. Où se situe la pointe du récit ? Je crois que c’est lorsqu’elle abandonne sa cruche et cours au village : la cruche signifie sa vie passée ; la femme est autre, elle est transformée par la présence de Jésus ; elle a effectué une « conversion », dans le sens biblique du terme, c’est-à-dire un retour au vrai Dieu qui est Esprit.

Peut-être le Jésus assis sur la margelle du puits n’est pas le messie qu’elle attendait, un nouveau Moïse, et donc un Législateur, mais elle a reconnu qu’il était un homme de Dieu et cela après qu’il l’eût contrainte à se dévoiler. L’interprétation classique selon laquelle elle aurait eu cinq maris et que celui avec lequel elle vit n’est pas son mari, à mon avis, ne tient pas: Jésus ne parle pas d’hypothétiques vagabondages sexuels mais des cinq peuples qui ont envahi le pays, avec leurs dieux et leurs coutumes et il est certain que cinq dieux samaritains sont mentionnés au chapitre 17 du deuxième livre des Rois. (2 R 17, 24-41). Cela ne peut être un hasard.

Nous nous trouvons ainsi placé à un tout autre niveau et la conversation entre Jésus et la femme nous entraine, comme toujours chez Jean, vers la spiritualité. Il veut toujours nous faire passer de la Ténèbre à la Lumière. La métaphore de la descente et de l’élévation donne sa tonalité à tout l’évangile selon Jean L’ensemble de la destinée de Jésus est condensé dans ce double mouvement, et le titre de Fils de l’homme apparaît comme celui qui répond le mieux à ce concept puisqu’il est, « l’homme venu du ciel ». Que veut Jésus dans cette rencontre ? Que cherche-t-il à dire et, à travers la Samaritaine, à nous dire ? Il me semble que Jésus veut guider la femme vers une compréhension différente de sa relation avec Dieu, ainsi que du culte qu’il faut lui rendre. Comme il l’a fait avec Nicodème en lui disant de « renaître ».

Alors, plus que jamais, nous devons nous poser la question : qui est Jésus pour nous? Il est si inattendu chez Jean, que tous les titres que j’ai cités plus haut le définissent, si bien que l’on peut se demander s’il n’est pas ce que chacun cherche en lui : le juge, l’époux, l’agneau de Dieu, le Temple, le Prophète et le législateur. Mais quel que soit le titre que l’on se plait à donner à Jésus, l’important est dans son message. Or on peut dire qu’il se résume à quelques mots : Jésus est le chemin menant à la vie éternelle : « Croyez, dit-il, et vous serez sauvé ».

Dans son dialogue avec la Samaritaine il parle par métaphores alors que son interlocutrice, elle, utilise les mots littéralement. La raison semble faire barrage. Jésus demande à ses disciples, et à la Samaritaine, nouvelle disciple, d’abandonner leurs certitudes et leur rationalité pour pouvoir le suivre. Il leur demande de penser la vie et leur rapport à Dieu « autrement ». Il ne leur demande pas de faire table rase du passé, mais de le comprendre différemment. Les Pères ne sont pas jetés aux oubliettes, mais leur histoire est repensée. Jésus veut donc que ceux qui le suivent se défassent de leurs habitudes de pensée et qu’ils réussissent à renverser l’ordre possibilité/réalité qui s’impose généralement à l’esprit humain. Si Nicodème le juif pieux et savant, s’est montré inapte à cet exercice, la Samaritaine, elle, a réussi l’examen de passage, et c’est pourquoi Jésus a proclamé devant elle sa messianité.

Si je devais donner à Jésus un titre préférentiel, pour le définir, je dirais qu’il est le visage de Dieu tourné vers l’homme, et je crois que c’est bien l’image que Jean voulait donner de Jésus dans son évangile, par le choix des récits qu’il avait compilés et des titres qui lui sont donnés. Le Jésus johannique nous demande d’accueillir l’altérité, de nous ouvrir à la vérité transcendante et à nous laisser transformer. « Naître d’en haut », se laissez désaltérer par « l’eau de vie », « être engendré non d’un vouloir de chair et d’un vouloir d’homme mais de Dieu » (Jean 1,13), ainsi s’égrène au fil des chapitres les invitations divines. Acceptez ces invitations, laissez-vous entraîner vers le monde sans ombre qui nous est proposé.

Amen


Prédication de Liliane Crété, culte du 7 août 2016 – Texte : Jean 1, 1-18

Prologue de l’Évangile de Jean

De même que les auteurs des livres de la Genèse ont coiffé le Premier testament par un magnifique texte sur la création en sept jours; l’auteur, ou plutôt les auteurs de l’Évangile selon Jean, ont mis en introduction un texte évocateur assurément des débuts de la création.

Écrit en grec, ce Prologue constitue une sorte de poème qui montre une perception mystique de la personne de Jésus-Christ. Ouverture sur l’Évangile, il en dit long sur la vision particulière que la communauté johannique avait de Dieu et du Messie. Nous constatons d’abord que le texte n’évoque pas la naissance de Jésus, contrairement aux synoptiques, mais l’origine et cette origine est intemporelle. Retour à l’origine prise dans le sens de fondement, donc, c’est-à-dire au sens non temporel de l’évènement. Il est clair que pour les chrétiens de la communauté, dont une partie vient du judaïsme hellénistique, l’origine de Jésus est intemporelle; il a participé à la création ; il est lui aussi l’être, la vie. De ce fait, il est en relation avec tout ce qui vit sur la terre :

« Au commencement était la parole et la parole était tournée vers Dieu, et la parole était Dieu. »

La Parole, notre traduction habituelle, se dit en grec Logos. Mais Logos veut aussi dire Raison, et pour les Hébreux, la Parole est aussi action. Dieu agit par sa Parole, et, nous venons de le rappeler, c’est par sa Parole que Dieu créa le monde.

En plaçant l’origine de Jésus dans le commencement primordial, Jean le situe en Dieu lui-même. Et nous constatons qu’il l’associe non seulement à la Parole mais aussi à la Sagesse de Dieu. En Proverbe 8, 22, il est écrit en effet: « Yahvé m’a créée, principe de sa voie, antérieurement à ses oeuvres ». On voit que la Sagesse, dans la mentalité juive du temps, occupait une place privilégiée auprès de Dieu et on voit qu’il en est de même du Christ johannique par sa préexistence. Comme la Sagesse, il est venu afin que la vérité sur Dieu soit connue et tous deux ont autorité à cause de leur préexistence.

Comme la Sagesse encore, il est agent du Salut et de la Révélation, et même, il a comme elle le pouvoir d’accorder la vie éternelle et d’assurer à ceux qui l’ont trouvée un souvenir éternel. La Sagesse du Premier Testament, venue d’un milieu juif hellénisé, forme un lien spirituel étroit avec le second Testament. Elle permet de montrer que le Christ ressuscité procède et participe à l’ouvre divine. Il est commun de dire que le Dieu du Premier Testament était terrible dans ses jugements et ses châtiments, et de le comparer au Dieu de Jésus Christ qui est amour. En vérité, Dieu demeure immuable, inchangé. Ce qui a changé au cours des siècles, c’est la perception que nous avons de lui.

Au début du deuxième siècle, il y aura division et rupture entre les membres de la communauté johannique : certains retournèrent à la synagogue ; d’autres rejoignirent les mouvements gnostiques et un troisième groupe, resté fidèle à l’enseignement de Jean, se résoudra pour exister à rejoindre ce que l’on appelait la Grande Église : celle de Paul et de Pierre. Celle de Rome. La dernière partie de l’Évangile le dit implicitement. L’Évangile selon Jean a sans doute été écrit dans les années 100 de notre ère, et le chapitre 21 n’est pas du même auteur que le reste du texte. Ce chapitre là a été ajouté pour expliquer le changement d’orientation de la communauté, et montrer que Pierre est premier dans la hiérarchie des disciples.

L’orthodoxie assurément n’existait pas encore. Jusqu’au 4ème siècle, chaque Église avait une conception de Dieu et de Jésus différente. Domina pendant un temps celle de Clément d’Alexandrie puis celle de son disciple, Origène. Parce qu’Origène pensait que tous les humains remonteraient un jour vers Dieu, les méchants comme les bons, et peut-être même Satan, l’ange déchu, et croyait à la pré-existence de l’âme avant la naissance, il souleva des tempêtes dans l’Église. En 400, dans un concile national convoqué par l’évêque d’Alexandrie, Théophile, l’origénisme fut condamné. Ses thèses furent à nouveau condamnées au synode de Constantinople de 543, puis au concile de Constantinople II de 553.

Dès les origines, on voit combien le christianisme était divisé, et l’Église majoritaire, celle de Rome, intolérante. Par la suite, il y eut scission entre Rome et les Églises dites aujourd’hui « orthodoxes », celles de l’Europe de l’Est. Puis il y eut éclatement avec la Réforme et rappelons que la Réforme, idéalement parlant, est appelée à se réformer sans cesse puisque elle est restée, par définition, inachevée. D’où les « variations » des Églises protestantes qui en font sa richesse mais peut-être aussi, sa faiblesse. À l’origine, il y eut Martin Luther ; puis vint Jean Calvin, Puis Martin Bucer qui fit de Strasbourg la capitale du protestantisme européen, et Ulrich Zwingli, le savant exégète de Zurich, et c’est encore John Wesley, pionnier du renouveau évangélique et fondateur du méthodisme au XVIIIe siècle. Chacun apporta une pierre à la construction du Protestantisme qui repose sur trois affirmations : la grâce seule, la foi seule, l’Écriture seule, auxquelles on peut ajouter : à Dieu seul la gloire.

En valorisant le rapport direct à la Bible plutôt que la médiation d’une institution sacrée, les réformateurs ont forcément amené la diversité, mais ils ont aussi permis aux chrétiens de retrouver le chemin de la foi comme cadeau de Dieu, la foi qui doit être vue, dit André Dumas, comme « une confiance inespérée et éprouvée ». Tout le 16ème siècle fut un jaillissement de confessions de foi, manifestant que c’est autour d’un acte de foi que se réunissent les assemblées de chrétiens. La Réforme a aussi permis de retrouver l’organisation ecclésiale des premiers temps, avec ses ministres de la Parole, ses anciens et ses diacres. Et comme les communautés primitives, nos églises sont amenées à « faire mémoire » de l’évènement Christ. Elles le font par la prédication et le catéchisme, par la louange et la prière, par la profession de foi et la confession de notre péché, par le baptême et la Sainte Cène.

C’est sur la conception de la Cène que Luthériens et Calvinistes s’opposèrent. Dès le départ, donc, il y eut deux protestantismes. L’union est enfin faite et nous devons nous en réjouir. Non que chacun revînt sur ses certitudes, mais la conception de la Cène fut formulée différemment, et chacun peut se retrouver dans la nouvelle formulation. En se cramponnant à des textes pensés et écrits des siècles plus tôt, les chrétiens, aujourd’hui encore, s’opposent en querelles stériles. Le message du Christ est pourtant « transconfessionnel », dans le sens où il va au-delà de toutes les confessions de foi de son époque comme d’aujourd’hui.

Pour l’école johannique, il y a besoin d’un témoin pour pointer vers la lumière, pour rappeler à nos ténèbres que la lumière existe, qu’elle est là, qu’elle nous éclaire. Ce témoin, c’est Jean, le Précurseur, le Baptiste. Jean est témoin. Le mot « témoin » se retrouve écrit en majuscules entre le premier et le dernier mot du « shema’ Israël ». « Écoute, Israël, l’Éternel notre Dieu, l’Éternel un », voilà le témoignage de toute la Bible. L’existence d’Israël, peuple de l’écoute de la parole de Dieu, est le témoignage rendu au coeur du monde à ce Dieu.

Quelle sera alors la foi chrétienne, englobant celle-ci ? Ne serait-ce pas que l’existence de l’Église, peuple éclairé par la véritable parole de Dieu, Jésus-Christ, est le témoignage nécessaire et suffisant rendu à Dieu ? Je ne le pense pas. C’est au sein de l’Église que le nouveau peuple de Dieu, les chrétiens, se sont déchirés et haïs. La foi est un acte entre Dieu et chaque humain. Et souvenez-vous que c’est Dieu qui nous appelle toujours le premier. Nous ne pouvons faire l’expérience de Dieu que si nous entendons sa voix et répondons à son appel, alors nous pourrons nous laisser emporter vers lui. Et il n’est pas nécessaire pour faire l’expérience de Dieu, de séparer ce qui touche au corps de ce qui touche à l’esprit. C’est l’homme tout entier qui est appelé à reconnaitre l’appel divin. Jésus est venu pour nous aider, nous guider, nous entraîner sur le chemin du royaume, celui qui mène au Père. Et ce chemin n’est pas seulement celui empruntée par les mystiques. Je dirai même que la voie choisie par les mystiques ne correspond pas au message de Jésus. Nous sommes des humains, des êtres de chair et de sang ; et c’est à des humains que s’adresse Jésus, qui doit être vu, non comme Dieu lui-même mais comme le visage de Dieu tourné vers l’homme. Le second point à souligner est que le chemin du Père ne passe pas forcément par l’Église. La communauté johannique s’est scindée en trois parce que ses membres ont pris des chemins différents. Tous étaient à la recherche de Dieu et tous sans doute, l’ont trouvé. Mais différemment : la foi en Dieu, la foi personnelle qui scelle notre relation au divin, ne peut être qualifiée ni quantifiée. L’accueil que chacun fait à la venue de Jésus parmi nous et à son discours est différent. Parce que chaque individu est différent, et ce n’est pas par des dogmes que l’on peut décider qui a la foi et qui ne l’a pas. Le prologue et d’ailleurs tout le quatrième évangile, nous montrent les dangers qui peuvent guetter certains chrétiens trop zélés : soit en insistant si fortement sur la verticalité des relations entre l’homme et le divin que l’on en vient à se détacher du monde. Soit, au contraire en poussant trop loin l’activisme et le moralisme ce qui provoque également une distorsion du message de Jésus. L’éthique doit garder un lien vital avec l’expérience de l’Esprit. Toute vie authentique doit éviter le double écueil de la fièvre activiste et d’un perfectionnisme si poussé, qu’il occupe le centre de nos préoccupations. Dieu ne réclame pas cela de nous. Cet horizontalisme excessif a même amené certains à interpréter les paroles du Christ comme celles d’un travailleur social. Ce magnifique prologue est là pour nous rappeler que Jésus était animé de l’esprit divin afin de conduire les hommes de la Ténèbre à la Lumière. C’est-à-dire qu’il nous encourage, certes, à nous tourner vers nos frères et nos soeurs pour les soutenir dans l’adversité, pour n’en laisser aucun au bord du chemin, mais aussi pour faire rayonner autour de nous la Lumière venue d’en haut, celle qui l’anime et dont Jean témoigne.

Amen


Prédication de Liliane Crété, culte du 15 novembre 2015 – Texte : Psaume 139 ; Matthieu 6, 5-15

La prière

Jésus nous demande instamment de prier Dieu, et nous dit comment le prier, Dieu, seul être incréé, lointain et mystérieux, qui nous a parle par la voix de ses prophètes puis, par la bouche de Jésus le messie. Pour Origène, père grec du troisième siècle, Dieu est lumière et le christ est la lumière des hommes, mais aussi, celle des animaux et des plantes « car si on dit qu’elle appartient à certains, cela ne veut pas dire qu’elle n’appartient pas à d’autres, précise-t-il. Il n’est jamais dit que le Christ est la lumière des seuls hommes ». Fort bien.

Mais les animaux ne se posent pas de questions sur Dieu, et encore moins les plantes. Les animaux naissent et meurent, mais ils ne comprennent pas le sens de la vie et de la mort. Nous si. Dès lors que nous avons acquis la conscience du bien et du mal, nous avons compris ce qu’était la vie et la mort. C’est en cela que l’on peut dire que la transgression de l’homme au Paradis a amené la mort. En vérité, elle a apporté à l’homme la conscience de sa mortalité.

Les disciples demandent donc à Jésus comment prier Dieu. Peut-on prier la lumière ? Peut-on confier à la lumière nos joies et nos peines, nos espérances et nos désillusions ? Comment demander aide et consolation ? Pour Origène, il fallait peu à peu se détacher des contingences matérielles pour pouvoir s’élever vers l’infini, le sublime. Par la spiritualité nous pouvons devenir semblables aux anges, disait-il. J’ajouterai que pour Origène, la lumière signifiait tout ce qui était bon ; et les ténèbres, tout ce qui était mauvais.

Mais ce n’est pas ce que le Christ nous a enseigné. Le Dieu de Jésus Christ marche aux côtés des hommes ; il nous accompagne dans le monde qu’il a créé et nous a confié pour que nous en fassions un lieu de justice et de solidarité entre les hommes. Il est lumière, c’est incontestable ; il est aussi Dieu de l’humanité puisqu’il en est le créateur et que par Jésus le fils, il nous a adopté pour ses enfants. Alors Jésus nous demande de l’appeler Père ; comme Jésus le fait lui-même. Père, notre Père, est ce Dieu qui jadis s’adressa à Moïse en disant « Je suis qui je suis et serai ». Il refusa de dire à Moïse son nom : Yahvé, Dieu d’Israël, est une corruption d’un nom imprononçable et nous devons nous en contenter. En l’appelant Père, nous le rendons proche, nous savons qu’il est transcendant, insaisissable, tout autre, mais aussi qu’il est amour, et patient pour ses enfants indociles, et que nous pouvons nous abandonner à lui avec joie, confiance, espoir. Seulement, il n’est pas le Dieu tout puissant qui peut arrêter les avions en piqué, les trains en détresse, faire repousser un membre amputé, ou détourner la main des meurtriers. Les attentats de la nuit nous bouleversent et nous pensons à tous ceux qui ont perdu un être cher ou souffriront à jamais dans leur chair. Non, Dieu ne peut tout. Mais sachez qu’il est là, à nos côtés, dans la joie mais plus encore dans le désarroi et la tristesse.

Nous pouvons, nous devons nous ouvrir à lui dans l’espérance, malgré tout, comme l’enfant en détresse se tourne vers son père. Un Père entend la voix de ses enfants quand ils l’appellent, et si nous ne pouvons le rejoindre, lui viendra à nous : Dieu/Lumière est aussi Dieu/Père, ne l’oubliez jamais. Il se tient à la porte ; priez et la porte s’ouvrira pour faire entrer la lumière et avec la lumière, la consolation, la chaleur qui vous donnera la force de vivre, malgré les horreurs dont nous sommes les témoins, sinon les victimes.

Jésus pria jusqu’à ses derniers instants le Dieu père dont il n’entendait plus la voix. Nous avons tous en mémoire la prière qu’il adressa dans le jardin de Gethsémani la nuit de son arrestation : « Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ». Combien d’hommes et de femmes, dans la souffrance et l’angoisse de la mort, ont prononcé ces mots. Combien se sont sentis soutenus, ont retrouvé forces ou sérénité dans l’ultime communication avec leur Seigneur, même ceux qui disaient qu’ils ne savaient pas prier. A ceux-là, Dieu a dit par le prophète Esaie : « Avant même qu’ils ne crient vers moi, je les exaucerai ». Et au psaume 139, nous lisons : « Une parole n’est pas encore sur ma langue, que déjà, mon Dieu, tu la connais entièrement ». La prière sincère, celle qui vient du cour et non des lèvres, permet de faire l’expérience de Dieu.

Pour nous aider à communiquer avec Dieu, Jésus a laissé à ses disciples le « Notre Père », un texte fondateur du Christianisme. Une prière que des millions de chrétiens de par le monde prononcent chaque jour. La version que nous avons lue ce matin dans Matthieu était sans doute dite en araméen par les disciples de Jésus. Le « Notre Père » comme nous l’appelons, est d’abord une prière de demandes Les premières ne concernent que Jésus ; les autres ses disciples. Elle peut alors être lue aussi comme une prière de repentance, d’action de grâces ou de détresse. Elle a été conservée en grec, mais il est évident qu’elle a pris naissance dans un milieu juif : elle est proche de certaines prières retrouvées à Qumran, Dans I Enoch, texte intertestamentaire, on retrouve également des prières similaires au notre « Notre Père ». Quelle qu’en soit l’origine, le mélange des demandes en « tu » et des demandes en « nous », montre clairement qu’il s’agit d’un assemblage réunissant la prière de Jésus au Père, et celle qu’il enseigna à ses disciples.

Priez pour quoi ? Les trois demandes de Jésus touchent à l’eschatologie : Louange à Dieu le Père ; puis demande que le règne vienne et que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel. L’expression « règne de Dieu » est absente du Premier Testament, mais utilisée plus de cinquante fois je crois dans le Second Testament ; on peut donc penser que l’utilisation massive de ce concept appartient à Jésus lui-même. Il est vrai qu’il est au cour de sa pensée et de son enseignement. Le discours de Jésus est toujours lié à l’eschatologie : il n’a cessé de prêcher la venue du Royaume. Encore que dans Esaïe, on peut en trouver les prémices lorsque le prophète annonce : Votre Dieu est là. Le Seigneur Dieu vient avec force » (Es 40, 9-10). Quand le règne sera là, et non en chemin, alors, on peut penser que le Saint Esprit emplira totalement l’âme de toutes les créatures intelligentes et plus jamais nous n’entendrons parler de massacres faits au nom d’un faux dieu. Deux manuscrits grecs anciens, d’ailleurs, à la place de « Que ton règne vienne », ont « Que ton Esprit saint arrive et soit rendu visible pour nous ».

Les demandes des disciples, qui sont les nôtres aujourd’hui comme hier, semblent plus prosaïques ; ils veulent du pain quotidien, et aussi que Dieu pardonne leurs transgressions comme eux-mêmes pardonnent à ceux qui leur ont fait du mal, et qu’il ne les éprouve pas. Mais en vérité, elles ont, elles aussi, un sens eschatologique.

Il faut savoir que le pain quotidien réclamé par le croyant, lorsqu’il récite le « Notre Père », est avant tout le pain de l’alliance, la manne tombée dans le désert, lorsque Moïse conduisait son peuple jusqu’en Canaan. C’est le pain distribué par Dieu à ses enfants pour leur permettre d’avancer dans la vie – Ainsi Elie au désert, lorsque, épuisé et découragé, il s’est couché sous un arbre pour attendre la mort : un ange est venu le visiter et lui a apporté du pain et une cruche d’eau et lui a dit : Mange, le chemin est trop long pour toi. Alors, rassasié, rafraîchi, Elie a pu continuer sa route vers le mont Horeb, lieu de sa rencontre avec Dieu. Tel est le pain que nous réclamons – ou devrions réclamer. Tel est le pain que Jésus offrit à ses disciples avant d’être arrêté et mis à mort. Une coutume juive, d’ailleurs on l’oublie souvent, et qu’aujourd’hui encore, il nous offre pour nous donner la force de poursuivre notre route vers le Royaume.

La deuxième demande en Nous touche au pardon : comment pourrions nous demander à Dieu de remettre notre dette, si nous-mêmes ne sommes pas capables de remettre aux autres leur dette? Remettre nos dettes et pardonner ont ici la même signification ; il s’agit, bien sûr que Dieu nous remette nos dettes à la fin des temps, qui peut advenir à tout moment : Que ton règne vienne ! Mais certains actes sont impardonnables, du moins pour l’homme.

La troisième demande concerne la mise à l’épreuve qui a ici un double sens : d’une part, nous demandons que Dieu fasse en sorte que nous ne soyons pas tentés par quelque chose qui nous briserait, nous ferait perdre notre humanité, ou ferait du mal à autrui, D’autre part, nous prions pour que Dieu nous épargne des souffrances ou du moins qu’il nous donne la force de traverser des épreuves qui seraient insurmontables sans son aide.

En préparant cette prédication, je me suis posée cette question : la tentation, n’est-ce pas aussi prier pour des choses éphémères et tout compte fait sans grande importance ? Ou pour des choses, nous le savons, qui ne peuvent se réaliser parce qu’elles vont à l’encontre des lois créées par Dieu lui-même. Rappelez-vous l’épisode de la tentation de Jésus au désert, lorsque Satan lui demande de sauter dans le vide pour voir si un ange le rattrapera : Jésus lui répondit que c’était là mettre Dieu à l’épreuve. Et il dira à Satan de se retirer. Alors, nous devons nous résigner à voir des avions s’écraser, des cars brûler avec leurs passagers, des hommes animés par le seul désir de tuer. Dieu ne peut arrêter le bras de l’assassin, du tortionnaire, du terroriste. Mais il est auprès des victimes qui le prient pour trouver un peu de force pour continuer à vivre : « une épaule pour pleurer est ce que nous avons besoin, disait un pompier lors de l’attentat du 11 septembre, « et surtout celle de Dieu ». J’ai gardé en mémoire cette belle profession de foi.

La prière peut et doit être un soutien pour tous ceux qui sont dans l’affliction puisque prier, c’est ouvrir un dialogue intérieur avec Dieu. C’est faire abstraction de toutes les choses matérielles pour sentir sa présence. Alors, nous ne devons pas craindre de ne pas trouver les mots Car pour certains d’entre nous se pose le problème des paroles pour s’adresser à Dieu. Comment prier en effet lorsque l’on ne sait comment exprimer sa joie, sa crainte, sa douleur.

Et bien en laissant parler notre coeur, en le mettant à nu et en prenant conscience que Dieu est à l’écoute. Mais il me semble que c’est avant tout je crois faire silence devant Dieu et laisser parler notre cour. Origène parlait de la montée de l’âme vers Dieu par le détachement du quotidien, ce que les mystiques au cours des âges, ont tenté de faire. Je crois qu’il faut avant tout garder le coeur ouvert et dans le silence rechercher Dieu. Faire silence pour parler à Dieu, mais aussi pour l’écouter. Car sa voix peut être, et je vous renvoie à nouveau à Elie à l’Horeb, une « voix de silence », un souffle à peine perceptible. Luther, dans son commentaire sur les Psaumes, a écrit des paroles magnifiques. Ainsi, commentant le sixième verset du psaume 130, Mon âme est dans l’attente de Dieu, de la veille du matin jusqu’à la veille du soir », il dit : cela signifie ; « Mon âme a sans cesse le visage tourné vers Dieu et attend fermement sa venue et son secours. Nos yeux se tournent sans cesse vers notre Dieu jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous. Il faut dire que d’un matin à l’autre, il faut être dans l’attente de Dieu, c’est-à-dire, sans cesse et sans relâche ? Si Dieu entend tarder tout le jour, nous devons attendre jusqu’au matin. » .

Il n’y a pas plus belle prière que les psaumes : ils comprennent toujours l’adoration de Dieu et la confession de foi, mais aussi les lamentations de l’homme, pris dans la tourmente de l’histoire. Ce sont en vérité des textes anthropologiques fondamentaux puisque les lamentations succèdent à la louange. Mais tout porte à croire qu’au premier siècle de notre ère, au temps de Jésus pour être précis, cette confiance en Dieu avait disparu pour faire place à un commerce de la religiosité.

Aujourd’hui, toutes nos prières, toutes nos pensées vont vers les victimes de ces actes affreux de la nuit. Et disons nous que quoi qu’il arrive, la prière peut et doit nous apporter le bonheur de sentir sa présence, son amour, sa miséricorde, sachant que ce contact transformera notre vie, puisque Dieu est notre source et notre avenir.

Et bien moi je vous le dis, dit Jésus aux disciples, Demandez et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira ».

Amen


Prédication de Liliane Crété, culte du 27 septembre 2015 – Texte : Esaïe 55, 1-8 ; 1ère Epitre aux Corinthiens 7, 25-35 ; Luc 10, 38-42

Marthe et Marie, les soeurs de Lazare, sont des amies de Jésus. D’entrée de jeu, en lisant le récit de Luc, on comprend que Marthe règne sur le foyer : c’est elle qui accueille Jésus et elle le fait avec toute l’importance que la société juive donne à l’hospitalité. Marthe vit déjà la parole de l’épître aux Hébreux: « N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges » (Hé 13,2). Donc, elle le laisse pour aller vaquer aux occupations d’une bonne hôtesse tandis que Marie, au lieu de la suivre et de l’aider, reste au pied du maître, dont elle boit les paroles. Marthe est une femme d’action et une femme de caractère, comme il y en a tant dans le Premier Testament, et elle ne se gêne pas pour reprocher à Jésus de garder sa soeur auprès de lui et de lui laisser faire tout le travail. Heureuse d’accueillir leur ami Jésus et résolue à respecter les normes de l’hospitalité, elle s’agace très humainement et très logiquement du manque de coopération de sa soeur – et du détachement de Jésus dans l’affaire. Comme nous la comprenons ! Et nous nous interrogeons ?

Pourquoi cette attitude de Jésus ? Il me semble qu’il faut tout d’abord se remettre dans le contexte de sa mission et, partant, de sa prédication: il ne cesse d’annoncer la venue du Royaume de Dieu ; il attend la fin des Temps, c’est indéniable, et il lui faut préparer le peuple à cet évènement inouï qui mettra fin au monde terrestre et inaugurera un monde nouveau. Alors, lorsqu’il va à contresens des valeurs juives traditionnelles – les évangélistes en ont tous témoigné – c’est avant tout parce qu’elles lui semblent totalement superflues dans les temps qu’il vit. Rappelez-vous ses phrases-chocs : « qui est ma Mère, qui sont mes frères ? » ; « Laisse les morts ensevelir les morts » ; et celle-là encore : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ». Sans oublier cet avertissement : « Tenez-vous prêts, la ceinture aux reins, et les lampes allumées ». Dans ce contexte, il vaut mieux en effet se préoccuper de choses spirituelles que des soucis journaliers ; il faut se préparer pour la venue du Royaume de Dieu, désir ultime, réalisation ultime. Paul n’en pensait pas moins, lui qui attendait anxieusement le retour du Christ en gloire et voulait y préparer le monde païen – d’où ses exhortations à ne pas fonder de famille. Ce n’était pas le moment. Néanmoins, Jésus (ou le narrateur) fait peu de cas de la personnalité de chacune des deux soeurs. Or, on ne peut décider pour autrui car chacun réagit selon son tempérament, son caractère, ou ses goûts, voire son éducation. Toutes ces choses nous constituent, font notre personnalité. Et si Jésus n’a pas prononcé ces paroles dans le cadre de son discours eschatologique, au nom de quoi fait-il fi des choses qui sont nécessaires à la vie physique, affective, intellectuelle et sociale ; au nom de quoi il établit une hiérarchie entre les deux soeurs ? Les opposer ne peut que conduire à une impasse.

Cette petite péricope- car il s’agit de quelques versets seulement- firent en tout cas grand bruit dans l’Eglise, et les écrivains médiévaux virent dans ce récit l’affirmation de la supériorité et de la priorité du spirituel sur le matériel. Par matériel, il faut entendre ce qui est nécessaire à la vie physique, affective, intellectuelle et sociale, ce qu’il nous faut faire chaque jour pour assurer notre existence et celle des nôtres, pour exercer nos diverses responsabilités et ceci jusqu’à la fin des temps. Les Pères ont fait de ce récit le symbole de la vie humaine – Marie incarnant la vie contemplative et Marthe la vie active. Jusqu’à Luther qui disait « Marthe, Marthe, ton travail doit être réduit à rien » Ce qui n’empêcha pas le Réformateur de trouver son repos et son bonheur dans la maîtresse femme qu’il épousât, Käte de Bora : économe, organisée, infatigable. Mais l’Eglise se servit abusivement du récit pour montrer que la femme entrée en religion avait plus de valeur aux yeux de Dieu que la mère de famille, puisque Jésus avait dit à Marthe

Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas retirée.

Pain béni pour les misogynes qu’étaient les Pères de l’Eglise- et pour Paul qui_ voulait qu’une femme soit muette. Et voici pour des siècles la figure de Marthe cantonnée dans l’insignifiant, dans l’inutile, dans l’éphémère. Sans craindre de passer pour une féministe, je dirai qu’il était bien dans la mentalité du temps de préférer Marie la taciturne, la passive, à Marthe la loquace, l’active, celle qui, on l’oublie trop souvent, fut une des premières à reconnaître la messianité de Jésus. Car en Jean 11,1-44, récit de la résurrection de Lazare, la figure de Marthe prend un relief tout autre. D’abord, il est dit que Jésus « aimait Marthe, sa soeur et Lazare ». Ensuite, que Marthe, ayant entendu dire que Jésus arrivait, courut à son devant, alors que Marie « restait assise à la maison » (v.20), laissant les choses suivre leur cours. Et après que Jésus lui eut annoncé qu’il était, rappelez-vous, « la Résurrection et la vie », Marthe avait répondu : Oui, Seigneur, moi, je suis convaincue que c’est toi le Christ, le Fils de Dieu qui vient dans le monde.

Magnifique exemple de confession de foi que les théologiens, dans l’ensemble, négligèrent – à l’exception de Rudolf Bultmann. Dans son commentaire sur l’Evangile selon Jean, le grand théologien allemand écrit à propos de Marthe, dont il loue la foi forte: « La réponse de Marthe manifeste la vraie stature de la foi ». J’ajouterai que Marthe devint une figure de légendes au XIIe siècle – On disait qu’elle avait apprivoisé un dragon ? Et le dragon, dans l’imaginaire du temps, était une représentation de Satan. Deux siècles plus tard, les dominicains la vénéraient et Maître Eckhard, le mystique rhénan, dans un sermon sur le récit lucanien, démontra que Marthe était forte, active, entreprenante, alors que Marie était hésitante, et uniquement préoccupée de recevoir des bienfaits qui charmaient son âme(1). On ne saurait mieux dire. En quelque sorte, Marie représenterait la foi sans les ouvres de la foi. En revanche, celle de Marthe, pour utiliser une métaphore chère au langage biblique, est un arbre plein de fruits.

Les deux soeurs représentent en vérité les deux faces de l’être humain – être fait de chair et d’esprit -ou si l’on préfère, être de chair auquel Dieu a donné la vie par son souffle. Nous devons donc tous avoir en nous un peu de Marthe et un peu de Marie ; nous sommes tous appelés à nous préoccuper et du quotidien et de l’ultime : Dieu, vers lequel la partie spirituelle de nous-mêmes tend en vain lorsque l’autre partie pèse si lourd qu’elle l’empêche de s’élever. Je crois que nous ne devons pas considérer Marie sans Marthe car en Marthe et Marie, nous avons nos deux possibilités d’existence : la contemplation et l’action – ou plutôt je serais tenté de dire : l’illusion et l’action. Car c’est une illusion de penser que l’on peut vraiment se retirer du monde tout en restant dans le monde, comme le fait ici Marie qui n’existe, tout compte fait, qu’en opposition avec Marthe. Sans Marthe, elle ne pourrait pas même accueillir Jésus convenablement. Elle ne parle pas ; elle écoute. Les Evangiles l’ont rendu muette. Elle a choisi la meilleure part dit Jésus. En effet, trouver Dieu, être à l’écoute de Dieu, monter par l’esprit vers Dieu, c’est la préoccupation ultime de l’homme. Mais jusqu’à un point : ne pas négliger l’autre pour autant. Dieu ne cesse de réclamer notre amour; mais il nous demande aussi d’aimer notre prochain et Jésus d’ailleurs, l’a répété sans cesse : l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont complémentaires. A ces deux formes d’amour on peut ajouter l’amour de soi puisque le commandement qui nous est donné est en vérité : « aime ton prochain comme toi-même ». Celui qui ne s’aime pas sème des graines stériles qui ne donnent aucun fruit. Or le chrétien doit donner de bons fruits pour améliorer la condition humaine. Cela fait partie du plan divin ; Dieu a besoin de nous, ne l’oublions jamais. Et c’est ce que Jésus nous enseigne. Il n’a pas choisi et formé des disciples pour que ceux-ci poursuivent leur petite vie de pêcheur sur le lac de Tibériade ; il les a voulu pêcheurs d’hommes. Il n’a pas non plus écarté les femmes de sa vie : Marie de Magdala et d’autres disciples féminins l’accompagnait, l’assistait dans sa mission. Il n’a jamais non plus refusé à l’homme les bonnes choses de la vie. Jésus aimait la compagnie. Il n’a jamais été un loup solitaire ou un ermite, il n’a jamais choisi de vivre dans l’isolation. Sa vie a en fait été très agitée, parce qu’il avait compris que le temps lui était compté ; il parcourut sans cesse les routes de Judée, de Galilée, de la Samarie pour annoncer la venue du Royaume, guérir les malades, relever les paralysés, rendre la vue aux aveugles et la parole aux muets; il marcha jusqu’à l’épuisement, s’arrêtant ici et là pour s’adresser à des foules ; et vous avez pu constater que lorsqu’il était trop las seulement, il s’éloignait pour reprendre des forces. Il s’éloignait toujours aussi pour prier, pour se recentrer sur l’ultime : Dieu. Il reprenait ensuite pied sur la terre. Comme nous devons le faire, nous aussi.

Nous ne sommes pas parfaits. Cela nous est donc souvent difficile de parvenir à garder l’équilibre entre aspirations et devoirs. Nous sommes parfois déchirés par des désirs contradictoires et nous prenons mauvaise conscience. Il ne faut pas. Dieu nous aime comme nous sommes. Après tout, c’est lui qui nous a créés ainsi, capables de choisir entre le bien et le mal. Les penseurs hébreux avaient si bien compris le cour humain qu’ils avaient institué au nom du Seigneur le sabbat -jour durant lequel l’humain est invité à faire retour au temps de la création dans le silence retrouvé des origines et pour commencer, il est prié de renoncer ce jour-là à toutes les oeuvres qui font l’orgueil de l’être humain et qui ne sont, tout compte fait, qu’éphémères :

Buée des buées a dit l’Ecclésiaste littéralement, buée des buée, tout est buée.

Nous aussi, nous avons un jour consacré au Seigneur : Notre jour de culte. Pendant une heure le dimanche, nous nous éloignons du quotidien pour nous mettre à l’écoute de la Parole, chanter la gloire de Dieu et notre reconnaissance. Mais attention, pour que la Parole de Seigneur nous pénètre, il faut que nous mettions d’abord notre coeur en jachère. Comment sa Parole parviendrait-elle en effet jusqu’à nous si le chemin est encombré de soucis, de préoccupations matérielles, ou de passions bien terrestres. L’heure que nous consacrons à Dieu chaque dimanche est (ou devrait être) pour les uns et les autres comme un hiatus au milieu de l’effervescence et des soucis de la vie quotidienne ; elle est aussi l’instant ou le temporel rencontre l’éternel, en suscitant notre disponibilité spirituelle.

Amen


(1) Elisabeth Moltmann, op. cit. p.47.


Prédication de Liliane Crété, culte du 9 août 2015 – Texte : Jonas 1 et 2

Le livre de Jonas, sur le mode de la parabole, raconte une histoire, et comme toute histoire, il comporte un sujet, des personnages, une idée force. Le sujet est le repentir et le pardon les personnages principaux sont Dieu et Jonas, son prophète, et les personnages secondaires, les marins du bateau sur lequel Jonas, désobéissant à Dieu, s’est embarqué, et bien sûr les Ninivites. Tous ces personnages secondaires sont païens. L’idée-force, c’est de montrer que Dieu peut, dans sa grande miséricorde, se repentir de vouloir punir, repentir étant pris ici dans le sens hébreu de retour ou de conversion : les Ninivites se sont convertis, ont exprimé leur repentir et Dieu est revenu sur sa décision de détruire Ninive. Un seul verbe : Shub. Si important est le livre pour le peuple Juif que chaque année, à la fête de Kippour, il est lu en entier dans la synagogue.

Mais le livre de Jonas nous pose aussi une question, du moins les deux chapitres que nous avons lus ce matin : peut-on fuir Dieu ? Peut-on refuser une mission qui nous est confiée parce que le poids est trop lourd pour nous. et parfois aussi parce qu’elle va à l’encontre de ce que nous dicte notre conscience. Ce qui est le cas de Jonas le petit prophète. Il a été chargé par Yhwh d’une mission : aller prophétiser les Ninivites, peuple dont les abominations ne se comptent plus, afin qu’il puisse recevoir son pardon ; et Jonas est si confiant dans le pouvoir de son Dieu qu’il est sûr que les Ninivites, c’est-à-dire les Assyriens, lorsqu’il leur annoncera qu’ils ont trois jours pour demander pardon et que sinon, ils seront détruits, obéiront et seront pardonnés. Et cela il ne peut l’accepter. Comme nous ne pouvons accepter aujourd’hui, au nom du Christ, que l’on nous parle de pardonner aux assassins, aux tortionnaires, aux terroristes qui chaque jour commettent les crimes les plus abominables, des crimes à nos yeux humains, impardonnables. Oui, Dieu apparemment a compassion des Ninivites, alors Jonas fuit pour ne pas être un instrument de la compassion de Dieu.

Et il fuit le plus loin possible. Comme Eli, au temps du roi Achab et de la reine Jezabel, avait fui au lieu de poursuivre la mission que Dieu lui avait confiée. Par peur, par désespoir. Eli était si désespéré qu’il en vint à demander la mort. Jérémie aussi avait décrit en termes déchirants le poids de la parole divine : (Jer 20 7-9)

O Eternel, tu m’as séduit, et je me suis laissé séduire ; tu as eu le dessus, tu as vaincu. Je me dis bien : je ne veux plus penser à lui, ni parler en son nom ! Mais alors, il y avait au dedans de moi comme un feu brûlant, contenu dans mes os ; je m’épuisais à le dompter, mais j’étais vaincu.

Et rappelez-vous le cri de Moïse à Dieu : Efface-moi du livre que tu as écrit !

Jonas a cru fuir Dieu, mais Dieu était toujours là. A bord, Jonas sentait toujours sa présence. Alors, lorsque la tempête se déchaina, mettant en danger la vie des marins à bord, il se réfugia au fond du navire et quand les marins, devant l’impuissance de leurs dieux demandèrent à Jonas qui étaient son Dieu et de quel pays il venait, Jonas répondit en prophète, démontrant que son Dieu, le Dieu du ciel et de la terre, était maître des éléments et que pour calmer la tempête, il fallait qu’il le jette à la mer puisqu’il était la cause de sa fureur. Et c’est ainsi que Jonas, suscité par Dieu pour aller convertir les Ninivites, convertit les marins païens. Vous connaissez la suite : Dieu suscita un gros poisson qui avala Jonas. Le gros poisson, c’était une représentation du Sheol, le lieu des morts. Mais Jonas, après trois jours de prière de repentir à ce Dieu auquel il voulait échapper, fut délivré. Il partit alors pour Ninive remplir sa mission, et les ninivites se sont vêtus de sac, même le bétail, pour montrer leur repentir et Dieu a pardonné. Je vous signale que le livre de Jonas a été écrit bien après la destruction de Ninive : Dieu avait fait ouvre de justice car ils ne s’étaient en vérité jamais repenti, ou seulement un court moment, par peur.

Nous ne sommes plus au temps biblique. On dit que Jean le baptiseur a été le dernier prophète du Premier Testament, puisqu’il annonça la venue de Jésus le messie Et Jésus, au nom de Dieu, demanda à tous les hommes, les juifs d’abord, les païens ensuite d’aimer leur prochain comme soi- même, et même, si quelqu’un les frappaient sur une joue, de tendre l’autre. Bien difficile à accepter. Nous nous reconnaissons tous, je crois, en Jonas. Nous trouvons souvent que ce que Jésus, au nom de Dieu nous demande, est bien difficile et même parfois impossible à accepter. Et d’abord, qui est le prochain ? Tout homme, toute femme sur la terre puisque nous sommes tous des humains ? Ou bien le voisin, le parent, celui dont on est proche ? Celui que l’on aime ?

Il ne s’agit pas seulement d’une question de sémantique (les Anglais traduisent le « prochain » par « le voisin », justement, ce qui clarifie la situation mais ne résout pas le problème) On peut comprendre aussi que le prochain est celui qui souffre et qui a besoin de nous. Mais tous les autres ? Pouvons-nous les aimer ? On ne peut aimer par commandement, disait Kant. Les quakers, des gens admirables, ont pris au sérieux le commandement divin. « Tu ne tueras pas » (en réalité « tu ne commettras pas de meurtre ») Mais se laisser tuer est une chose, laisser tuer son prochain parce que l’on ne veut pas porter la main sur un agresseur, en est une autre. Si j’ai parlé des quakers, c’est parce durant la guerre de Sécession, ils refusèrent de combattre ; mais pour protéger leur famille lors de la marche des troupes de Grant sur Atlanta, ils prirent leurs fusils pour la défendre et tuèrent sans hésitation.

Dieu a-t-il pardonné aux soldats qui commirent de tels crimes ? A-t-il pardonné aux croisés qui naguère, au nom de Jésus Christ, se conduisirent de façon abominable dans tout l’orient ? A-t-il pardonné à Hitler, à Pol Pot, à Staline, à tant d’hommes dont les mains sont couvertes de sang ? Nous espérons qu’ils ont disparu définitivement après leur mort, nous espérons qu’il ne reste rien d’eux, pas même une parcelle infime du souffle divin, c’est-à-dire de l’âme, qui avait fait d’eux des êtres humains parce qu’on ne peut leur trouver une excuse pour leurs crimes. Dieu peut-être… Nous, nous sommes aussi révoltés que le petit Jonas à propos des Ninivites.

La religion juive, est marquée par l’éthique. Le Dieu de Jonas, contrairement aux divinités des peuples voisins qui se conduisent selon des critères humains forts débridés, disons-le, n’a qu’une exigence : l’aimer et aimer son prochain comme soi-même. Mais c’est dans la liberté que nous devons aimer. L’homme est autonome, et donc il est responsable de sa décision. C’est à nous de décider si nous faisons ce que Dieu nous demande, si nous écoutons et transmettons sa parole ou pas. Seulement il arrive parfois et même souvent, que le croyant, une fois prise la décision de ne pas écouter la voix de Dieu, au lieu de ressentir une délivrance, une impression de liberté extraordinaire, sent le poids de sa conscience.

Car parler de Dieu, ou plutôt parler de la Parole de Dieu, de son message, de sa volonté, c’est parler de notre conscience. Nous sommes en tant qu’humains pourvu d’une conscience qui nous permet de faire le choix entre le Bien et le Mal. Rappelez-vous d’Adam, tout nu, qui après avoir justement acquis la notion de Bien et de Mal, s’est caché derrière un arbre et même s’est fait un pagne en feuille de vigne. Rappelez-vous de Caïn, refusant de reconnaître son crime, qui répond à Dieu avec arrogance, lorsque celui-ci lui demande ce qu’il a fait d’Abel : « Je ne sais pas. Suis- je le gardien de mon frère ? » En quelque sorte, il accuse Dieu d’être responsable du meurtre d’Abel.

La conscience est le propre de l’homme. Contrairement aux autres créatures de la terre, nous – et ceci depuis la désobéissance d’Adam et d’Eve au Paradis, selon la Bible, nous en sommes pourvu. Ce qui fait notre supériorité. Sachant faire le choix entre le Bien et le Mal nous agissons dans la liberté. Nous sommes libres d’aimer qui nous voulons, libre de choisir nos amis, libres, comme l’était Jésus, de guérir le jour du Sabbath et, pour nous, libres d’aller au culte le dimanche ou pas, de lire la Bible ou pas, de prier ou pas, d’aller au bout du monde aider les victimes de la guerre ou d’une catastrophe dite naturelle. Mais ce grand vent de liberté ne peut jamais étouffer la voix de Dieu en nous car cette conscience qu’il nous a donnée fait partie de notre humanité. Elle est indélébile. Lorsque nous menons notre vie dans une autre direction que celle voulue par notre Créateur pour que le monde soit plus beau et plus juste, un sentiment de malaise nous saisit. La voix de notre conscience crie en nous : es-tu sûr de ne pas te tromper de route ? En refusant la proximité avec Dieu, comprends-tu que tu éloignes la venue du Royaume ? Tout cela, nous le savons, néanmoins, nous essayons de nous échapper le plus loin possible pour ne plus entendre cette voix. Mais elle est toujours là et nous répète : l’amour que tu as pour Dieu doit rejaillir sur l’homme, quoi qu’il t’en coûte. Je crois que ce qui est le plus difficile pour un chrétien : c’est de conjuguer l’obéissance avec la liberté. Et ne croyez surtout pas que le bon chemin pour que vienne le Royaume, c’est de rejeter notre humanité, avec toutes les joies et les chagrins que comportent la vie. Pendant des siècles, les têtes pensantes du christianisme ont privilégié la vie monastique et même le cloître pour les femmes, alors que Dieu a fait l’humain mâle et femelle afin qu’ils se reproduisent et développent sa création, qu’il a fait si belle. Point n’est besoin de répudier le monde sensible pour se rapprocher de Dieu, pour écouter sa voix. Nous ne sommes pas des prophètes. Mais nous avons notre rôle à jouer dans l’ouvre divine. Dieu nous y invite. Si le chemin vous semble dur, sachez qu’il demeure toujours auprès de vous. Comme il est demeuré auprès de Jonas qu’il a retiré du ventre du gros poisson. Il compte sur chacun de nous pour faire venir le Royaume, pour améliorer son ouvre créative, et ne prenez pas mauvaise conscience si vous vous en sentez incapable. Dieu connait nos faiblesses. Il nous pardonne parce qu’il nous aime, comme un père aime ses enfants. Il faut néanmoins savoir que si nous avons besoin de Dieu pour donner un sens à notre vie, Dieu a besoin de nous pour réaliser, justement, ce qui donne un sens à notre vie.

Amen


Prédication de Liliane Crété, culte du 2 août 2015 – Texte : Exode 3, 1-10 ; Galates 3, 19- 29 ; Marc 1, 21-34

Dieu le libérateur

Les textes que nous avons lus ce matin ont ceci en commun : ils parlent de liberté, de libération, de délivrance, des thèmes qui nous sont chers : délivrance du malheur d’un peuple pour le premier, délivrance de la malédiction de la Loi pour le deuxième, délivrance de la maladie et des démons qui aliènent l’homme, pour le troisième. Et délivrance du dogme populaire de la rétribution individuelle pour toute faute commise. Dans chaque souffrance, les juifs et d’autres peuples à l’époque, voyaient une épreuve divine : chaque malheur était ressenti comme une punition de Dieu. Le mal ne pouvait être gratuit : l’homme était responsable par son comportement de la colère de Dieu. La vindicte divine pour les chrétiens – du moins depuis Augustin, au IVe siècle – poursuivit même le pécheur au-delà de sa vie terrestre et le châtiment devint alors éternel. La souffrance de ceux condamnés selon l’Eglise aux flammes de l’enfer, ne cesseraient jamais. Même le purgatoire, lieu de purification « provisoire », qui n’a pas sa place dans la Bible, fut compris comme un lieu de douleur. Dieu châtie bien après la mort. Que s’est-il passé ? Comment le Dieu libérateur qui s’adressa à Moïse au Sinaî, l’invitant à rassembler son peuple pour le conduire vers une terre de lait et de miel, et qui des siècles plus tard envoya Jésus Christ pour nous délivrer des lois étouffantes du judaïsme, a-t-il pu se transformer en un Dieu vengeur, comptable des fautes des hommes et, comme un contrôleur des impôts, les poursuivant après leur mort pour recouvrement de leurs dettes ?

La réponse est claire : il s’agit là d’une perversion du christianisme. C’est pourquoi j’aimerais que nous nous arrêtions sur le texte de Marc, qui raconte le premier « miracle » de Jésus parce que cet épisode, qui lance sa mission, montre un Dieu qui délivre, redonne la vie ; un Dieu qui va remettre l’homme debout et mettre fin à la logique de la dette.

Le peuple Juif attendait un Messie qui viendrait mettre un terme aux souffrances terrestres ; les prophètes l’avaient annoncé : le Dieu de la libération et de l’Exode enverra un Sauveur qui appellera son peuple hors de l’oppression et établira le royaume sur la terre. Et voici qu’un jour arriva Jésus ; il prêcha au milieu d’eux et sa première action selon Marc, fut de délivrer un démoniaque dans une synagogue (Mc 1, 21-28). Le choix de ce miracle parmi tant d’autres est significatif : pour l’évangéliste, Jésus est avant tout le libérateur : l’homme possédé était aliéné, exclu de la communauté ; il n’avait plus même de voix : le démon parlait à sa place. En chassant le démon par la puissance de la Parole, Jésus libère l’homme et le rend à son humanité. Étant donné que l’espérance messianique et eschatologique était dans l’air du temps, ce premier miracle public peut être compris comme le premier combat des Derniers Temps, annonciateur de la proximité du règne de Dieu. « Sa renommée se répandit aussitôt partout dans toute la région de Galilée », dit Marc. Parole libératrice qui stimule et met en marche.

Le deuxième récit de miracle de l’évangile selon Marc est la guérison de la belle-mère de Pierre. Là encore, il y a délivrance et mise en marche. : « la fièvre la quitta et elle se mit à les servir ». Après la belle-mère de Pierre, Jésus guérit encore des malades et chassa des démons. L’idée de sanction, de rétribution pour le péché commis, n’a pas sa place dans les Evangiles. Jésus guérit au nom du Père, et pardonne au nom du Père. A nous, il est seulement demandé de croire. Crois et marche; Crois et lève-toi ; Crois et va. Crois et sers.

Au nom de Dieu, Jésus a libéré l’homme mais il faut bien le dire, même si nous ne croyons plus au dogme de la rétribution individuelle pour les péchés commis, de même que nous ne croyons plus aux peines éternelles de l’enfer, nous devons toujours faire face au problème du mal : qu’on ait ou non la foi, le Mal malheur, nous le constatons chaque jour, est toujours présent dans le monde. La foi en vérité, fait éclater le problème du Mal : croit-on en Dieu malgré le Mal ou à cause du Mal ? Question que notre besoin d’absolu nous amène à poser, comme aussi cette autre : le Mal serait-il là pour montrer à l’homme où est le Bien ? Ou pour faire germer en lui la nostalgie du Bien ? Ou même, sans le Mal, est-ce que nous chercherions Dieu ?

A ces interrogations métaphysiques qui nous tourmentent d’autant plus qu’elles sont sans réponses, est-ce que nous ne pourrions substituer un autre questionnement plus prosaïque, plus réaliste, et finalement plus évangélique: que pouvons-nous faire pour améliorer l’existence humaine afin que le Bien l’emporte partout sur le Mal, c’est-à-dire afin que les justes ne souffrent plus pour et par les injustes. Je ne crois pas à la fatalité, je ne crois pas non plus que Dieu ait voulu une humanité souffrante. Et je ne crois pas à la douleur libératrice, à l’« imitation » de Jésus Christ par la souffrance. Je n’aime pas cette image doloriste du christianisme. Alors je vous en propose une autre : celle du croyant partenaire de Dieu dans la création Jésus l’a délivré de ses démons et l’a mis en marche par l’autorité des pouvoirs que Dieu lui a conférés, voici deux mille ans. Mais il n’a pas dit que le mal cesserait ; il n’a pas dit non plus que la délivrance signifiait la fin de la Loi. En tant qu’éthique, la loi existe toujours, mais dépouillée de tout ce qui peut entraver la progression du chrétien vers l’ultime : Dieu. Et il nous a confié le monde, ne l’oublions jamais.

A nous de faire en sorte que notre piété, ou notre foi, soit utile C’est ce que réclame de nous d’ailleurs l’apôtre Paul, l’athlète du christianisme. Dans I Timothée, 4.8, conseillant au chrétien de s’exercer à la piété, il écrit que la piété, contrairement à l’exercice physique, est utile à tout puisqu’elle possède la promesse de la vie, de la vie présente comme de la vie future.

Paul n’a pas connu le Jésus terrestre, mais il a eu la vision du Christ ressuscité et il a été transformé. Son message est donc post-pascal. C’est pourquoi son enseignement diffère parfois radicalement du message de Jésus et finalement le modifie et nos Eglises, en particulier celles de la Réforme, ont parfois trop tendance, me semble-t-il, à confondre Jésus et Paul. Par ses paraboles et ses miracles, Jésus, lui, annonçait la fin des temps et l’arrivée du Royaume. Son discours était le plus souvent eschatologique. Il nous préparait à une autre vie qu’il sentait proche et d’ailleurs, avoir pouvoir sur les démons, chasser les démons, était vu au temps de Jésus comme le signe de l’approche des Temps nouveaux. Jésus pensait que sa mission était de nous y préparer. Lui-même se sentait prêt à mourir pour que vint le plus vite possible ce moment ultime.

Entre la prédication de Jésus, que nous rapporte Marc, et la conversion de Paul, il y a eu Pâques. Paul n’a pas à annoncer la proximité du règne, mais il proclame que la venue et le règne de Dieu sont devenus évènements dans la crucifixion, l’élévation, la résurrection du Christ, et il est l’un des premiers à mettre en pratique le message évangélique. Par sa vie nouvelle en Christ, il prend part à l’action et à l’histoire de Dieu avec les hommes. Aux communautés qu’il a formées, il prêche la liberté, mais pour lui, l’homme n’est libéré que pour devenir esclave, ce paradoxe, vous le savez, est repris par Luther et par tous les protestants après lui, en théorie du moins : la justification par la foi fait entrer le chrétien dans une éthique de liberté et de service : Justifié par la foi, et donc libéré de la préoccupation ultime de l’homme qu’est le salut, le chrétien peut devenir un « serf » pour son prochain, écrit Luther dans la Liberté du Chrétien. Si tel était le cas pour tous, si nous étions un peuple de « saints » en marche pour faire avancer le règne de Dieu sur terre, pourrions-nous dire que nous aurions vaincu le Mal ? Sûrement pas.

Les nobles convictions et les réalités vécues n’évincent en rien le problème du Mal, mais le reconnaître, c’est déjà nous amener à chercher la bonne route pour naviguer au milieu des écueils de notre vie terrestre. Par notre bonne volonté, notre action et un comportement responsable, j’insiste particulièrement sur ce dernier point, nous pouvons sûrement atténuer les effets du Mal/Malheur. Un premier pas serait de nous interroger sur le sens que nous donnons au mot « liberté ». Car être libre, cela peut être s’abandonner à ses instincts, sans se préoccuper des conséquences, pour soi et les autres ; cela peut conduire à vivre hors des lois, indispensables pourtant dans toute société pour empêcher les plus forts d’écraser les plus faibles, ou, à rejeter la morale la plus élémentaire, pris dans l’ivresse d’une liberté mal comprise ; ou encore, c’est s’abandonner au vertige du néant.

La liberté que Jésus nous offre est autre : elle s’accompagne d’une soumission à sa parole qui est parole d’amour. Et donc, son appel à l’obéissance est le contraire de tout légalisme. C’est un appel de grâce, un commandement de grâce qui doit nous pousser vers le monde, non s’en écarter. Chacun à sa manière, chacun selon sa force, sa vocation, ou son talent, est appelé à rendre ce monde plus beau, plus paisible, plus juste, plus joyeux. Dieu a besoin des hommes, et si nous sommes rendus libres, c’est justement pour discerner Sa volonté et travailler avec lui. Nous devons agir, autour de nous, ou au loin, peu importe ; avec de grands moyens ou de petits moyens, peu importe. Ce qui compte, c’est d’agir. Nous aimerions mettre un terme aux conflits qui endeuillent notre planète, empêcher les pôles de fondre, faire qu’il n’y ait plus de famine, de tremblements de terre, d’inondations et autres catastrophes dites naturelles, ce que nos amis anglo-saxons appellent les « actes de Dieu », et nous nous sentons impuissants et découragés. Mais il faut que nous comprenions qu’un sourire offert, une main tendue, un regard attentif, peuvent atténuer une peine, éclairer une solitude, calmer une douleur ; il faut que nous sachions que partager les joies et les chagrins, faire taire les rancunes tenaces ; mettre fin à des conflits familiaux, renouer les fils d’une amitié abandonnée ; apporter ses deux poissons et ses cinq pains, c’est déjà répondre au commandement de grâce du Seigneur et c’est remplir notre coeur de joie.

En tant qu’hommes et femmes libres d’agir et de vouloir, nous devons et pouvons trouver notre épanouissement dans cette participation à l’oeuvre de Dieu. Albert Schweitzer conseillait à ses catéchumènes : « Surtout, restez toujours en pleine action. Vous ne pouvez savoir ce qu’est l’action et quel rôle elle joue dans la vie intérieure. Que vaudrait un homme qui n’agit pas, qui n’utilise pas ses dons et ses forces et toutes ses possibilités pour apporter son aide là où des hommes en ont besoin. » Et il rappelait le « sursaut de joie » que le croyant éprouvait après une bonne action. La bonne action, disait-il est « une source de vie indispensable à l’âme ».

Agir, c’est également prier. Prier Dieu, encore et toujours, pour qu’il nous délivre du mal et pour qu’il nous conserve les plus précieuses des libertés : la liberté de conscience et la liberté d’action.

Amen


Prédication de Liliane Crété, culte du 26 juillet 2015 – Texte : Psaumes 42 ; Job 23

Où est Dieu ?

Le mutisme de Dieu devant les malheurs du monde et les appels de ses enfants ne cessent de nous questionner, de nous tourmenter. Pourquoi Dieu n’agit-il pas ? Pourquoi ce silence ? Nous pourrions aujourd’hui pousser les mêmes cris que le psalmiste, ou Job, victime innocente, et tant d’autres personnages de la Bible encore. Que fait Dieu lorsque ses enfants souffrent et meurent ? Pourquoi reste-t-il silencieux lorsque ses enfants l’appellent dans un cri de détresse et d’amour ? Dans les camps de la mort, quelle victime de la Shoah ne s’est posé cette question : où est Dieu ? Ce qui fit dire à un compagnon d’Elie Wiesel, devant la longue agonie d’un enfant pendu, que Dieu lui-même était au bout de la corde. Le bourreau avait ce jour-là pendu Dieu. Il reste que devant le silence incompréhensible de Dieu, l’homme se pose toujours une même question : pourquoi ? Et que répondre à ceux qui nous disent, moqueurs : « Où est ton Dieu » ? « Existe-t-il seulement ? ». Peut-être est-il mort ? » Le psaume 42 apporte la plus magnifique des réponses. Le psalmiste, certes, reproche à Dieu de l’avoir oublié dans son malheur ; mais il termine son chant par une proclamation de foi :

« Pourquoi être abattu, pourquoi gémir sur toi-même ? Attends Dieu ! Je le célébrerai encore ; il est mon salut et mon Dieu » (ps 42, v.12)

Un Dieu muet est impensable pour le peuple de l’Alliance. De même qu’un Dieu absent. C’est pourquoi le silence de Dieu occupe une telle place dans le Premier Testament :

« Vers toi, Yahweh, je crie… de peur que, toi muet, je ne ressemble à ceux qui descendent dans la fosse » (Ps 28,1): Une plainte, un cri répété au fil des pages: « Yahweh, pourquoi te tiens-tu si éloigné » ; « Que mon cri parvienne jusqu’à toi » ; « Pourquoi te caches-tu au temps de la détresse » ?

« Ecoutes ma plainte », dit Job : « Je t’appelle au secours et tu ne réponds pas ; je me tiens debout pour que tu fasses attention à moi ». Et encore ce cri : « Ah ! s’il y avait quelqu’un pour m’écouter ! »

Désarroi de l’homme croyant devant le silence de Dieu. Pourquoi ne répond-il pas à son appel, maintes fois répété. En restant muet, Dieu donne au Juste l’impression qu’un mur a été élevé entre eux. Peut-être que Dieu parle, mais il n’entend pas sa voix :

« Il m’a emmuré pour que je ne sorte pas ; il a fait peser des chaînes sur moi. J’ai beau crier et appeler au secours, il ferme tout accès à ma prière. Il a muré mon chemin avec des pierres de taille ; il a fait dévier mes sentiers », se lamente Jérémie. (Lm 3, 7-9)

Explorant le mystère du mutisme de Dieu, le Second Esaïe en vient à penser que le silence pèse parfois à Dieu autant qu’à l’homme: « J’ai gardé le silence depuis longtemps, dit Yahweh par la bouche de son prophète; je me suis tu, je me suis contenu. Comme celle qui enfante, je geins, je souffle, je suis haletant » (Es 42,14). Et plus loin, il clame : « Sourds, entendez ! Aveugles, regardez et voyez ! Qui est aveugle, si ce n’est mon serviteur ? Qui est sourd comme mon messager que j’envoie ? [ .] Sourds, entendez ! Aveugles, regardez et voyez ! » A quoi bon parler à son peuple puisqu’il n’a rien voulu entendre. Le peuple souffre de ce silence, mais il est clair que Dieu aussi, souffre de ne pas être écouté par ses enfants.

Sans doute sommes-nous partis d’un malentendu. On nous a dit et répèté que Dieu est tout puissant, qu’il a mis en ordre le chaos et qu’il a tout créé : le soleil, les étoiles, les plantes, les bêtes, les hommes; qu’Il règne sur le ciel et sur la terre et qu’il est sage et miséricordieux. Alors comment peut-il laisser souffrir des innocents ? On l’a imaginé dans les Cieux, entourés de ses anges, et on lui a opposé Satan, plongé dans un étang de feu avec ses mignons. L’Eglise, un temps, a même imaginé les anges gardiens, des êtres invisibles que Dieu aurait créés pour nous protéger, et on a remplacé peu à peu le Dieu libérateur de Jésus Christ par un Dieu comptable, qui pèserait les bonnes et les mauvaises ouvres des hommes pour décider de leur lieu de séjour après la mort, et pendant longtemps on a lié malheur et péché.

Il me semble que nous devrions avoir toujours présent à l’esprit le fait que Dieu nous a laissé la responsabilité du monde et donc de l’humanité. Il nous a voulu libre d’agir par nous-mêmes et, il attend que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel, ainsi que nous le disons chaque jour dans le « Notre Père ». Il est clair qu’il ne veut pas se substituer à notre responsabilité éthique ; mais cela, c’est difficile à l’homme de l’admettre. Dieu est à nos côtés mais il n’est pas là pour faire des miracles ; il est là pour nous aider dans le cheminement de la vie. Il nous parle, mais nous ne l’entendons pas parce que nous sommes obsédés par nos préoccupations et que ce que nous attendons de lui, comme les foules qui suivaient Jésus, c’est un « signe », un « acte de puissance ». Comme nous aimerions qu’il arrête les trains fous, retiennent les avions en perdition, le couteau du tueur impitoyable, la maladie qui ronge. Quand la terre tremble, se fend et englouti hommes et bêtes, nous nous interrogeons ? Où est Dieu ? Comme nous aimerions qu’il réponde à nos prières.

Mais ce n’est pas ainsi, qu’il faut comprendre la relation que l’humanité a avec son créateur. Dieu a créé le monde en dehors de lui et il s’est retiré au bout de six jours afin de faire une place à l’homme. Et celui-ci, en mangeant le fruit de l’arbre du Bien et du Mal, est devenu responsable de son comportement comme aussi du bon ordre du monde. Oui, lui, le Tout-puissant, de sa propre volonté, a créé des êtres libres d’agir par eux-mêmes et sans doute, les vieux prophètes d’Israël avaient raison de penser que Dieu souffrait lorsqu’il voyait ses enfants se mal conduire. Dans cette souffrance que nous ressentons devant le silence de Dieu, nous avons l’impression d’être des orphelins abandonnés. Mais je crois que l’on oublie trop souvent que Dieu est esprit, et que les créatures, nous, ne peuvent l’atteindre qu’en esprit. Ne confondons pas Dieu et Superman. Nous n’entendons plus sa voix, nous ne ressentons plus sa présence. Nous pensons qu’il s’est retiré. Peut-être qu’il nous parle mais, nous n’entendons pas sa voix, parce que nos préoccupations font un écran entre lui et nous. Sa voix est parfois inaudible – rappelez- vous d’Elie dans sa caverne : Dieu s’adressa à lui avec une « voix de silence ». Mais Elie, l’homme de foi, l’entendit. Et il comprit ce que Dieu voulait de lui.

Sa parole, nous la recevons depuis l’aube des temps, et nous la recevons tous les jours. Mais nous ne comprenons pas toujours son message, ou nous n’en faisons pas bon usage et nous nous égarons hors du chemin de la vie « bonne » qu’il a tracé. Croyez moi, Dieu; est toujours prêt à écouter notre plainte. Parlons lui, comme Jésus le faisait, en s’écartant sur la montagne. Elevons notre voix vers lui, dans les chants du dimanche ; élevons nos voix vers lui dans notre prière du soir ou du matin. Ou tout simplement dans le silence d’une chambre close, ou d’un lieu solitaire. Ouvrons lui notre coeur. Nous n’avons pas besoin de prononcer des mots. Notre moi intérieur s’ouvre vers lui et le rejoint. Nous voyons que Jésus lui-même a connu cette détresse. Le Père m’entend-il ? Peut-il éloigner de moi la coupe qu’il sera seul à boire Notre moi intérieur s’ouvre vers lui et le rejoint. Jésus lui-même a connu cette détresse, alors qu’il se trouvait dans le jardin de Gethsémané : le Père m’entend-il ? Peut-il éloigner moi la souffrance qui m’attend ? Selon Luc, un ange apparut du ciel pour lui redonner des forces. Ses disciples, ses amis, eux, dormaient. Touché par la souffrance de Jésus, l’ange (peut-être un passant) s’approcha de lui pour le réconforter. Les anges ont fait leur temps, mais nous, les humains, sommes là pour répondre à la demande de l’Eternel. Il nous a confié sa création. Et tant pis si les ses voies nous restent obscures. Faisons de notre mieux pour panser les blessures des uns et des autres. N’abandonnons personne en chemin, ne baissons pas les bras, ne nous laissons pas découragés par l’ampleur de la tâche. Agir, c’est ce que Dieu attend de chacun d’entre nous.

Avec la mort du Christ et sa résurrection, le royaume s’est mis en marche. Nous devons croire et espérer « malgré tout », et prendre conscience que Dieu est toujours présent, même s’il ne communique pas toujours. Même si nous avons parfois l’impression qu’il se tient « en retrait », nous devons espérer dans le présent autant que dans l’avenir ; plus encore, peut-être, sachant que l’espérance est au centre même de la foi chrétienne, non à la fin. « Le christianisme, comme le dit si bien Jurgen Moltman, est tout entier eschatologie, c’est-à-dire qu’il n’est pas seulement à venir. Et c’est à nous de gérer le présent, et de le faire avec détermination et courage, malgré les malheurs qui nous entourent, malgré les injustices, malgré les souffrances, Mais pour cela, il faut la foi, sans laquelle l’espérance ne peut être.

La foi est confiance ; elle est le lien qui unit à Dieu. Elle est la force qui nous fait avancer dans la vie et avancer sans crainte ; c’est un oui que nous prononçons à la vie parce qu’elle est bonne « malgré tout », et que Dieu, en nous confiant le monde, nous a donné le pouvoir de la rendre meilleure. La foi en Dieu, c’est l’espérance en une vie où les tourments sont surmontés parce qu’elle nous permet de maintenir le cap malgré les vents contraires qui nous poussent à rebrousser chemin alors même que nous sommes invités à rejoindre la grande chaine des bonnes volontés qui s’unissent pour défendre les causes justes, et secourir ceux qui souffrent et n’en peuvent plus. La foi, liée à l’espérance, est ce qui fait tomber les vents contraires et nous permet de poursuivre notre route et d’embrasser la vie, avec ses vents de tempête inévitables, mais aussi ses alizés.

Dieu n’est pas absent. Il est dans nos prières, dans nos chants de louanges, dans nos cris de détresse, dans nos révoltes. Il est dans la beauté du monde, dans l’âme humaine, dans toute vie. Regardez la majesté des arbres, la beauté des bourgeons naissants, des feuillages et des fleurs aux mille couleurs, et souvenez-vous avec reconnaissance que cette nature, c’est lui aussi qui l’a créée.

Et sachez que lorsque nous disons : « Ah, si je pouvais parler à Dieu », nous rompons déjà le silence.

Amen


Prédication de Liliane Crété, culte du 19 juillet 2015 – Texte : Genèse 1, 31 et 2 1-3 ; Jean 3, 1-13

Qui est Dieu ?

Nous avons lu ce matin deux beaux textes. Le premier, considéré comme le plus tardif des textes du Premier Testament, est un hymne au Seigneur Dieu, créateur en six jours du Ciel et de la Terre et de tout ce qui y vit. Le second, montre Jésus, considéré comme Fils de Dieu, avec toute l’ambigüité du terme, ici présent comme révélateur des « choses du Ciel », choses que l’homme ne peut comprendre qu’en « naissant à nouveau » ou « d’en haut » Mais Nicodème, tout érudit qu’il est, ne comprend pas ce qui provoque un quiproquo et nous amène à nous interroger sur Dieu, ce qu’il était pour les Hébreux du temps de Jésus, et ce qu’il est pour nous aujourd’hui.

Et une première question se pose à nous : peut-on se fier aux récits bibliques ? Avec le premier Testament, nous avons en quelque sorte une biographie de Dieu et le mot n’est pas trop étrange puisque les auteurs des livres qui le composent lui ont donné des traits anthropomorphiques. D’où les actions et les réactions très « humaines » d’Elohim (dieu en hébreux), dont le nom, lorsqu’il devint le Dieu d’Israël, fut « Je suis qui je suis », nom indiqué par un tétragramme imprononçable, montrant bien ainsi qu’il est le « tout autre ». Ce qui est particulièrement intéressant, lorsque l’on veut tenter de comprendre qui est Dieu, c’est qu’il a beaucoup parlé, et même avant la création de l’homme. Il n’a pas d’interlocuteur alors il soliloque. Dieu se parle et il est très content de son oeuvre. Ses mots sont abrupts, définitifs et ainsi les auteurs du premier texte de la Genèse peuvent montrer à l’humanité la domination divine. Mais sa création reste imparfaite puisque le Mal y règne. A la fin du XVIIe siècle, le philosophe allemand Leibniz, que la question du mal sur la terre tourmentait, rejeta la conception augustinienne du péché originel et, s’interrogeant sur les imperfections du monde, avança l’idée selon laquelle rien n’arrive sans raison et Dieu avait choisi, parmi tous les modèles de mondes possibles, celui qui lui semblait le meilleur. J’aime cette définition.

Avec la création donc du « meilleur des mondes possibles », Dieu s’est offert des interlocuteurs doués d’intelligence, pour que Sa gloire lui revienne comme dans un miroir ; nous sommes mis sur la terre pour louer sa grandeur mais aussi pour travailler avec lui afin de poursuivre son ouvre, et le Premier Testament raconte à l’envie, tant par le mythe que par des faits historiques, les rapports tumultueux de Dieu avec le peuple qu’il s’est choisi ou plutôt, je crois, celui qui a répondu à son appel. Il nous apparait dans un premier temps versatile, passionné, terrible dans ses jugements et ses châtiments, mais aussi, semblable à un amant abandonné, ou un Père trahi par ses enfants. Ainsi le montre le prophète Osée : après avoir fait le procès d’Israël et tonné contre son peuple infidèle, Dieu lui confesse son amour (Os 112, 8-9):

« Mon coeur est bouleversé, toute ma pitié s’émeut. Je n’agirai pas selon ma colère ardente,
je ne reviendrai pas détruire Ephraïm, car je ne suis pas un homme mais Dieu
. »

Les exemples de son amour pour l’infidèle Israël/Ephraïm sont nombreux dans les livres prophétiques et nous constatons qu’à mesure qu’il s’universalise, Dieu, de démiurge terrifiant et capricieux devient un Père, et s’il châtie, c’est en Père aimant. C’est ainsi que le perçoit d’ailleurs Jésus Christ. « Nul ne connait le Père sinon le Fils », dit-il à plusieurs reprises. Peut-on dire alors que Dieu s’est transformé ? Ou bien n’est-ce pas plutôt la perception que nous avons de lui qui a changée ? Ce qui est sûr, c’est que notre Dieu, qui est le Dieu de Jésus Christ, rappelons-le, n’est pas immuable comme celui de Platon mais qu’il est entrainé dans la même dynamique que le monde. Le monde bouge, évolue, et Dieu aussi : c’est pourquoi, l’idée de transformation et l’idée de l’avènement d’une nouveauté doivent être pensées ensemble pour comprendre ce qu’il est pour nous. C’est pourquoi, à intervalles réguliers, et afin d’aider l’homme à garder le chemin qu’il a tracé, il a suscité des prophètes. En rapprochant les textes des prophètes des évangiles, nous prenons conscience de l’évolution de la perception divine et des rapports de l’homme avec le divin.

Dans la relation entre Dieu et l’humanité, Jésus ouvre une ère nouvelle dans la mesure où il est vu en libérateur des lois astreignantes qui se sont accumulées au cours des siècles chez les juifs – ainsi les bains rituels qui ne sont pour lui que tradition humaine et d’autres encore – pour ne garder que celles qui rapprochent de Dieu, appellent à la vie, font avancer le Royaume et se résument en ces deux commandements :

Le premier, c’est écoute Israël ! le Seigneur notre Dieu est un,
et le second : tu aimeras ton prochain comme toi-même
.

Se voit-il vraiment en Fils de Dieu ? Ou est-ce seulement une question de sémantique ? Il n’est pas vain de dire que nous sommes tous les fils et les filles de Dieu. Alors peut-on dire que Jésus se voit en prophète ? En vérité il ne parle de lui en tant que prophète qu’à la troisième personne. Il est clair néanmoins qu’il se considère d’une certaine façon comme un prophète et que tel un prophète, il sera rejeté par les siens et finalement mis à mort. Pour les juifs qui l’écoutent, en tout cas, il apparaît comme un maître et un nouveau prophète et peut-être même comme le nouvel Elie. Pour le grand théologien allemand Gerd Theissen, et je suis d’accord avec son analyse, Jésus a accepté les deux rôles de maître et de prophète. Dans le premier rôle, il a connu le succès, dans le second rôle, l’échec qui mènera à la mort. Dans ces deux rôles, dit encore Theissen, Jésus a manifesté son charisme en accueillant les attentes de son peuple et en les transcendant.

Jésus est en vérité plus qu’un maître et un prophète. Lui-même a pleinement conscience d’être envoyé par Dieu pour remplir une mission qui est avant tout d’annoncer le Royaume, que cette mission sera un échec – puisque le peuple finalement le rejettera – mais aussi, que la mort n’est pas une fin mais un nouveau commencement. La prédication de Jésus est en général franchement apocalyptique. Il remet debout les hommes, afin de les entraîner dans le monde de l’a-venir, ce Royaume qu’il attendait de son temps, qu’il n’a cessé d’annoncer, et qui, d’une certaine manière, est déjà là, puisqu’il intervient dans la vie de chacun de nous pour peu que nous entendions son message. « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Son enseignement ne fut pas compris par tous en son temps, ou fut mal compris et il l’est encore aujourd’hui. Comme Nicodème, nous avons du mal à comprendre ce que signifie « naître à nouveau » Ou d’ « en haut ». Seulement après la mort et la résurrection de Jésus, ses disciples en saisirent la signification. Ses paroles devinrent alors pour eux une force agissante, comme elles devraient l’être pour nous aujourd’hui surtout lorsque nous traversons des zones de turbulences et des périodes de doute. Jésus nous mène sur une route qui doit changer notre vie puisqu’elle mène à Dieu, et si nous nous laissons porter par son message, nous sentirons sur nous, dès maintenant, le souffle vivifiant de l’esprit divin. Les formulations peuvent changer avec les époques, et les récits évangéliques peuvent nous paraître un peu naïfs, voire peu crédibles, mais ce qui est éternel, quels que soient les mots employés, demeure vérité vivante. La création du monde n’est pas due au hasard, elle est trop parfaite. Du moins je le pense. Mais aussi, comment pourrions-nous imaginer un être suprême, créateur du ciel et de la terre, si l’Esprit saint n’avait pas soufflé sur nous pour nous mettre en contact avec lui ? Je ne le répèterai jamais assez : Dieu appelle chacun et chacune d’entre nous à faire alliance avec lui pour construire le « meilleur des mondes possibles ».

Suivons Jésus. Il nous met en route. Il nous accompagne sur cette route. Il marche devant nous. De la Loi juive, il a gardé ce qui libérait l’homme et le rapprochait de Dieu. Il ne l’a pas abolie, comme on l’a dit trop souvent ; bien au contraire, il l’a accomplie et ce faisant, lui a donné un autre sens. Il ne nous invite pas seulement à avoir foi en Dieu, à l’aimer, à l’honorer et à faire du bien à notre prochain ; il nous invite à changer notre compréhension de la loi et des rites et, partant, de notre relation à Dieu. Jésus nous arrache à nos idées et à nos passions trop « mondaines » ; il ne nous demande pas de nous retirer du monde, mais bien au contraire d’appliquer son enseignement dans notre vie ; et il nous apprend à garder des moments de disponibilités dans le bruissement du quotidien, pour nous laisser remplir par la présence de Dieu et nous préparer à la plénitude de la vie dans l’éternité. Nous vivons une époque de disette intérieure ; nous sommes pauvres en esprit. Le matérialisme nous envahit. Le Christ nous rappelle que Dieu nous aime et nous cherche, malgré tout. Alors laissons-nous trouver.

Le monde n’a sans doute plus besoin de prophète : il suffit à l’homme de suivre Jésus pour connaître Dieu le Père et l’aimer. Il veut qu’on l’aime, que l’on s’abandonne à lui et que l’on agisse par amour pour lui, non par peur, par contrainte ou par habitude. Nous n’avons pas besoin de lui offrir des holocaustes pour qu’il nous agréé et nous aime. Bien au contraire, ceux qui s’appuient sur leur comportement exemplaire et sur le bien qu’ils font autour d’eux pour penser qu’ils sont agréés par Dieu se trompent. Nicodème est un sage. Mais il n’a pas compris, ou plutôt pas compris encore qui était Jésus, et ce qu’il voulait de lui. Il n’y a pas hésitation mais incompréhension. Le Jésus johannique ne cesse d’ailleurs de jouer sur l’équivoque, le malentendu, afin de faire sortir ceux qui l’écoutent de leurs convictions et de leurs espérances en un Messie qui viendrait les délivrer de l’occupant romain et redonner à Israël la fierté et le bonheur d’entant. Nicodème, homme intègre s’il en est, s’accroche à ses croyances. Certes, c’est un homme de foi, respectueux des dix Paroles. Mais Jésus demande autre chose. Il veut que nous soyons pris dans la dynamique de la foi qui consiste à saisir totalement la personne pour la mettre en relation avec l’ultime. Une autre manière de dire qu’il faut « naître d’en haut » Nicodème, comme aussi les disciples de Jésus, ne comprendront qu’à la Résurrection de Jésus.

La foi en Dieu ouvre un avenir pour celles et ceux qui mettent l’espérance au coeur de la vie chrétienne. La foi met à mal les doutes et les peurs et touche à la personne humaine, telle qu’elle est vraiment, c’est à dire tout ce qu’elle porte en elle au plus profond de son identité et elle crie à notre âme qu’il est possible, en faisant abstraction de tout ce qui a été dit sur ce qui fait ou non le bon chrétien, de parvenir à Dieu. Car les chemins sont multiples. On le voit clairement en lisant les quatre évangiles, et tout particulièrement l’évangile selon Jean, dont la communauté s’est finalement scindée en trois groupes : certains retournèrent à la Synagogue ; d’autres rejoignirent les mouvements gnostiques, le troisième groupe se replia sur lui-même avant de rejoindre la Grande Eglise, celle dite de Pierre. Et de Paul En vérité, le texte biblique, dans sa diversité des interprétations, montre que de nombreuses portes s’ouvrent devant nous. Lorsque la foi nous met en relation avec le divin, lorsqu’il s’agit de la foi dans le Dieu de Jésus Christ, nous sommes entraînés irrésistiblement vers une vie de plénitude. C’est un oui que nous prononçons à la vie parce que nous avons l’intuition que la vie est bonne, que le monde est vivable, même s’il mériterait d’être franchement amélioré.

Amen


Prédication de Liliane Crété, culte du 27 avril 2014 – Texte : Jean 20, 19-31

Voir et croire

« Voir et croire », tel pourrait être résumé en trois mots le thème de la réflexion que je vous propose ce matin. Car c’est sur l’Evangile selon Jean que je voudrais m’arrêter. Reprenons ce chapitre 20 : nous trouvons une suite de scènes qui montrent les différents cheminements de la foi.
Scène I : Marie de Magdala voit le tombeau vide, ne comprend pas, et va avertir Pierre et le Disciple bien aimé que le corps de Jésus a été enlevé.
Scène II : les deux disciples courent au tombeau, après avoir entendu le récit de Marie : le Disciple bien aimé arrive le premier, mais n’entre pas : à la vue des bandelettes pliées, il comprend que Jésus a vaincu la mort. Pierre le rejoint et entre. Il voit à son tour et croit « Car ils n’avaient pas encore compris l’Ecriture selon laquelle il devait se relever des morts ». En somme, il fallait qu’ils voient pour croire.
Scène III : Marie de Magdala, qui les avait suivis, reste seule et pleure. Jésus lui apparait mais elle ne le reconnait que lorsqu’il l’appelle par son nom.
Scène IV : Jésus apparaît aux disciples enfermés, terrés, par crainte des autorités dans une chambre haute de Jérusalem. Jésus leur montre ses plaies afin qu’ils croient. Les disciples virent et crurent et Jésus leur confie une mission : ils iront porter partout la bonne nouvelle et il souffle sur eux en disant « Recevez l’Esprit saint ».
Scène V : l’apparition de Jésus à Thomas. Thomas qui était absent lors de la première apparition de Jésus aux disciples et qui d’évidence, est sceptique quant à la réalité de l’apparition du maître aimé. Thomas a mauvaise presse dans le christianisme. Et pourtant, quel mal y a-t-il à réclamer une preuve de ce que ses compagnons affirment ? Après tout, tous ont un moment douté. On a vu que Jésus a dû montrer ses plaies aux disciples pour qu’ils croient. La parole de Marie de Magdala ne leur suffisait pas. Maintenant, ils proclament haut et clair que le Seigneur a vaincu la mort. Mais Thomas ne se contente pas de ce « nous avons vu le Seigneur ». Alors, en homme de bon sens, il demande à voir et même à toucher les plaies laissées par la crucifixion sur l’homme qui est apparu. Et Jésus trouve sa quête légitime puisqu’il s’adresse directement à lui : « Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance ta main et mets-là dans mon côté ». Thomas alors reconnait en lui le messie. Il n’a pas eu besoin de toucher. Il a vu et a cru. Car en effet, le texte ne dit pas qu’il a mis sa main dans la plaie. Ce sont les artistes, qui ont reproduit différemment la scène.

Alors, bien sûr, des questions se posent à nous. Pour croire à la Résurrection, il a été nécessaire que Jésus ressuscité s’adresse lui-même aux disciples. Ils ont vu et cru de « première main », peut on dire. Pour Thomas, c’est différent : il n’était pas présent lors de l’apparition de Jésus et doit se contenter du témoignage de ses compagnons, leurs premiers pas dans la mission qui leur a été confiée : annoncer la bonne nouvelle. On peut alors qualifier Thomas de « disciple de seconde main », comme le fait le théologien suisse François Vouga. Et qu’en est-il de nous, qui n’avons connu ni Jésus, ni les disciples, qui vivons dans le temps de l’Eglise, depuis plus de deux mille ans, dans l’attente d’un retour du Christ et de la vie éternelle qui nous est promise. Après la mort ? Consolation pour ceux qui éprouvent dans leur chair et en leur âme les vicissitudes de la vie. Bien plus encore que pour Thomas, il est difficile pour nous de croire en ces évènements futurs que nous espérons pourtant de tout notre être. Et même si on y croit fermement, cela ne veut pas dire pour autant que nous ayons la foi.

Car « croire à » et même « croire en » n’est pas avoir la foi. Croire pour la majorité des chrétiens, aujourd’hui comme hier, c’est croire en l’existence de Dieu, c’est reconnaître que le monde a été créé par une puissance éternelle dont nous ignorons tout. Un Tout autre. Mais Jésus ? Qui était-il ? Et que signifie cette expression de Fils de Dieu ? Après tout, ne sommes- nous pas tous des enfants de Dieu. Les quatre évangélistes disent que Dieu l’a ressuscité et lui a fait une place à ses côtés, qu’il reviendra un jour parmi nous, et que nous-même aurons la vie éternelle. Est-ce suffisant pour être intimement convaincu ? Ne sommes-nous pas tous des «Thomas » qui ne demandent qu’à croire. mais sont la proie du doute.

En vérité, on ne trouve nulle part dans l’Ecriture un concept selon lequel la foi serait le simple fait de croire que Dieu existe. A part les athées convaincus, tout le monde croit en une puissance surnaturelle qui a créé le monde. Une constance dans le second testament. Les foules suivaient Jésus, mais pour croire qu’en le suivant, ils auraient le salut, il leur fallait une preuve, un miracle, un « acte de puissance ». Or avoir la foi, c’est justement croire sans preuves concrètes. Si on lit avec attention le texte, on se rend compte que c’est la parole des disciples que Thomas met en doute. Pas l’existence de Dieu. Ni même la Résurrection de Jésus. Thomas a eu besoin, comme les autres, de voir pour croire.

Il faut savoir que la foi, dans la Bible, est bouleversement et même affaire de lutte entre Dieu et le croyant et qu’elle l’est toujours : c’est vrai pour les prophètes qui essaient toujours de résister, d’une manière ou d’une autre, à faire ce que Dieu leur demande ou qui négocient avec lui la tournure que les évènements doivent prendre. La foi, selon ce que nous pouvons déduire de nos lectures bibliques, est faite d’allées et retours entre ce que nous lisons, ce que nous entendons, ce qu’on nous dit de Dieu, et ce que nous expérimentons. Car là est le point central. La foi, c’est faire l’expérience de Dieu, c’est comprendre au-delà du compréhensible, c’est saisir au-delà de l’intelligible. C’est entrer dans une relation personnelle avec Dieu qui n’a rien à voir avec les croyances aux dogmes de l’Eglise que l’on nous enseigne depuis des siècles.

Les dogmes, ce sont des paroles d’hommes. Or la foi, c’est une rencontre avec Dieu qui change notre perception de la vie et de la mort. Pour toujours ? Peut-être pas : tous les témoignages que nous avons de ceux qui ont fait l’expérience de cette rencontre avec Dieu, reconnaissent la difficulté de ne pas être, par moment, la proie du doute. On peut probablement avancer l’idée que la foi est du domaine de l’instant, et que, de ce fait, elle est toujours à renouveler.

Mais douter cela peut être aussi s’interroger sur sa propre foi ? Comme l’écrivait voici quelques années le philosophe et théologien Jacques Ellul dans un livre intitulé La foi au prix du doute : « Douter, c’est se demander si nous ne sommes pas remplis de croyances ». Ellul introduit dans sa démonstration une troisième thématique : la religion. Si je résume bien sa pensée, la religion est un effort humain pour s’emparer de la vérité tandis que la Révélation est une initiative de Dieu qui se fait connaître aux hommes et que l’on ne peut recevoir que dans la foi. On peut donc dire que la religion rassemble les hommes ; que la croyance les rassure ; et que la foi donne accès au mystère chrétien. La foi est un don du Dieu d’amour qui cherche à entrer en relation avec l’homme sa créature. C’est la foi de Jésus qui nous est donnée en exemple, et le Dieu de Jésus Christ, c’est le tout Autre, mais aussi le Père. C’est le Dieu en relation qui parle, aime et pardonne, qui interpelle l’homme en détresse mais qui se tait lorsque l’homme fait le choix du pouvoir, de l’orgueil, de l’autosatisfaction : l’homme peut tout, pensent certains, et même créer la vie, péché d’hubris par excellence.

« Notre Père qui es aux cieux ». Notre Père, celui de Jésus, celui qui nous a promis le Royaume. C’est en lui que nous devons mettre notre confiance. C’est vers lui seul que Jésus nous demande de nous tourner. Comme il l’a fait lui-même jusqu’aux moments ultimes de sa vie. Seulement la bonne volonté et une conduite exemplaire ne suffisent pas à produire l’expérience de Dieu. Les puritains anglais du XVIIe siècle l’avaient bien compris. Ils ont longuement exploré le sujet de la « conversion », qui est réponse à un appel de Dieu. La discussion entre révérends portait sur la possibilité ou non, pour un croyant, par la prière et une vie sainte de pouvoir « naître à nouveau », selon le critère formulé par Jésus à Nicodème. Pour les uns, c’était possible, pour les autres, non : seul Dieu pouvait amener l’homme à la foi. Aucune préparation n’était nécessaire.

Mais il ne faut pas pour autant confondre la foi avec l’émotion religieuse, qui n’est généralement que passagère. La foi, c’est la conviction, l’adhésion totale à quelque chose qui nous dépasse, que nous ne comprenons pas. C’est quelque chose qui sort du raisonnable et nous propulse dans le monde de l’extra -ordinaire. C’est aussi un « retour » à l’origine; ce n’est en aucun cas une démarche philosophique. Ni du mysticisme. La foi est réponse à un appel, et pour celui ou celle qui la reçoit, c’est d’abord un sentiment d’intimité avec Dieu, de confiance en l’amour de Dieu. Et cet amour que nous recevons nous donne la possibilité de « déplacer les montagnes », comme disait Jésus à la foule qui l’écoutait et refusait de le croire (Marc 11, 22 ss). Avoir la foi, c’est croire que la vie éternelle que Jésus nous a promise est déjà là maintenant, malgré les accidents et les douleurs de l’existence. Avoir la foi, cela ne veut pas dire seulement croire que Dieu existe, mais « vivre en fonction de Dieu ». C’est ressentir, dès maintenant, la chaleur de la lumière divine, puisque la réponse que nous apportons à l’appel de Dieu nous permet de goûter, dans l’instant, à cette vie promise

Mais attention, ce don n’implique pas que l’homme et la femme qui l’ont reçue, n’ont plus qu’à poursuivre leur vie comme avant dans une confortable assurance – ou encore en « prières », comme les mystiques médiévaux qui rejetèrent le monde qui n’était à leurs yeux que corruption, au lieu d’essayer de le changer. Le don de la foi doit être une force qui doit nous faire « soulever les montagnes » quelles que soient les difficultés qui sont devant nous. C’est ce que Jésus attendait des disciples. C’est ce qu’il attend de nous aujourd’hui. Parce qu’elle vient d’une expérience singulière et non d’un enseignement théologique, la foi doit nous rendre au contraire plus vivants, plus réels, plus ouverts au monde qui nous entoure.

Amen


Prédication du pasteur James WOODY, culte du 7 avril 2013 – Texte : Exode 32, 1-16

Chers frères et sœurs,

Les aveux de l’ancien ministre du budget ont plongé la société française un peu plus profondément dans la dépression qui la gagne depuis des semaines. Et, relayé par les commentateurs de la vie politique, un sentiment d’abandon s’est renforcé : ce sentiment qu’il n’y a plus de chef, qu’il n’y a plus personne qui mène la barque. C’était le sentiment du peuple hébreu tout juste sorti de l’oppression de la maison de servitude, c’est le sentiment qui prévaut aujourd’hui, en France. L’opinion publique se sent comme orpheline et considère qu’il y a comme une vacuité du pouvoir.

Idolâtrie

Inutile de faire comme si ce sentiment était illusoire : ce sentiment est réel et s’ajoute au sentiment de mal-être dont 77% de la population se déclare atteint. Il s’agit de prendre cela au sérieux. Le peuple hébreu, comme le peuple français de nos jours, ressent un grand vide, et il serait fou de l’ignorer. Aaron réagit en demandant au peuple de lui confier son or. Peut-être pense-t-il que cela va calmer le peuple qui va rechigner à se dessaisir de ses richesses. Mais c’est sans compter sur la peur du vide, cette angoisse qui attrape les consciences et les expédie dans le monde de l’irrationnel.

De nos jours, des réactions tout à fait irrationnelles sont encore possibles. Sacrifier aux idoles n’est pas une attitude réservée au passé. Elle peut encore, malheureusement, se réaliser quand la peur devient le seul moteur actif. Or, la peur est bien le pire conseiller qui soit. C’est la peur qui nous jette dans les bras des idoles, des gourous, des charlatans. C’est la peur qui nous pousse vers tout ce qui peut donner un sentiment de fermeté, de force, de puissance, quand nous éprouvons l’angoisse de ce vide qui nous donne un avant-goût de la mort.

C’est la peur qui nous conduit à accorder notre confiance totale à des systèmes d’autorité et de pouvoir qui, au lieu de favoriser l’humain, nous entraînent dans un appauvrissement de l’humanité. De ce point de vue, prendre un veau d’or pour l’Eternel, c’est vouloir retrouver un peu de stabilité dans la tourmente à s’accrochant à une branche morte au lieu de donner à notre histoire les impulsions qui lui permettront de ne pas être emportée par le courant violent.

En disant que cela provoque la colère de l’Eternel, l’auteur biblique exprime que l’idolâtrie a une issue : c’est que cela va mal finir. Ca va mal finir si on considère comme ultime des bricolages issus de la fièvre populiste. Ca val mal finir si nous perdons de vue des perspectives ouvertes sur ce qui est inconditionné et que nous fixons du regard le miroitement de nos projections de toutes sortes, qu’il s’agisse de lassitude, de colère, ou de désir de vengeance.

Se souvenir de son futur

Loin d’Aaron et du peuple qui cède à la tentation de l’idolâtrie, il y a donc Moïse, qui est face à Dieu. Etre face à Dieu : C’est le moment où l’on place sa vie au regard de l’absolu, de l’Eternel, pour en découvrir la vérité profonde. On se place face à l’absolu, et non pas seulement face à ce qui est bon pour nous, pour évaluer ses choix, son éthique, ses inclinations. On les jauge non pas en fonction de ses préjugés, ni des phénomènes de masse, de ce que pense la majorité, mais en fonction de ce qui transcende l’intérêt d’une personne, d’un groupe, cela pour rejoindre l’universel, l’Eternel.

Cette élévation permet de révéler la vérité d’une situation de manière à pouvoir réagir de la meilleure manière qui soit. Dans le cas de Moïse, il est question de colère et de consumer le peuple qui s’est corrompu, qui fait fausse route. Est-ce inéluctable ? Dans son face à face avec l’Eternel, Moïse va aller chercher au plus profond de la mémoire : une mémoire qui transcende largement sa situation personnelle et la situation de son peuple dans l’instant qu’il est en train de vivre. Il va rechercher cette vieille promesse faite autrefois à Abraham, à Isaac et à Israël. Moïse va chercher cette vieille promesse qui est une double bénédiction : la promesse d’une fécondité et d’une terre vivable. Au cour de la tourmente, alors que le monde qui l’entoure risque de se défaire voire de s’effacer, alors qu’il vit une situation de crise majeure, Moïse va puiser à la source de la mémoire pour trouver l’eau fraîche qui l’aidera à reverdir le désert humain dans lequel il se trouve et trouver de bonnes raison de croire encore, d’espérer encore. Moïse va se souvenir du lointain passé de son peuple pour penser l’avenir, ce que Rabbi Nahman de Braslav dit sous la forme d’une belle formule : « se souvenir de son futur ». Le passé nous offre de belles leçons de vie ; à nous d’y puiser ce qui nous permettra d’affronter l’avenir en nous rappelant que nous sommes appelés à faire vivre ce qui rend le monde fécond et plus vivable.

Cela, nous le lisons, par exemple, dans l’histoire de Boris Cyrulnik, un neuropsychiatre qui est pris dans une rafle en janvier 1944, à l’âge de 6 ans. Il parvient à s’enfuir en se cachant dans les toilettes du lieu où tout le monde a été rassemblé. Il a grimpé jusqu’à trouver un moyen de se cacher sous le plafond. Et voici ce qu’il écrit : « j’ai de cette journée de janvier 1944 un sentiment de réussite, le souvenir d’avoir fait un exploit, une prouesse. Chaque fois que j’ai repensé à ce qui s’était passé, je me suis dit : « T’inquiète pas, ça va aller, il y a toujours une solution », et je repensais à cette scène des « pissotières ». C’est comme ça que je suis devenu un bon grimpeur. Par la suite, je pouvais monter partout où je voulais en me disant simplement : « Si tu grimpes, tu pourras toujours t’en sortir. La liberté est au bout de ton effort. » Et quand je repense à ces moments terribles, c’est toujours un sentiment de victoire. Car, même enfant, je pensais ainsi : « Ils ne m’auront pas. Il y aura toujours une solution. »» Ici, la présence divine, c’est puiser dans notre mémoire les points d’accroches, les points de repère qui nous permettront de reprendre confiance dans la vie pour poursuivre notre route au lieu de pratiquer la politique suicidaire de la terre brûlée. Retrouver dans sa mémoire, des éléments qui ressusciteront notre confiance et donc notre amour du monde.

La Bible, une mémoire auxiliaire

Mais comment faire lorsque nous sommes sans mémoire. Comment faire lorsque nous n’avons pas fait d’exploit dans notre jeunesse, lorsque nous n’avons pas reçu les nourritures affectives de nos parents pour constituer un solide capital confiance ? N’est-ce pas, justement, le problème du peuple Hébreu que d’être sans mémoire, sans repère, sans point d’accroche, sans fondements ?

C’est pour palier à cela -selon moi- que Moïse retourne vers le peuple avec les deux tables du témoignage. Pour le dire clairement, c’est là une invitation à voir dans la Bible une mémoire auxiliaire pour tous les sans-mémoires. La Bible, dont les tables du témoignage sont la métaphore, seront les points d’appui nécessaires pour ceux qui n’ont rien, ni mémoire, ni culture. Il y a dans ces tables du témoignage, un capital de mémoire dans lequel les démunis pourront puiser.

De fait, nous pouvons considérer la Bible comme cette collection de mémoires d’hommes et de femmes qui ont fait face à des situations limites, à des situations où leur identité, leur vie était en jeu. Et, moins que des recettes qu’il suffirait de reproduire à l’identique, Les archives bibliques constituent cette mémoire de témoins qui nous disent qu’il n’y a pas de déterminisme ou de fatalité devant lesquelles il faudrait se prosterner. Abraham, Isaac, Israël, par leurs trajectoires, nous révèlent que les impasses de la vie peuvent se fissurer ou qu’il y a toujours possibilité de faire demi-tour pour sortir d’une impasse. Ces mémoires rassemblées dans la Bible nous invitent à redécouvrir la foi qui a été celle de ceux qui ont bravé le chaos, qui ont donné à leur existence une intensité hors norme, qui ont ré-enchanté le monde.

Les textes bibliques tracent une topographie de la vie pour que nous puissions repérer les zones dangereuses, certes, mais aussi les points d’appui possibles, les chemins de traverse, les points remarquables. La Bible décrit le monde, notre monde, afin qu’il soit moins effrayant, plus familier. La Bible décrit le monde pour nous aider à mettre un peu d’ordre dans la confusion de notre vie intérieure et ne pas nous jeter dans les bras des premières idoles venues.

La présence divine, c’est ce dialogue avec la vie, non seulement à venir, mais aussi passée. C’est ce dialogue vivant qui s’oppose à la contemplation passive, fascinée, d’une statue, d’une idéologie, d’un système qui n’a rien à dire, rien à expliquer, rien à suggérer, mais tout à prendre de notre existence. La présence divine n’est pas la fixation d’un moment qui ne cesserait pas de durer, qui serait immortel, qui capterait le présent à jamais. La présence divine, tout au contraire, c’est faire entrer en dialogue tous les temps et tous les acteurs de la vie en hissant le débat au dessus des intérêts particuliers, à hauteur de l’universel. La présence divine, c’est lorsque nous découvrons que nous pouvons résister aux ondes de choc et que nous pouvons faire histoire, malgré les signes des temps qui semblent défavorables.
Amen


Prédication du pasteur Gill DAUDE, culte du Vendredi Saint, 29 mars 2013 – Texte : « Il est descendu aux enfers »

Il est descendu aux enfers.
Je voudrais m’arrêter sur cette phrase mystérieuse du symbole des apôtres que nous récitons tous les dimanches, en y passant comme chat sur braise.
On raconte que Calvin et Castellion se sont opposés durement sur cette question qui fut l’une des raisons du départ de Castellion de Genève à Bâle. Calvin voyait là UNE expression métaphorique qui signifie que Jésus est allé jusqu’au bout de la souffrance, qu’il a connu le pire qu’on puisse éprouver. Castellion déclarait qu’il faut l’interpréter littéralement : Jésus a réellement pénétré et séjourné entre le vendredi saint et Pâques dans le séjour des morts, aux enfers, que l’imagerie antique et médiévale place sous la terre.

Si l’on regarde du côté du mot « enfers » dans la Bible, il n’y a pas grand-chose. Et même franchement rien.
On trouve le sheol en hébreu qui signifie plutôt la non-existence, là où vont tous les êtres vivants, sans distinction, et que traduit assez bien l’adage biblique « tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». C’est un non-lieu. Mais sa particularité, c’est que c’est un lieu sans Dieu. Et c’est peut-être cela qui va caractériser l’enfer : un lieu hors de la présence divine.

Dans la littérature juive tardive et sous l’influence de la pensée grecque (l’Hadès), ce lieu sans Dieu s’anime (si j’ose dire !). Il devient le lieu des ombres, le lieu sans Dieu mais un lieu où les humains traînent dans une sorte de demi-vie1.

L’autre terme utilisé dans la Bible, c’est la Guei Hinnom, la Vallée de Hinnom, rendu en grec par la Géhenne. Il s’agit d’une vallée profonde au sud-ouest de Jérusalem.
Cette vallée est associée à des cultes idolâtres où l’on pratiquait les infanticides rituels, l’abomination par excellence. Elle est devenue ensuite une décharge publique dont la pestilence émane à des lieues à la ronde. Elle fut également le lieu de réclusion des lépreux et pestiférés. Elle va rapidement devenir l’image de la demeure des pécheurs après la mort, associée à de terribles souffrances. Un lieu où les injustes de la vie ici-bas subissent leur juste châtiment.

Voilà pour le vocabulaire biblique. Mais comment va-t-on en arriver à cette phrase du vieux symbole « il est descendu aux enfers » ?

1e interprétation

il a partagé notre mort et nos tombeaux. Et disent certain pères de l’Eglise, son corps reposant au tombeau, son « âme » s’est retrouvée au séjour des morts. Une manière ancienne d’insister sur fait que « corps et âme » sont bien morts chez Jésus, pas seulement son corps comme certains le prétendaient (alors que âme se serait envolée vers le Père). S’il n’a pas été abandonné au séjour des morts, comme le dit Pierre dans la première prédication apostolique (Actes 2,31 reprenant Ps 16,19), c’est qu’il y a bien été. Corps et âme, il a partagé notre mort.

2e interprétation

Il n’a pas seulement partagé notre mort, mais il est descendu au séjour des morts (aux régions inférieures de la terre, Eph 4,9 commentant le Ps 68,19), l’Hadès grec, pour « prêcher même aux esprits en prison, aux rebelles d’autrefois quand se prolongeait la patience de Dieu aux jours où Noé construisait l’arche », dit la lettre de Pierre2, généralisant un peu plus loin : la bonne nouvelle a été annoncés même aux morts (1 Pierre 4,6, texte pas plus clair qui peut faire tout autant allusion aux martyrs ! 3).

Bref, on s’est appuyé sur des textes qui nous apparaissent aujourd’hui incertains pour affirmer un point de foi non négligeable : c’est qu’aucun espace de la création, fut-il imaginaire, n’échappe au message du salut en Christ. L’Evangile de J.C. a retenti même dans les lieux infernaux où se trouvent les pires des humains puisque l’époque de Noé était réputée la pire.

3e interprétation

Il a fait plus que séjourner en enfers, plus qu’évangéliser les enfers, il a vaincu « le prince des ténèbres » (Eph 2,2) puisque dorénavant c’est lui qui tient les clés de la mort et de l’Hadès (Apoc 1,18). Ici nous rejoignons une veine biblique de la victoire sur la mort. « Il est descendu aux enfers » signifie qu’il a pris possession de sa souveraineté à laquelle rien n’échappe, même les enfers. « Il est descendu aux enfers » préfigure ici sa victoire sur la mort puisque, étant vainqueur du prince de la mort. Comme le dit le magnifique hymne de l’épître aux Philippiens : Dieu l’a souverainement élevé (.) afin que tout genoux fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse qu’il est Seigneur (Phil 2,9-10).

Nous sommes donc ce soir en présence d’un Sauveur qui partage toutes les facettes de nos enfers. L’enfer de l’angoisse si bien exprimée à Gethsémané : le déchirement intérieur, l’épreuve jusqu’à transpirer du sang, la recherche dramatique de la voie de la lumière. Et je pense à tous ceux qui cherchent, qui désespèrent ou qui sont maladivement partagés. Jésus les rejoint.
L’enfer du doute, de l’incompréhension face à ce qui arrive de souffrance ou d’intolérable. Et je pense à ceux qui ne trouvent pas sens à ce qu’ils vivent de douloureux. Jésus les rejoint.
L’enfer de l’aliénation, lorsqu’on se sent pieds et mains, et surtout l’esprit, liés par je ne sais quelle puissance ténébreuse qui paralyse notre existences. Jésus nous y rejoint.
L’enfer de la solitude lorsqu’on est abandonné des hommes. Et je pense à ceux qui croupissent dans les geôles, parfois torturés, abandonnés de tout défenseur. Jésus les rejoint.
L’enfer de la solitude encore, lorsqu’on est abandonné de Dieu et que nos appels aux secours et nos « pourquoi m’as-tu abandonné ? » ne rencontrent que le silence du ciel et l’ignorance des hommes. Jésus les rejoint.
L’enfer de la croix, lorsqu’on a aimé tout ce qu’on a pu, tout ce qu’on a su, jusqu’à donner sa vie, et que cela aboutit à rien d’autre qu’à une plus grande souffrance, qu’à plus de haine, qu’à plus de raillerie. Quand l’amour, le pardon, la miséricorde, le meilleur de ce qu’il y a d’humain et de divin en soi, s’échoue en intense douleur. Là, Jésus nous rejoint.

Jésus rejoint nos enfers : nos maladies et nos morts ; nos fautes et leurs conséquences ; nos incapacités à aimer qui nous coupent de Dieu et des hommes ; nos tortures et nos nuits.
Jésus rejoint tous nos enfers : il les vit, il les cumule, il les porte, il les traverse, il les illumine. Dieu habite dorénavant nos enfers, et c’est là qu’on le trouve. Il y met une lumière plus forte que les ténèbres, une justice plus grande que toute aliénation, un amour plus fort que la mort.

Suivre Jésus, ce n’est pas imiter Jésus. C’est impossible. Tous ont échoué, même les plus zélés des disciples. Suivre Jésus, c’est au contraire se laisser rejoindre par Lui jusque dans nos enfers, Lui qui vient y poser sa lumière, son amour, sa justice, sa victoire.

« Il est descendu aux enfers » n’est donc pas une bizarrerie du symbole des apôtres, c’est au contraire redire la centralité de la croix : là, Dieu rejoint vraiment toute notre humanité dans ses profondeurs les plus affreuses et les plus torturées. Il la révèle à elle-même, dans toute sa beauté mais aussi dans toute son horreur ; mais Il lui révèle aussi sa victoire, celle de son juste pardon.

Prière maronite

Tu t’es abaissé, et tu nous as élevés,
tu t’es humilié, et tu nous as honorés,
tu t’es fait pauvre, et tu nous as enrichis…
tu montas sur un âne, et tu nous as pris dans ton cortège…
tu fus conduit prisonnier chez le grand prêtre, et tu nous as libérés…
tu gardas le silence, et tu nous as instruits,
tu fus souffleté comme un esclave, et tu nous as affranchis,
tu fus dépouillé de tes vêtements, et tu nous as revêtus.
Tu fus attaché à une colonne, et tu as détaché nos liens,
tu fus crucifié, et tu nous as sauvés,
tu goûtas le vinaigre, et tu nous as abreuvés de douceur,
tu fus couronné d’épines, et tu nous as faits rois,
tu mourus, et tu nous as fait vivre,
tu fus mis au tombeau, et tu nous as réveillés.
Tu ressuscitas dans la gloire, et tu nous as donné la joie.


Prédication de M. Philippe DERVIEUX culte du 17 mars 2013 – Texte : Jean 9, 1-17

Chers amis,

Nous sommes dans le temps du ministère de Jésus et même à l’orée du temps de Pâques. Jésus parcourt avec ses disciples la Galilée, la Judée revient au temple de Jérusalem, à la rencontre du peuple, se heurtant de plus en plus aux juifs se trouvant sur son chemin, choqués sans doute par les paroles nouvelles qui leur sont adressées. La tension souvent monte et parfois Jésus est obligé de se cacher pour échapper aux pierres qui lui sont lancées. Mais il poursuit son ministère avec fidélité, annonçant la bonne nouvelle au gré de ses rencontres malgré ce climat souvent hostile, sans se détourner de la mission divine qu’il s’est fixée.

C’est ainsi qu’il rencontre un aveugle né. Ses disciples le questionnent sur l’origine de son infirmité. La réponse n’est pas aisée. Parfois on peut estimer une infirmité particulière qui peut être la sanction d’une faute passée. Mais là en l’espèce, pourquoi ?
Dans le cas d’une malvoyance de naissance ?

***

Pourquoi cette malvoyance. Deux questions se posent. Quelle en est la cause ? Où se trouve la faute ? La bible est toujours prémonitoire, c’est la parole de Dieu. L’esprit cartésien était déjà là ainsi que l’esprit d’une justice rétributive. Tu as fait le mal, maintenant tu payes.

Question des disciples sans doute inspirés par l’esprit grec, l’esprit logique, l’esprit raisonneur qui veut tout expliquer. Pourquoi ? Pourquoi ? Mais ce n’est pas facile ! Quelle cause ? Quel coupable ? Il faut savoir, il faut connaître, peut être pour se venger, peut être aussi pour expliquer ; pour rassurer et éviter que les mêmes causes entraînent les mêmes effets. Ainsi, peut-être on peut s’efforcer par cette connaissance d’influencer le devenir du monde et l’homme se grandit en rêvant d’une puissance et d’un bonheur nouveau.

Mais quel coupable d’abord pour l’aveugle né. Ce ne peut être un péché de l’aveugle né à moins qu’il ait commis une faute pendant sa gestation. Ce n’est pas satisfaisant. Il ne peut y avoir de faute puis qu’il ne peut y avoir ni auteur ni antériorité. D’ailleurs nous pouvons voir des scélérats, des mauvais qui prospèrent et ne semblent pas atteints par la justice rétributive. Ainsi que des justes qui souffrent des pires maux. Comme ses dames patronnesses que l’on rencontre parfois dans les couloirs des hôpitaux et qui proclament abusivement que les souffrances de la fin de vie sont le juste prix du péché commis.

Il y a aussi l’explication indoue qui attribue à chacun plusieurs vies et le péché dans une vie peut justifier un châtiment subi dans une vie ultérieur. Mais je crois que cette théorie des vases ou des vies communicantes correspond à une conception très particulière de la divinité.

On peut aussi évoquer avec l’ancien testament et le décalogue d’autres explications.

Dans l’ancien testament, on ne méconnaissait pas le phénomène de l’hérédité. Rappelons les versets du prophète Ezechiel que nous avons lu : « Les pères ont mangé des raisins verts et les enfants ont eu les dents agacées ». Ce que le prophète dénonce vigoureusement.

Et le décalogue utilise le même procédé mais dans l’autre sens. Les fautes seront retenues jusqu’à la septième génération. Donc ne regardez pas au passé avec Ezéchiel mais regardez vers l’avenir avec le décalogue. L’un et l’autre se complètent. Ezéchiel, en réduisant le champs du passé, le décalogue en étendant celui de l’avenir. Ne regardez pas en arrière mais en avant.

Oui le péché n’intéresse pas Jésus. Notre Seigneur est avec la lumière. Une infirmité est pour lui est un signe du Royaume. Ce qui est négatif se transforme en promesse du Royaume qui vient.

Ce serait un grand progrès pour nous d’accéder à ce miracle. Au lieu de nous perdre dans le dédale des causes, de nous enfermer dans le problème du mal ; discernons sans équivoque la lumière dans l’inconnu du futur.

***

Car voici une nouvelle explication, celle de Jésus àsavoir que le mal et le péché de naissance n’ont été permis que pour que la grâce de Dieu se manifeste.

Tous les hommes portent le péché originel. C’est le péché de tout homme, borné, aveugle à la fois séparé par ses haines et par ses craintes, et mêlé, à tout par ses désirs, par ses attachements et par son entraînement dans un courant commun.

La justice humaine considère l’homme comme une unité artificielle, une unité homogène ce qu’il n’est absolument pas.

Mais pour la justice divine, l’homme manque de cohérence. Il est roulé sans commencement ni fin sans but et sans liberté. Alors que fait Jésus, il mêle la terre à sa salive. La salive c’est le vecteur du verbe, le vecteur de la parole collée à notre terre à notre humaine condition, elle va produire la lumière et posée sur les yeux de l’aveugle, elle va lui rendre la vue. Mais cela ne suffit pas. Il faut passer par la fontaine de Siloe. Il faut passer par la fontaine de purification de « l’envoyé ». Il ne suffit pas de prier, de recourir aux sacrements. La prière et la puissance des sacrements n’opèrent pas. Elles restent sans effets si l’on ne fait pas la volonté du Père. Alors l’aveugle rentre dans sa mission. Il devient « l’envoyé » qui tout bonnement et tout bêtement indique qu’il voit. Et Jésus lui demande « crois tu au fils de Dieu toi qui a devant les yeux ce que tu cherches ». L’aveugle acquiert la seconde vue et le miracle se produit.

***

Revenons à notre point de départ. Jésus rencontre un aveugle de naissance. Les disciples ont demandé qui était le coupable. Cela ne correspond pas à une recherche orthodoxe.

En effet, en bonne  théologie israélite, on ne cherche pas la cause du mal, mais le moyen d’en sortir. Le problème n’est pas le passé mais le futur. La question est de redessiner l’avenir.

Pourquoi les disciples ont-ils posé cette question qui relevait plus d’un raisonnement grec que d’une démarche juive qui constate plutôt qu’elle explique. Mais l’esprit grec, l’esprit logique, je dirais même l’esprit scientifique, avait contaminé la pensée juive. On s’était mis à regarder en arrière quitte à sacrifier l’espérance.

Jésus récuse les méthodes qui consistent à chercher le coupable, qui consistent à fouiller dans les tombes ainsi que tous les systèmes où en se situant comme spectateurs ou témoins irresponsables, nous accusons les parents, les grands parents et la société tout entière.

Jésus récuse les disciples de Freud qui mettent les parents comme il récuserait les disciples de Marx qui se retournent contre la société. Regardez toujours en avant. Ne faites pas comme les autres dans le monde, ne préférez pas vos idées à la réalité qui s’impose, celle d’un Dieu avec nous, qui pardonne et nous aime.

Jésus n’est pas la lumière d’un troupeau, d’une secte, d’une église mais il est celui qui éclaire tous les hommes.

Et cette lumière n’est pas loin dans le ciel mais en chacun d’entre nous, dans notre intelligence. Les juifs et les pharisiens ont d’ailleurs pressenti que Jésus n’était pas un chef d’église, un grand rabbi un super Moïse mais qu’il était surtout un inconnu, un jamais vu, un jamais entendu, oui Jésus était vraiment un tout autre.

C’est pourquoi, ils préfèrent être les disciples de Moïse. Ils sont alors surs de voir, surs de savoir tandis que Jésus et les quelques un qui le suivent leur paraissent aveugles, pécheurs, indécrottables, en un mot incurables.

Cette assurance qui est la leur, c’est le péché de l’homme qui sait, qui prend l’innocent pour un pécheur, qui a toujours en réserve une loi ; un code, un système, une vérité pour lui permettre de décider de ce qui est blanc et de ce qui est noir.

***

Oui, Jésus est le provocateur de ces hommes qui se réfèrent à une idéologie réputée infaillible. Mais cette provocation ne mène pas à une vérité dont on est propriétaire, mais une vérité qui permet de voir le dessous des choses. Parce que nous restons guérissables, parce que nous prenons le temps de chercher, de voir, de déceler, parce que nous voyons souvent que nous ne voyons pas, parce que nous savons que nous ne savons pas mais que par la foi nous essayons de ne pas être des incurables, et c’est là notre espérance.

Amen


Prédication du pasteur Samuel SAHAGIAN, culte de la Réformation du 28 octobre 2012 – Texte : Romain 5, 1-11

Chers frères et sœurs,

Le dernier dimanche d’octobre est consacré généralement dans nos Eglises réformées à la Fête de la Réformation.

Pour ce culte dit de la Réformation, je vous ai donc proposé des textes de l’épître de Paul aux Romains 5/1-11 et 8/14-17).

Vous savez l’importance que la lecture et l’étude de l’épître aux Romains avaient eue dans l’expérience spirituelle et la théologie de Luther, puis de tous les autres Réformateurs au 16ème siècle. « Sola gratia, sola fide, sola Scriptura », comme on disait alors : notre salut par la seule grâce de Dieu, notre justification par la seule foi en cette grâce, notre découverte de la bonne nouvelle du salut, de la parole d’amour que Dieu nous adresse en Jésus-Christ par la seule écoute de l’Ecriture, de la Bible, plutôt que par la prétendue autorité des chefs de l’Eglise qui imposeraient leurs dogmes, ni non plus par notre orgueilleuse prétention à avoir acquis des mérites aux yeux de Dieu par nos ouvres.

Les premiers versets du chapitre 5 de l’épître de Paul aux Romains, que nous avons lus pour notre méditation de ce matin sont, je crois, l’un des plus beaux textes du Nouveau Testament. Ces versets ont inspiré et révolutionné la vie de tant d’hommes et de femmes depuis des siècles, d’un Luther, d’un Karl Barth, de bien des théologiens et de bien des chrétiens. Le premier verset de Romains 5 a fondé et inspiré la grande découverte théologique, la géniale intuition des Réformateurs du 16ème siècle, cette révolution qu’on a appelée la justification par la foi: « Etant justifiés par la foi, dit Paul, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ ».

Paul nous rappelle que nous avons besoin avant toute chose de nous savoir justifiés, acceptés et pardonnés. Nous avons besoin de retrouver devant Dieu le pas léger de la danse de la vie, nous avons besoin de ne plus nous sentir écrasés, culpabilisés, plaqués à terre, rejetés et renvoyés à notre angoisse et au non-sens de vivre. Nos ouvres et nos efforts ne servent à rien pour cela, dit Paul, puis Luther à sa suite. Car il est vrai que nous nous sentirons toujours insuffisants, imparfaits, impréparés. Si nous écoutons cette voix intérieure qui nous renvoie à la figure notre propre vérité, notre propre réalité, nous ne nous sentirons jamais prêts, jamais dignes d’occuper une place d’enfant dans la maison du Père.

Soyons honnêtes. Ce ne sont pas les petits efforts que nous pouvons faire pour aimer notre prochain ou pour aimer Dieu, ce ne sont pas les petits gestes, les petites actions où se cachent souvent des sentiments mêlés d’égoïsme, d’autosatisfaction, d’intérêts sournoisement cachés aux autres, et à nous-mêmes, qui pourraient nous procurer une véritable justification, une paix, un apaisement. Ainsi l’évangile chrétien n’est pas d’abord et avant tout une religion de l’effort, de la morale et de l’engagement. La seule chose qui a pu sauver le fils prodigue, ce n’est pas son retour ni sa repentance. C’est l’amour de son Père. Son Père n’avait pas cessé de l’aimer. La source n’était pas tarie. Tout pouvait recommencer. Nous aussi, comme le fils prodigue, nous exprimons parfois notre insuffisance, nos doutes sur nous-mêmes, notre interrogation perplexe sur le sens de notre vie. Suis-je digne ? Suis-je justifié de ma vie? Suis-je reçu, ou recalé, au grand examen de la vie ?

Aujourd’hui, en ce temps de l’après-Pentecôte, l’Esprit de Dieu nous est donné. Nous recevons l’assurance que nous sommes justifiés et pacifiés : « Justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu ». Mais pourquoi par la foi ? Faudrait-il donc croire à des dogmes irrationnels et fantaisistes pour être justifiés en notre vie ? Non, bien sûr. Puisque la foi, ce n’est pas la croyance à des dogmes. La foi, c’est la confiance, c’est notre réponse confiante à l’amour de Dieu. Croire, c’est dire oui à Celui qui me dit : Je t’aime. Jésus-Christ, c’est la lettre d’amour que Dieu m’a envoyée. Il est le messager de Dieu, l’envoyé de Dieu. Le cadeau d’amour que Dieu m’a fait. Recevrai-je le Christ dans ma vie ? Accepterai-je le cadeau ? La foi, c’est cela.

Croire que Celui qui me dit « Je t’aime » dit vrai. La foi, c’est croire que lorsque Dieu t’a créé, il y avait à côté de lui, pour l’aider, pour lui donner cour et joie à l’ouvrage, cette petite fille appelée Sagesse dont parle Proverbes 8 : « L’Eternel me possédait au commencement de son activité… Moi la Sagesse, j’étais à l’ouvre auprès de Dieu. Et je faisais de jour en jour ses délices. Jouant devant Lui tout le temps ». La foi, c’est croire que Jésus est totalement présent à ma vie d’homme. Entièrement humain. Totalement présent à mon aventure terrestre. Je ne suis donc pas justifié par quelque chose de bien que je croirais avoir fait, mais seulement parce que j’ai laissé entrer dans ma vie le grand amour. Je suis justifié parce que je suis habité désormais par un autre, par le Tout-Autre. Ma vie a reçu la lumière éternelle. Maintenant je sais. Je sais que je suis aimé. Je suis en paix. En paix avec Dieu. Avec, les autres. Avec moi-même. « Etant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu ». Je suis justifié. Je suis aimé. Je crois.

Nous devenons justes devant Dieu par grâce, à cause du Christ, par le moyen de la foi, dit le texte de la Confession d’Augsbourg en 1530. Cela évoque bien Romains 5/1, où Paul dit : « Etant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu ». Paul ne dit pas ici que l’homme est juste, mais qu’il est justifié, c’est-à-dire déclaré juste par Dieu, rendu juste par Dieu. Paul a connu le tourment de l’homme zélé qui en faisait trop pour mériter d’être juste devant Dieu. Son zèle pour Dieu allait jusqu’à persécuter les chrétiens. Jusqu’à sa rencontre foudroyante avec le Christ ressuscité sur le chemin de Damas. Luther a été tourmenté lui aussi comme Paul. Jusqu’au jour où il s’est converti à la grâce, en recevant ces paroles de l’épître de Paul aux Romains. Luther a compris alors que la paix avec Dieu n’est pas l’ouvre de l’homme, mais l’ouvre de Dieu, l’ouvre de l’amour et de la grâce de Dieu. On pourrait donc traduire, en Romains 5/1, le mot foi (pistis en grec), par confiance plutôt que par foi : justifiés par la confiance que nous faisons à l’amour et à la grâce de Dieu. En rajoutant les mots grâce et confiance, la justification par la foi prend un tout autre sens.

***

Un autre thème très important en ce début de Romain 5 est celui de la paix. Après notre justification par la foi, Paul parle de notre paix, notre paix avec Dieu.

« Etant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu », dit Paul au verset 1 de Romains 5. C’est sans doute la grandeur de l’homme que de regarder plus haut que lui, vers le Tout Autre, le Créateur, et plus loin que sa mort, c’est-à-dire vers l’infini, vers l’Eternel. C’est sans doute la grandeur de l’homme que d’être insatisfait, et parfois révolté. Nous cherchons la paix avec Dieu. Et cela nous cause parfois bien des tourments. Car nous en faisons à la fois trop et pas assez. Paul a connu ce tourment. Son zèle pour Dieu allait jusqu’à persécuter les chrétiens. C’était plus qu’il n’en fallait. Mais il ne savait pas écouter la voix du pardon et de l’amour. La voix du Christ qui le rencontrera sur le chemin de Damas et qui lui dira : « Je suis Jésus, que tu persécutes ». Luther a été tourmenté lui aussi comme Paul. Jusqu’au jour où il s’est converti à la grâce, jusqu’au jour où il a été ébloui précisément par le témoignage de Paul, par la lecture et la méditation de l’épître aux Romains entre autres. Jusqu’au jour où il a trouvé la paix. Jusqu’au jour où il s’est abandonné à la grâce et à l’amour de Dieu. Jusqu’au jour où il a pris pour lui-même cette affirmation de la justification par la foi et de la paix avec Dieu. Cette paix avec Dieu n’est pas l’ouvre de l’homme, mais l’ouvre de Dieu. Découverte fondamentale. L’homme est assez grand pour chercher Dieu, mais trop petit pour le trouver. L’homme n’est pas juste, mais pécheur. Et le péché est une sorte de mort, puisqu’il est éloignement de Dieu, qui est source de notre vie. C’est pourquoi Paul ne dit pas que l’homme est juste, mais qu’il est justifié. C’est-à-dire que Dieu le déclare juste. Dieu le rend juste. C’est Dieu qui fait la déclaration d’amour à l’homme, et non l’inverse. Aujourd’hui, on exprimera les choses différemment sans doute. On parlera moins de salut que du sens de la vie. Mais la question reste la même. Quelle est ma relation avec Dieu ? Où est le sens de ma vie ? Pourquoi ce sentiment d’impuissance ou de découragement qui nous saisit souvent ? J’ai le sentiment qu’en réalité, c’est toujours et encore cette même paix avec Dieu qui nous fait le plus problème. Parce que nous ne sommes pas en paix avec Dieu, nous ne sommes pas en paix non plus avec nous-mêmes. Nous avons besoin de nous réconcilier avec Dieu, c’est-à-dire aussi avec nous-mêmes. Le grand problème de l’homme, c’est sans doute Dieu. Nous sommes malades de Dieu, inquiets de Dieu, ignorants de Dieu, jaloux de Dieu, hostiles à Dieu. Et nous nous réfugions alors dans l’athéisme ou la religion, deux façons opposées et illusoires d’évacuer le problème de Dieu, d’oublier Dieu en le niant… ou en le domestiquant. Jésus a proposé autre chose. Le christianisme n’est pas une religion, mais une foi. C’est-à-dire qu’il n’est ni une croyance ni un rite. « Justifiés par la foi, dit Paul, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ ». Jésus nous a révélé le nom de Dieu. Il nous a révélé son nom de Père, de Père d’amour. Dieu est venu lui-même vers nous. Il a pris le risque de nous aimer, de guérir notre peur, de surmonter notre hostilité, d’être bafoué éventuellement par notre refus, de se fragiliser en son amour pour nous, de trembler pour nous, d’être crucifié par notre hostilité et notre péché sur la croix de son fils Jésus-Christ. C’est Lui qui a fait le premier pas vers nous. Désormais nous sommes justifiés, non par notre propre justice, mais par la foi, c’est-à-dire par la réponse de l’amour à l’amour. Justifiés par le oui que nous disons au Oui de Dieu sur nous. La foi est confiance. Nous faisons confiance au Dieu d’amour. Oui, aujourd’hui nous le confessons avec joie : « Etant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ ».

Nous avons la paix. Certains manuscrits disent : Ayons la paix. Mais cela serait alors en contradiction avec toute l’épître aux Romains, où Paul souligne la primauté de l’action de Dieu, le salut par grâce, et non par les ouvres de la Loi. La paix avec Dieu est elle aussi un don gratuit de Dieu, qui change complètement notre situation d’hommes pécheurs, c’est-à-dire en rébellion, en inimitié avec Dieu. Cette paix est le résultat objectif de la déclaration d’amour et de pardon de nos péchés par laquelle Dieu nous propose et nous offre la réconciliation, comme le père à son fils prodigue, dans la parabole bien connue. Quant à la justification par la foi, c’est le mot grec dikaïoun, justifier, qui signifie ici que Dieu à la fois nous déclare justes et nous rend justes. Dans la suite de ce premier verset de Romains 5, Paul parle ensuite de notre espérance : nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu. Et au verset 5, le thème récurrent chez lui des arrhes de l’Esprit : le Saint Esprit nous a été donné, dit Paul. La justification est donc d’abord un bonheur qui nous est accordé dans notre présent par la foi, la confiance (pistis) avec laquelle nous accueillons le geste d’amour de Dieu. Mais la justification est aussi une promesse pour l’avenir et le toujours du dernier jugement de Dieu sur notre vie. Justifiés par la foi aujourd’hui, et dans l’espérance pour l’éternité, qui est déjà au cour de notre aujourd’hui réconcilié.

***

Chers frères et soeurs,

Après notre justification par la foi, après notre paix avec Dieu, j’en viens pour finir à ce que Paul dit ici en Romains 5, mais surtout aussi en Romains 8, de la présence du Saint-Esprit dans nos vies. En Romains 5 : « l’amour de Dieu est répandu dans nos cours par le Saint Esprit qui nous a été donné ».

Il paraît que Saint Augustin, qui fut lui aussi si tourmenté avant de trouver la paix dans la foi, aurait cité ce verset de Paul deux cent fois dans ses écrits.

Oui, frères et soeurs, L’Esprit Saint habite notre vie désormais, nous dit Paul. Dans les versets 14 à 17 de Romains 8 que nous avons lus aussi ce matin, Paul nous parle du Saint Esprit et de notre prière. Le Saint Esprit est en nous et il nous aide à prier.

En Romains 8, Paul dit que Dieu est présent en nous par son Saint-Esprit qui habite notre vie, notre corps, notre prière. Nous avons en nous le Saint-Esprit de Dieu qui nous aide à prier Dieu, à l’appeler Père: « Par l’Esprit qui est en nous, dit Paul, nous crions à Dieu : Père! Abba! Ce verset est extraordinaire, et il pourrait inspirer toutes nos prières, car le mot employé ici est « Abba ». C’est le nom affectif, familier, que le tout jeune enfant balbutie pour appeler son père: « Abba! Papa ! ». Voilà comment nous pouvons prier Dieu, dit Paul. Prier avec Jésus, et comme Jésus nous a appris à le faire : « Quand vous priez, dites : Notre Père qui est aux cieux ». Nous n’avons plus à vivre dans la peur; nous dit Paul. Etre chrétien, c’est être libéré de la peur. Nous ne sommes pas des esclaves mais des enfants, des fils. Nous sommes « héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ », dit Paul. Nous crions ce nom de Dieu, dans nos jours de joie comme dans nos jours de panique. Nous crions. Nous prions : «Abba! Père ». Notre Père, écoute-nous, toi qui nous aimes. Ecoute notre cri, toi qui nous comprends, toi qui as voulu être homme comme chacun de nous, en ton fils Jésus. Ecoute-nous, Dieu. Ecoute-nous, Père. Nous sommes tes enfants. Ton Esprit témoigne et prie en nos cours. Nous n’avons plus peur de vivre. Nous ne serons jamais seuls. Ton Esprit est en nous. L’Esprit du Ressuscité est en nous : «L’Esprit lui-même, dit Paul au verset 16, rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu ».

Etre chrétien c’est, avant tout, écouter ce témoignage de l’Esprit, écouter ce que nous dit l’Esprit. De même que nous écoutons la parole de Dieu dans la prédication, dans la Bible, dans la prière, dans une conversation avec un frère, de même nous écoutons ce témoin intérieur qu’est l’Esprit de Dieu en nous, et qui nous redit sans cesse : « Tu es un enfant de Dieu. Tu es un enfant bien-aimé du Père ». Et c’est à cause de ce témoignage intérieur du Saint-Esprit en nous que nous sommes encouragés à prier, dit Paul. Il insiste beaucoup en Romains 8 sur ce lien entre notre prière et le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit nous aide à prier Dieu en nous encourageant à l’appeler notre Père. Nous ne sommes pas des inconnus dans la maison de Dieu. Nous avons notre place dans son cour de Père. Nous pouvons parfois l’appeler au secours. « Nous crions : Abba ! ».

Dans la suite du chapitre 8, Paul ira plus loin encore. L’Esprit, dit-il, rejoint aussi notre prière même quand nous soupirons, quand nous gémissons : « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs (ou des gémissements) inexprimables ». Il est important que Paul souligne ainsi cette faiblesse, cette difficulté, ce soupir et ce gémissement, en parlant de la prière du chrétien, en parlant de l’Esprit et de la prière. Nous avons bien reçu l’Esprit, dit Paul. Oui, Dieu nous habite. Et croire, c’est devenir conscient en effet de cette présence du Dieu d’amour en nous, et répondre à son amour. Mais tout cela ne fait pas de nous des êtres parfait, dit Paul. Nous tous, dit-il, nous sommes comme la création, « qui soupire et souffre les douleurs de l’enfantement ». Nous aussi, nous gémissons en priant. Et l’Esprit lui aussi gémit avec nous dans nos prières. J’aime trouver dans les paroles de Paul cette solidarité avec la création, cette humilité chrétienne. Recevoir l’Esprit, ce n’est pas posséder l’Esprit, mais être possédés par l’Esprit. Ce qui est bien différent. Oui, le Saint-Esprit m’aide à prier. Le Consolateur m’encourage à prier, à crier comme un enfant: « Abba ! Père! »

***

Chers frères et sœurs,

Sauvés par la grâce de Dieu, justifiés par la foi, aimés par Dieu, en paix avec Dieu, et en paix avec nous-mêmes, je vous invite à prier Dieu avec l’aide du Saint Esprit en nous, de l’Esprit de Jésus ressuscité qui habite notre vie :

Nous prions : « Seigneur Jésus, lorsque nous mangerons le pain ensemble et boirons le vin à la Sainte Cène, fais prier à nouveau en nos cours et chanter le Saint Esprit, ton Esprit de résurrection. Pour que nous recevions ta merveilleuse présence qui nous accueille tous à ta table. Que nous recevions ce cadeau d’amour que le Père nous fait en « donnant au monde son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle ». Justifiés par la foi, nous sommes en paix, dans la paix du Dieu d’amour.

Oui, Seigneur Jésus, sois au milieu de nous, toi qui as dit: « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ». Et que le Saint Esprit de Dieu, ton Esprit de résurrection, nous ressuscite maintenant. Amen.


Prédication du pasteur Michel LEPLAY, le 6 juillet 2012 – Texte : Marc 4

Chers frères et sœurs, chers amis,

Deux choses sont certaines dans la Bible.
D’abord, dans les Evangiles du Nouveau Testament, jésus a très souvent parlé en paraboles, avec un tel style que ses auditeurs les ont retenues et que les évangélistes les ont rapportées telles quelles. Il n’y a pas d’invention, sinon la mise en contexte et parfois un élément d’explication.

Ensuite, on peut estimer sans se tromper que ces histoires nous sont bien rapportées comme Jésus les a prononcées. Ces paroles de paraboles sont à peu de chose près ce que Jésus a dit, selon la formule latine des savants, « ipsissima vox », c’est la voix elle-même, la voix vive et vivante que nous entendons encore aujourd’hui. Ce qui procure un grand repos au prédicateur mais devrait engendrer une non moins vraie attention chez les auditeurs…
« Que celui qui a des oreilles entende… »
« Ecoute, Dieu te parle… »
« Il leur enseignait en paraboles ce qui concerne le Royaume de Dieu »

« Il en est du royaume de Dieu comme d’un homme qui sortit pour semer… » Oui, « il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles ».
Or je remarque que l’enseignemaent est bien dans la tradition chrétienne, protestante et réformée. Calvin définit son catéchisme comme « le formulaire d’instuire les enfants dans la religion chrétienne ». Et il faut entendre par enfants, moins les petits et les jeunes, que tous les croyants qui sont catéchumènes jusqu’à la fin de leur vie, comme aimait à le dire Luther. Et le genre de la parabole s’applique bien à une catéchèse de 7 à 77 ans, avec 10 à 20 années de plus pour nos générations actuelles…

A noter encore que dans d’autres familles chrétiennes, l’accent est moins mis sur l’enseignement que sur la célébration, l’adoration ou l’évangélisation et le prophétisme, voire le prosélytisme. Mais je passe.

Je résume cette typologie oecuménique.
Pour les protestants, une invitation à l’auditeur pour qu’il entende l’enseignement : Écoute, Dieu te parle.
Pour le catholicisme, c’est davantage une prescription de foi, « Dieu te parle, écoute son Église… ».
Enfin, pour les évangéliques, c’est plus simple et personnel : « Tu peux parler à Dieu, il t’écoute… »
Mais quelle que soit la communauté et sa tradition, la parabole est le moyen d’expression le plus universel qui soit – juste après la musique – encore faut-il essayer de préciser, mais simplement, ce qu’on entend en général par parabole.

Car sous des apparences de simplicité, le mot est difficile à comprendre dans son étymologie. Et voilà que je complique ce qui devrait rester simple comme l’enfance. Enfin, pour définir ce qu’est une parabole, le dictionnaire parle de, je cite : « récits allégoriques dans lesquels se cache un enseignement » Robert p.1421. Certes, l’allégorie appelle une similitude pour chaque détail du récit imagé, alors que la parabole comme la fable enseigne plutôt une dynamique générale. C’est toute l’histoire inventée et racontée qui donne sa dynamique à l’enseignement, comme dans une fable bien connue que je vous lis sans le talent de LUCCHINI !

La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal.  »
La Fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
– Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien! dansez maintenant.

cette parabole ou fable du siècle de L.ouis XIV vaut encore pour nous, européens entre les fourmis nordiques et les cigales méridionales.
Enfin je n’oublie pas de mentionner, car il y a des scientifiques parmi vous, qu’en mathématiques la parabole est une courbe qui décrit une trajectoire. Et en terme de communications sans fils, c’est une antenne de télévision, sur le balcon ou sur le toit, et qui permet de capter, de capturer, tout ce qui est enseigné en bien ou en mal, de près ou de loin.

Avec les paraboles de Jésus, mot à mot rapportées par les évangélistes, nous recevons un enseignement qui appartient à une autre réalité que celle qui est racontée : la parabole du semeur, par exemple, n’est pas un traité de savoir-faire agricole pour paysan inculte, mais à partir d’une observation exacte sur une autre réalité, celle du royaume de Dieu. La similitude n’échappe à personne. Il en est du Royaume de dieu comme d’un homme qui sortit pour semer… comme d’un homme qui sème la plus petite des semences, comme d’un berger qui a cent brebis, comme d’une femme qui a dix perles à son collier, il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui avait deux fils, ou comme d’un vigneron à l’époque des vendanges, etc.

Si j’en reste à notre parabole du semeur, elle est largement traitée dans l’Evangile de Marc, en trois parties, d’abord la parabole elle-même, puis des réflexions que je ne vais pas éluder, et enfin pour les disciples une explication détaillée.

Lecture des versets 10 à 12.

Voici une distinction entre « ceux du dedans » qui ont compris et sont sauvés – entendons par sauvés ceux qui échappent au désespoir du non-sens et trouvent leur salut dans l’écoute de la Parole de Dieu…
Donc, après ceux du dedans, « ceux du dehors » qui n’ont pas accès au bonheur du Royaume de Dieu parce que en entendant, ils ne comprennent pas. Et cette distinction est établie par Dieu lui-même; semble-t-il. Chers amis, une telle conception du Règne de Dieu et de la distinction entre ceux du dedans et ceux du dehors est complètement étrangère à la mentalité actuelle, et pour deux raisons.
D’abord, historiquement, il est clair pour l’évangéliste Marc que les Juifs, contemporains de Jésus et auditeurs de ses paraboles n’ont pas dans leur majorité compris et reçu son message. Sans oublier cette évidence que toute la famille de Jésus comme tous ses compagnons sont bel et bien des Juifs du pays d’Israël et de la descendance de David. Mais pourquoi certains ne comprennent-ils pas ?

Nulle trace ici d’un antisémitisme initial, mais simplement un constat historique, de l’ordre de la sociologie de la religion, dirait-on aujourd’hui : pourquoi tous les français ne sont-ils pas catholiques, ou, se serait mieux, pourquoi tous les français ne sont-ils pas protestants ? Il y a donc ceux du dedans et ceux du dehors. Mais nous sommes si imbus de l’idéal d’égalité et de fraternité que cette distinction nous semble inacceptable. D’où l’adage : « Dieu seul reconnaitra les siens ». Je suis d’accord.
Cette distinction est pourtant réelle, c’est un fait observé et puisque notre société multiculturelle moderne a un problème avec les différentes religions, au lieu de nier les différences entre ceux du dedans et ceux du dehors, mieux vaut gérer nos différences dans le respect des identités et des sincérités. Nous avons à apprendre la tolérance, qui est la patience de la modestie intellectuelle, et qui n’exclut pas les convictions à la fois humbles et solides.

De même que les paraboles empruntent aux règnes animal, végétal et minéral, de même notre diversité est précieuse, avec une dominante végétale et verte pour le protestantisme, alors que les catholiques se reconnaissent dans la pierre fondatrice de l’Église…

Et vous maintenant, chers amis, qui avez entendu cette parabole et quelques commentaires à son sujet, vous maintenant, écoutez car Dieu vous parle. Que chacun, chacune, en son for intérieur, au plus intime de soi, dans la conscience secrète, la chambre dont la porte est fermée, que chacun se demande comment il reçoit la Bonne nouvelle de l’Évangile : Dieu t’aime, Dieu te pardonne, Dieu te renouvelle, Dieu te reprend en main, Dieu t’accompagne, dans tes bonheurs et tes chagrins, dans ta vraie faiblesse et tes faux pouvoirs, dans ta fragilité ultime qui est le prix de la vie sans prix. Comme chacun, tu es menacé par l’accueil superficiel, ou le manque de terre, ou la sécheresse, ou les oiseaux, enfin tous les opposants à la germination en toi de cette Parole d’amour et de grâce. Veux-tu faire silence, pour écouter le blé qui pousse et fait moins de bruit que l’arbre qu’on abat ? Veux-tu croître dans la bonne terre du Royaume de Dieu pour porter ces fruits de l’Esprit que sont « l’amour, la joie, la patience et la paix, la bonté et la bienveillance, sans oublier la foi, la douceur et la maîtrise de soi… (Galates 5, 22). Ainsi soit-il.

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Prédication de Christina MICHELSEN, le 25 mars 2012 – Texte : Jean 12, 20-26

Cette prédication porte sur ce que dit l’évangéliste Jean à travers l’image du grain de blé. Il y a le thème de servir et de suivre Jésus, et la question : comment comprendre cette phrase – que celui qui aime sa vie la perdra et que celui qui la déteste aura la vie éternelle. S’agit-il de sacrifier sa vie ? Je chercherai plutôt une portée éthique – un encouragement pour aller vers l’autre.

1. Blaise PASCAL nous a laissé cette citation contradictoire : « L’Écriture dit que le Christ demeure éternellement, et celui-ci dit qu’il mourra ».
Dans l’évangile de Jean, Jésus nous parle effectivement de cette mort qui l’attend, aussi dans le texte du jour. Il en parle à travers plusieurs images. Quand Jésus chasse les marchands du temple, il parle du sanctuaire qu’il va relevé en trois jours. Dans l’entretien avec Nicodème il dit que le fils de l’Homme sera élevé, comme Moïse éleva le serpent dans le désert. Après la multiplication du pain, Jésus dit qu’il donnera sa chair et son sang. Et Jésus dit que le bon berger se défait de sa vie pour ses moutons. Quand Marie de Béthanie répand le parfum sur ses pieds, Jésus interprète ce geste comme une anticipation de sa mort et ensevelissement.

Aujourd’hui, Jésus vient d’être reçu à Jérusalem comme un roi d’Israël, et alors des Grecs demandent à le voir. Cela pourrait être une simple expression de curiosité. A quoi ressemble-t-il cet homme dont on parle dans toute la Galilée ? Mais rappelons nous que chez Jean il y a toute une symbolique sur le rapport entre voir et croire. Jean décrit le refus de croire en disant : « Malgré tous les signes que (Jésus) avait produits devant eux, ils ne mettaient pas leur foi en lui ».
Jésus parle dans ces versets de sa mort, mais pas comme une fin. Il interprète sa propre mort en disant que le fils de l’homme va être glorifié. Et il illustre cela avec la métaphore du grain de blé. Arrêtons nous un instant sur cette image !
Dans l’image se résume l’idée que la mort peut mener à la vie.

La moisson va être grande. Le destin du grain de blé est le signe de la croissance du Royaume de Dieu. Jésus ne pose plus de question, il propose un sens, un éclairage anticipé sur sa propre mort. Il dit que sa mort annoncé sera sa glorification.
Mais nous nous demandons aujourd’hui : « comment la mort peut-elle mener à la vie ? » Et de quelle mort parlons nous ?

Il est dit que, le grain de blé, s’il ne meurt pas, demeure seul. S’il meurt, il porte beaucoup de fruits. Je pense que ce grain de blé évoque aussi le pain vivant, autre image chère à l’évangéliste Jean et aux premiers chrétiens. L’image du grain de blé rappelle que le grain doit être mis en terre pour germer. Sinon il ne produit rien. Le grain cesse d’être petit grain et devient une vie nouvelle. Suite à la réalité simple que ce qui ne meurt pas ne peut donner la vie, règle fondamentale de la vie et de sa reproduction.

2. Le verset qui suit est un commentaire surajouté. Un encouragement qui lie le disciple à Jésus dès lors que, comme serviteur, il suit le même chemin que le maître. Comme nous sommes dans le temps de Carême, écoutons cet encouragement à suivre Jésus. Il dit « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive. »
Un disciple doit servir les hommes, mais d’abord il doit servir Jésus. Et le Père l’honorera.

3. Comment comprendre que celui qui tient à sa vie doit la perdre et celui qui déteste sa vie dans ce monde, la gardera pour la vie éternelle ?
Ce discours de sacrifice n’est il pas scandaleux ? Peut-être y a-t-il une certaine théologie du martyre à l’arrière-plan.
Mais à notre époque on ne conçoit pas une lecture qui encourage à se défaire de la vie terrestre ou à se détacher de tous les plaisirs de la vie.
Jésus va effectivement perdre sa vie sans s’y accrocher. En grec le mot pour vie est ici psyché, et non pas le mot zoé qui décrit la vie biologique. Psyché peut être traduit par âme ou par « soi-même » : Qui aime soi-même se perd. Mais même avec cette nuance, la portée du propos est pernicieuse.

Il y a ces gens qui font tout pour s’oublier (soi-même), dans une fuite permanente de leurs propres angoisses.
Un activisme forcené n’est pas aimer l’autre comme soi-même. Il y a ce risque de tout porter sur les autres en s’interdisant tout plaisir. Celui qui ne s’autorise aucun jeu, aucune joie, aucun bonheur pour lui-même sera insatisfait, il fera payer aux autres ses frustrations et son désorientation.
Regardons aussi au-delà de ce texte nous trouvons dans le christianisme cette idée, qui est le décentrement de soi, un encouragement à aller vers les autres, à entrer en relation. Et si l’évangile nous disait qu’il est important de cesser de se préoccuper de soi. Et savoir se remettre à un autre – un Tout-autre. Accepter qu’on n’est pas seule à prendre en charge sa vie. Car dans ce sens vouloir se sauver soi-même conduit à la mort. C’est toujours un autre qui nous sauve.
Nous sommes parfois derrière des remparts narcissiques qui nous empêchent de nous rendre à la vie. Le décentrement bouscule nos certitudes et nous fait aller vers l’autre.

4. Le pire malentendu est celui qui aime tellement son « soi », qu’il écarte tout ce qui s’y oppose.
Le fanatique est dans l’idolâtrie. Il est prêt à sacrifier l’autre, au nom de sa cause. Cet esprit étroit donne sa vie pour une cause qu’il croit juste, qu’il croit bonne. Il est prêt à tuer tous ceux qui gênent pour sa cause. Mais ici il n’y a pas de fruit, pas de moisson. Il n’y a que souffrance et obscurité.

Nous cherchons la lumière. Nous savons que la vérité et la fidélité que Jésus demande n’est pas simple. Il n’y a pas une seule interprétation, il y a des interprétations concurrentes. Mais pour ne pas tomber dans le relativisme, nous entrons dans ce jeu, que RICOEUR a appelé le conflit des interprétations. Cela nous oblige à entrer dans le dialogue. Nous sommes appelés en tant que hommes et femmes de l’Église à rencontrer l’autre. Et dans la rencontre qui bouleverse, qui contredit, qui fait bouger les préjugés, nous sommes appelés chacun à aimer l’autre comme soi-même.

Jésus annonce une nouvelle naissance, une croissance. Le grain va donner des milliers de grain. C’est la surabondance. Il y aura du pain pour tout le monde.
Ma dernière question est : Qu’est ce que nous mettons au centre de notre vie ?
Un musicien d’origine turque m’a dit que dans la tradition soufi, il y a cette belle phrase sur le don : « Ce que tu donnes t’appartiens, mais ce que tu gardes pour toi est perdu à jamais. » Il vous est surement déjà arrivé qu’une personne garde un souvenir très tendre de vous, à travers un petit cadeau, une image que vous lui avez offert ou un moment musical que vous avez partagé. Quand on donne, notre nom s’inscrit dans la mémoire de l’autre, par le geste même d’offrir.
Quand on garde pour soi, cela reste à soi. Cela ne porte pas plus loin. Le don, plus que le cadeau en soi, va souvent plus loin que nous pouvons espérer.

Rappelons nous que notre vie ne nous appartient pas entièrement, que nous vivons par le même miracle qu’un grain de blé qui germe. Et que des choses portent fruits en nous par un insondable élan de vie. Dans un sermon de 1919 Albert SCHWEITZER dit ceci sur la fugacité de la vie :
 » Tu sors et il neige. Machinalement, tu secoues la neige de tes manches. Mais vois : un flocon brille sur ta main ; Il accroche ton regard, que tu le veuilles ou non, car il étincelle en des arabesques merveilleuses ; puis un tressaillement : les fines aiguillettes qui le composaient s’effondrent – c’est fini, il est fondu, mort – sur ta main. Ce flocon tombé sur toi des espaces infinis, qui avait brillé, tressailli et n’est plus, c’est toi . Partout où tu perçois de la vie, elle est l’image de la tienne.  »

L’évangile de Jean affirme qu’à travers l’expérience de Pâques la mort peut mener à la vie. A nous de sonder l’image du grain de blé, à nous de mettre le Christ au centre de notre vie. Laissons cette bonne nouvelle miner nos remparts narcissiques, pour mieux nous rendre à la vie.

Amen


Prédication du pasteur CROUZET, le 5 février 2012 – Textes : Esaïe 54, 1-5 – Romain 10, 12-15 – 1 Corinthiens 9, 19-27 – Marc 1, 29-39

Prédication du pasteur Didier CROUZET, chargé des relations avec les Églises extérieures,
à l’occasion des 40 ans de la CEVAA (Communauté d’Églises et Actions Apostoliques)

La mission du chrétien : annoncer l’Évangile, préparer un monde nouveau

L’histoire se passe en Nouvelle Calédonie il y a environ un siècle. Les missionnaires sont arrivés sur cette terre du Pacifique vers 1900. Un vieil homme qui habitait au milieu de la chaîne montagneuse descend dans la vallée pour vendre ses marchandises. Il entend parler de l’Évangile. Convaincu par sa puissance, il se dit : «c’est bon pour nous». Rentré chez lui, il rassemble sur le lieu actuel du village les six clans dispersés dans la montagne alentour. Il fait venir un pasteur. Les clans restent ensemble pour écouter l’Évangile. Depuis, ils ont construit une école, une maison commune, un presbytère, avec des matériaux portés à dos d’homme depuis le bout de la piste carrossable (6 kms). Et aujourd’hui, le village a constitué trois Groupement d’Intérêt Économique : culture du café, bois de pins, essence végétale à usage pharmaceutique. Chaque habitant peut, s’il le désire, travailler dans l’un des trois GIE et recevoir un salaire.

Lorsque je l’ai rencontré, le chef du village m’a dit : «l’arrivée de l’Évangile a fait évoluer l’intelligence des gens en les rassemblant». Nos cantiques chantent la foi qui déplace les montagnes. En Nouvelle-Calédonie, elle a déplacé des Hommes, elles les a transformés.

Une autre histoire, plus proche de nous. Jean-Pierre est chef d’entreprise. La conjoncture est difficile. Il peine à trouver des débouchés pour ses produits. Les frais fixes tombent tous les mois. Il craint la faillite. Il commence à boire pour se donner du courage. Il devient dépendant de l’alcool. Il sombre dans la dépression. Un jour, il fait la connaissance de la Croix bleue. Il franchit la porte de cette association d’origine protestante. Il y rencontre d’autres malades alcooliques et des anciens malades qui s’en sont sortis. Il décide de renoncer à l’alcool et s’engage à l’abstinence « avec l’aide du groupe et avec l’aide de Dieu » comme il est écrit sur le bulletin qu’il signe. Et c’est le miracle. Porté par l’amitié et par la foi naissante, il arrête de boire, il reprend pied dans la réalité. Il est transformé. Sa vie familiale retrouve l’harmonie. Avec son entreprise, il ne craint plus d’affronter les marchés.

Ces deux histoires ont trois points communs.

  • Premier point : si les protagonistes ont été transformés, c’est parce que quelqu’un a osé leur a annoncé l’Évangile.
  • Deuxième point : non seulement chacun d’eux est transformé par la puissance de l’Évangile, mais leur environnement aussi.
  • Troisième point : l’Évangile s’est propagé parce que le messager a su trouver les mots. Si les habitants du village kanak ont reçu l’Évangile, c’est parce que le vieux l’a relayé avec ses mots à lui. Si Jean-Pierre s’en est sorti, c’est parce qu’il a entendu parler de l’Évangile dans un langage qui faisait écho à son expérience d’alcoolique.

Voilà donc la mission du chrétien : annoncer un Évangile qui fait du bien à celui qui le reçoit et à ceux qui l’entourent. Trouver les mots pour prêcher une Bonne nouvelle qui transforme les cours et les structures de la société. Ces trois points constituent les piliers sur lesquels repose la Cevaa. La Cevaa, c’est une communauté de 36 Églises créée en 1971 pour prendre la suite de la Société des Missions de Paris. Elle vient d’avoir 40 ans et c’est l’occasion de nous en rappeler les fondements. Reprenons ces trois points.

Oser annoncer l’Évangile

C’est ici l’appel de l’apôtre Paul aux romains qui résonne : en effet, il est dit : «Quiconque fera appel au Seigneur sera sauvé. Mais comment feront-ils appel à lui sans avoir cru en lui ? Et comment croiront-ils en lui sans en avoir entendu parler ? Et comment en entendront-ils parler si personne ne l’annonce ? Et comment l’annoncera-t-on s’il n’y a pas des gens envoyés pour cela ?» Oui, comment ces kanaks de Nouvelle-Calédonie auraient-ils découvert l’Évangile si personne ne leur en avait parlé ? Comment Jean-Pierre aurait-il arrêté de boire si personne n’avait évoqué devant lui l’aide de Dieu ? L’Évangile se serait-il propagé si ceux qui l’avaient reçu l’avaient gardé pour eux ?

Annoncer l’Évangile implique donc de franchir des barrières mentales et psychologiques tout autant que matérielles : quitter sa réserve, vaincre sa pudeur, sortir de ses murs, regarder au-delà de son périmètre habituel. Cet appel à élargir son horizon résonna très fort en 1964 lorsque plusieurs responsables d’Églises de France et d’Afrique se réunirent pour réfléchir aux conséquences des indépendances des anciennes colonies. Pouvait-on maintenir un système où les Églises d’Afrique issues du travail des missionnaires européens étaient gérées depuis Paris ?

Lors de cette rencontre, le pasteur Jean Kotto, président de l’Église Évangélique du Cameroun, prêchant sur le texte d’Ésaïe 54, apostrophe directement le président de la Société des Missions de Paris, le pasteur Marc Boegner : «Le Seigneur nous rassemblera en une communauté nouvelle, intercontinentale, supranationale et multiraciale.» et il poursuit «Monsieur le Président, élargis l’espace de ta tente, déploies les couvertures de ta demeure, tu te répandras à droite et à gauche, ta postérité envahira les nations». Sept ans plus tard, la Cevaa était née. Née de cette conviction qu’annoncer l’Évangile signifiait briser les frontières, sortir des schémas traditionnels de la mission, inventer de nouvelles formes d’annonce et de témoignage. Aujourd’hui comme en 1971, le défi est le même. Au lieu de nous lamenter sur l’évolution du monde, sur le déclin des Églises, ou sur notre propre sort, le Seigneur nous appelle à relever la tête pour annoncer son Évangile et innover.

En 1971, les Églises, dont l’ERF, innovent en inventant une forme d’organisation inédite jusque là dans les organisations internationales. Par exemple concernant les finances : on décide que chaque Église mettra au pot commun selon ses moyens et que l’utilisation des ressources sera décidée collectivement. Dit autrement, ce ne sont pas les plus riches qui décident ! Aujourd’hui comme en 1971, à nous d’innover là où nous sommes pour annoncer l’Évangile, non seulement aux croyants et habitués de nos assemblées, mais aussi aux non-croyants, aux chercheurs de Dieu, c’est à dire à ceux qui sont sur le parvis de l’Église ou carrément dehors, à ceux qui hésitent pour mille bonnes raisons à franchir le seuil de nos communautés. Le Seigneur nous appelle à inventer l’Église de demain, à enfanter l’avenir plutôt que de rester orphelins du passé. Oui, enfanter l’avenir, c’est à dire transformer le monde, préparer un monde nouveau.

Car la Bonne Nouvelle, en même temps qu’elle touche l’individu qui la reçoit, impacte le collectif qui l’entoure

Cette dimension collective et sociale de l’Évangile est manifeste dans le ministère de Jésus tel qu’il est raconté à ses débuts dans l’Évangile de Marc. Non seulement Jésus prêche, mais il guérit, réintégrant ainsi les malades dans le tissu social. Il guérit la belle-mère de Simon un jour de sabbat, transgressant les règles de la société. Il parcourt la Galilée pour proclamer l’Évangile et chasser les maladies. L’impact social de Jésus est énorme. La prédication de l’Évangile touche celui qui la reçoit et transforme la société. L’Évangile est nécessairement social.

La Cevaa a développé cette conviction en soutenant des projets d’Églises qui mêlent travail d’évangélisation et actions de développement. En Argentine, par exemple. A 1500 kms au Nord de Buenos Aires s’étend le Chaco. C’est la terre des indiens Tobas. Depuis l’arrivée des colons, leurs droits ont été bafoués : on leur a volé leur terre et leur histoire. Leur langue, le qom, n’est pas enseignée à l’école. Ils ont presque oublié leurs danses traditionnelles. Dans cette province, le taux d’analphabétisme et de mortalité infantile est le plus élevé du pays.

Face à cette situation, une Église argentine, membre de la Cevaa, a mobilisé d’autres Églises. Avec le soutien de la Cevaa, elle a mis en place dans les années 2000 une formation biblique et théologique bilingue, en espagnol et en qom. Les Églises ont organisé des ateliers de musique et de danses. Aujourd’hui les Tobas relèvent la tête. Ils ont récupéré la moitié des terres revendiquées. Ils lisent la Bible dans leur langue. Ils organisent chaque année un festival culturel. Cette formation a permis aux Tobas de se réapproprier leur culture, leurs traditions, leur identité, leur langue. La Parole de Dieu lue dans la Bible et partagée a libéré leur propre parole. L’étude des Écritures a été vécue comme un processus de libération, d’émancipation, de renforcement des capacités individuelles et collectives.

Là bas, l’Évangile est un puissant ferment de transformation personnelle et sociale. J’y vois l’appel, maintes fois entendu dans la Bible, à construire un monde nouveau, et à faire de nos communautés les fers de lance de ce projet. Nos Églises représentent une force collective. Elles sont des acteurs de la vie sociale et politique, elles ont des convictions à partager et des propositions à faire dans l’espace public. L’Église n’est pas seulement la somme des croyants qui la composent mais aussi un corps social, une force communautaire, un pouvoir de décision. Les Églises ont une responsabilité vis à vis du reste de la société. Mais cette annonce de l’Évangile en paroles et en actes ne se fera pas sans messagers convaincants.

L’Évangile s’est propagé parce que le messager a su trouver les mots

Pendant longtemps on a cru que l’Europe était au centre du monde. Que la seule civilisation évoluée était la notre. L’Occident a voulu exporter son modèle économique et social. Nous avons souvent imposé notre vision du monde. Jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’il existait de par le monde d’autres manières de penser et de vivre en société, tout aussi pertinentes que les nôtres. Les missionnaires n’ont pas toujours été à l’abri de cette arrogance occidentale. Ils auraient dû relire l’apôtre Paul. «Lorsque j’ai affaire aux Juifs, je vis comme un Juif, lorsque je suis avec ceux qui ignorent la loi de Moïse, je vis comme eux, sans tenir compte de cette loi. Avec ceux qui sont faibles dans la foi, je vis comme si j’étais faible moi-même, Ainsi, je me fais tout à tous afin d’en sauver quelques-uns». Pour annoncer l’Évangile, Paul s’adapte. Il ne renie aucunement ses convictions, mais il commence par se mettre à l’écoute de ceux à qui il prêche. Il cherche à les comprendre, il apprend leur langage. Car chaque culture, chaque classe sociale a ses codes et ses logiques propres. Prenons l’habit du prédicateur.

Paul prêchait sans doute avec ses vêtements de tous les jours. Mais s’il prêchait ce matin à Auteuil, il aurait mis une robe pastorale noire. S’il prêchait au Nord Cameroun, il aurait mis une aube blanche. S’il prêchait en Nouvelle-Calédonie, il aurait mis une veste avec ou sans cravate. A l’Église réformée du Salvador, une chemise aurait suffit. Et s’il prêchait aux réformés américains, Paul porterait une jolie étole de couleur. Et dans un Foyer de la Mission populaire Évangélique, les vêtements du quotidien auraient fait l’affaire. Paul se fait tout à tous pour que chacun comprenne l’Évangile. Car on n’annonce pas l’Évangile avec les mêmes mots selon que l’on habite Paris ou Dakar, les quartiers Nord de Marseille ou le rocher de Monaco. La Bonne Nouvelle doit être prêchée à chacun, mais avec des mots, des images, un style adaptés à son contexte.

La Cevaa l’a bien compris, elle qui dès son origine, a considéré que le travail missionnaire était l’affaire de chaque Église là où elle se trouve. Il n’était en effet pas question que les priorités de travail de l’Église de Madagascar ou du Togo soient décidées depuis Paris. Chaque Église s’est vue confiée la responsabilité de son action et développe ses activités en fonction des besoins locaux.

Ce que souligne Paul, au fond, c’est que l’on ne prêche jamais l’Évangile «hors sol». Le message de Jésus s’incarne dans une histoire et se dit avec des mots humains qui évoluent. Annoncer l’Évangile, c’est être présent aux autres dans une relation d’écoute, de sympathie, d’humilité. C’est un combat permanent, comme l’écrit Paul en employant l’image de l’athlète. Il faut s’entraîner pour ne pas se laisser aller à parler avec arrogance. Il faut discipliner ses veilles habitudes, mettre en question les principes qu’on croit immuables, boxer ses préjugés, faire taire ses a priori, corriger ses prétentions à savoir mieux que les autres. Éliminer ses tendances à juger et à imposer ses vues. Oui, se mettre à l’écoute, se tenir humblement, rester ouvert aux autres, c’est un sacré sport !

Mais c’est la condition pour que l’Évangile annoncé soit entendu, pour qu’il transforme les cœurs et les relations humaines, pour qu’il fasse son œuvre dans la société, pour qu’il engendre une humanité nouvelle.

Amen


Prédication de M. Philippe DERVIEUX, le 1er janvier 2012 – Textes : Genèse 13, 14-18 – Hébreux 11, 8-11 – Luc 9, 31-62

Frères et sœurs

Premier janvier 2012. Traditionnellement. Bonne année avec tous nos vœux, comme on dit bonjour, bonne journée, sans grande solennité, bonne semaine pour encourager nos activités ; on ne dit pas bon mois mais seulement bonne année, en attendant que notre espérance de vie nous permette un jour de dire «bon siècle» !

Parce que là alors, nous changeons d’échelle dans notre imaginaire et nous passons à autre chose, parce que les temps nouveaux sont déjà là depuis la venue de notre Seigneur. Il a fallu qu’il vienne pour que l’on puisse contempler la gloire de Dieu ! Qui était Dieu ? Un esprit, une parole ! Et cette parole est venue habiter parmi nous. Et c’est cela la bonne nouvelle qui a précédé tous les premiers janvier du monde.

Que deviennent donc alors la bonne année, l’éternelle bonne année, nos souhaits, nos vœux du 1er janvier, que je ne décrie mais qui sont bien entendu une forme de salutation où s’exprime l’attention que nous portons les uns aux autres ? Il y a le temps qui rythme nos existences, le temps biologique qui mesure notre développement corporel, le temps des journées qui nous conduit de la nuit à la lumière. Le temps des saisons qui chaque année nous fait passer de l’hiver au printemps.

Mais tous ces évènements ne changent rien à la permanence du monde, d’un monde où Dieu s’est révélé à travers son fils, moment unique de l’histoire ou Dieu s’est fait connaître dans le monde fini.

Peut-être était-ce à ce moment là qu’il fallait dire bonne année à l’humanité, ce temps nouveau où tout a basculé dans la lumière.

***

Parce que nous nous obligeons à répéter inlassablement le rituel des années. Parce que nous nous endormons dans l’habitude de cette répétition, dans ces calendriers que l’histoire connaît et qui chaque année semblent nous ouvrir de nouvelles perspectives, créer l’illusion d’un progrès, simulant une marche en avant.

Et c’est bien ce que nous faisons. La succession des jours et des nuits a toujours imposé la première division du temps du fait de l’obligatoire interruption, dans la plupart des cas, de l’activité diurne et son remplacement par le repos nocturne cela en fonction des révolutions de notre terre autour du soleil. Et nombreux furent les calendriers annonçant les fêtes religieuses, les phénomènes astronomiques, tels les lunaisons, les marées et les éclipses.

Ce fut dans notre ère historique le calendrier Julien. Calendrier romain réformé par Jules César qui resta en vigueur dans notre univers occidental jusqu’en 1582, date à laquelle il fut remplacé par le calendrier grégorien du nom du pape Grégoire XIII, qui l’ordonna à cette date. La même réforme fut ordonnée par le roi Henri III, et le 20 décembre 1582 succéda au dimanche 9 décembre 1582. Mais les pays protestants rejetèrent cette modification pontificale.

Et puis nous pouvons citer le calendrier Républicain, institué en 1793 par la première république française le dit calendrier commençant à l’équinoxe d’automne dont les mois portent des noms très évocateurs comme Germinal, Floréal, Pluviôse, etc. Le calendrier perpétuel avec les jours où doit tomber la fête de Pâques, qui je vous le rappelle est fixée au dimanche qui suit le quatorzième jour de la lunaison de l’équinoxe de printemps, donc une date variable suivant les années. On peut citer également le calendrier de Flore qui rappelle les noms de fleurs classées dans l’ordre des floraisons successives qui interviennent au cours d’une année. Je citerai aussi le calendrier du positivisme proposé par Auguste Comte.
Le calendrier arabe suivi par tous les peuples musulmans fondé entièrement sur la course de la lune, le premier jour du mois devant correspondre à la nouvelle lune.

En général, on distingue les calendriers solaires qui admettent comme période le temps que met la terre à tourner autour du soleil soit 365 jours et 6 heures en honneur chez les peuples chrétiens. Les calendriers luni-solaires comme le calendrier chinois. Le calendrier lunaire comme l’ancien calendrier romain qui fut recalé sur le calendrier solaire avec le calendrier Julien du nom de Jules César.

Le calendrier israélite remonte au IVe siècle après J.C. Son cycle est original. Le jour commence à 6 heures du soir et la semaine de sept jours, débute le samedi à cette même heure.

Ce panorama un peu rébarbatif nous apprend que l’humanité avait semblé maîtriser le temps avec des règles communautaires qui créaient chez les peuples une base commune propre à harmoniser les rapports humains. C’était une harmonie fonctionnelle établissant dans chaque communauté, dans chaque société, dans chaque population, dans chaque religion, des règles permettant des rapports harmonieux à dates communes.

***

Mais je pense que cet état de choses ne présentait pas une parfaite compatibilité avec la foi chrétienne. En effet, tous ces mouvements sont en rapport avec le cycle des astres, avec des révolutions qui tournent en rond et font apparaître régulièrement les mêmes phénomènes alors que le temps de la veille, le temps du veilleur qui attend le retour du Christ est un temps continu depuis la Pâque de la Résurrection, les musiciens diraient même un continuo.

Mais cette répétition cosmique, nous pourrions dire qu’elle est doublement fonctionnelle. Elle contribue à l’organisation de la société humaine. Mais en même temps elle est pédagogique, le calendrier analysant chaque moment fort de la vie chrétienne et par ce rappel périodique assurant la formation des générations montantes. Enseignement rythmé par les dates anniversaires de l’histoire du peuple d’Israël, et du ministère de Jésus depuis sa naissance dont le livre du prophète Aggée nous rappelle qu’elle a eu lieu le 24e jour du neuvième mois après six heures du soir jusqu’à la sixième heure du matin intervalle qui couvre la nuit du 24 au 25 décembre, date symbolique de l’arrivée de la lumière dans le monde des ténèbres.

Pâques, fête de la résurrection, fête du grand passage de la mort à la vie. Sa date a fait l’objet d’une grande controverse. Certaines églises voulaient fixer cette date le 14 du mois de Nissan (Mars-Avril) à la façon de la Pâque juive, tradition que l’on tenait à l’époque de l’apôtre Jean. Mais elle est fixée aujourd’hui au dimanche qui suit le quatorzième jour de la lunaison de l’équinoxe de printemps.

Ainsi se construisirent nos années catéchétiques faites d’allers et retours comme si nous étions tous des redoublants. Suivant généralement le cycle des lunaisons qui était la référence de nos lointains ancêtres alors que l’attente de Dieu est un long continuo. Et nous savons qu’il ne faut pas dormir pendant ce temps là.

***

Le temps du chrétien s’est ouvert avec le Christ, le jour de la résurrection. Ce temps dans nos programmes liturgiques, c’est le temps de l’Église entre Pâques et le temps de l’Avent. En fait, il s’agit d’un temps dont nous connaissons le point de départ mais dont ignorons le point d’arrivée. Dans la symbolique biblique, il s’agit de cette terre nouvelle qui nous est attribuée et dont nous sommes les héritiers nous dit la Genèse.

«Lève les yeux. Regarde vers le Nord et le Midi, vers l’Orient et l’Occident par tous le pays que tu vois je le donnerai à toi et à ta descendance. Lève-toi, parcours-le car je te le donnerai»

Les apôtres connaissaient cette promesse, ils la savaient et ils pensaient en être les témoins vivants lors de son accomplissement avant la fin de leur vie.

Le temps de l’Église ainsi ouvert est pour nous et nos communautés un temps de suivance fidèle. Comme nous le disent les passages de Luc 9. Ce n’est pas un temps d’allégeance, de dépendance voire même de servilité. C’est un temps d’accompagnement mutuel, dans un enrichissement réciproque.

C’est aussi accepter des privations en face du prochain notamment, des renoncements, définir une mesure honnête de sa capacité à servir, tant il est vrai que rien n’est plus négatif qu’un emballement affectif qui débouche dans l’acédie, c’est-à-dire une sorte de dégoût envahissant pour ce qui avait été parfois au premier de ses passions.

Suivre Jésus c’est s’inspirer des chemins de l’évangile, c’est relativiser le cadre rassurant des protections terrestres et peu à peu se laisser guider par la foi et la confiance en Dieu.

L’engagement de laisser les morts enterrer les morts est terriblement exigeant puisque, chez les juifs comme chez les grecs, il y avait un souhait constant d’être accompagnés par leurs enfants à leur dernière demeure. On peut même dire qu’il y a là le symbole d’une vraie rupture. Pour les mortels que nous sommes, la mort est un terme qui nous laisse désemparés, mais pour le chrétien la mort n’est plus une fin mais une véritable entrée dans la vraie vie, celle qui nous est offerte par l’incommensurable grâce de Dieu.

En fait, l’idée centrale de ce passage de Luc et cette image d’un sillon droit, propre, presque pur, sans douter, sans regarder en arrière. L’essentiel et d’annoncer l’Évangile à sa façon ou plutôt à sa meilleure façon.

***

Dans cette attente de Dieu, dans ce temps de l’Église, il y a lieu de se mettre en chemin avec les autres, nos voisins, nos frères et de rester en marche même si nos jambes ne nous portent plus. Nous connaissons le point de départ de cette première Pâque. Oublions nos origines, supportons les séparations, ne privilégions pas nos lieux de repos. La vie chrétienne n’est pas à côté de la vie. Elle en est partie intégrante. Vivre notre suivance du Christ c’est aller au bout de notre sillon. C’est se rappeler que notre vrai premier janvier c’est ce moment unique où, par la grâce de Dieu, une couronne d’épines est devenue au troisième jour une couronne de gloire et d’espérance, mémoire inoubliable d’une éternité marquée par un Dieu fait chair venu habiter avec tous les hommes. Elle continue à rappeler ce Dieu de grâce et de consolation qui nous donne son amour et implore tous les jours notre confiance.

Amen.


Prédication de M. Philippe DERVIEUX, le 10 avril 2011 – Textes : Ezéchiel 37, 11-14 – Esaïe 42, 1-4 – Luc 21, 1-4

Le temps de l’Église

Frères et sœurs,

Au premier siècle de notre ère, la foule s’imposait à l’individu, le multiple triomphait de l’unité et la dimension numérique était une dimension remarquable et remarquée. Mais de plus la multitude manifestait une extraordinaire vitalité dans le fonds du bassin méditerranéen. Un nouveau peuple de Dieu était né après Israël. Il y avait là une sorte de fusion mystique qui générait un niveau de communion étonnant. Oui comme le disait Luc, la multitude de ceux qui avaient cru n’étaient qu’un cour et qu’une âme.
Dans un premier temps, quelle était l’origine de cette nouvelle réalité spirituelle ? Quel est aujourd’hui son niveau de communion après vingt siècles d’Histoire et de conflits ? Comment aujourd’hui résiste t elle à l’effet pernicieux mais aussi bien naturel de ces conflits.

L’Église est née d’un grand évènement créateur, l’Ascension du Seigneur ce fut un évènement à deux faces, conclusion du ministère de Jésus et point de départ de l’activité des apôtres. « Notre Seigneur fut élevé et une nuée le prit alors en charge loin de leurs yeux » Jésus crucifié et ressuscité accède alors au Père. Il devient invisible aux hommes. Cette invisibilité fit place à la visibilité d’une communauté d’hommes et de femmes. Le maître s’en va laissant le serviteur veillant nous dit l’évangile. Le serviteur veillera jusqu’au retour du Seigneur. Telle est la vocation de l’Église. Il faut que Christ se retire pour que naisse son Église.
Ainsi, en s’effaçant du monde, Jésus ressuscité ouvre un espace nouveau dans lequel la communauté des croyants assumera désormais la présence du Seigneur, cachée aux yeux des hommes. « Vous serez mes témoins dans toute la Judée et la Samarie jusqu’aux confins de la terre. »

Par l’intermédiaire de l’Église, le divin et l’humain se rencontreront dans un monde nouveau où Dieu intervient par la voix des premiers témoins. Ainsi commence l’aventure chrétienne au sein d’une multitude d’êtres nommés ou anonymes mais connus de Dieu. Quels sont ils ? Des croyants qui ont reçu l’Esprit, et par conséquent, deviennent témoins au sens où le témoignage se définit dans la capacité de dire Dieu. Parce que l’Esprit inspire la parole du témoignage, la présence du ressuscité est identifiable et une multitude d’hommes et de femmes vont entrevoir une vie sauvée du malheur grâce à l’ombre discrète du ressuscité.
Ainsi est née l’Église, d’une foi irriguée par le Saint-Esprit qui rend témoignage au Christ ressuscité.

Mais ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Dès l’origine des conflits majeurs déchireront l’Église naissante. Ce fut d’abord la querelle des hellénistes, ces juifs de la diaspora, dont le grec était la langue usuelle et qui constituaient le plus gros contingent de néophytes face aux juifs nés en Palestine qui parlaient l’hébreu. Ce fut aussi la querelle des judéo-chrétiens. Est-ce que la circoncision devait s’imposer aux nouveaux membres non juifs de l’Église pour que soit observée la loi de Moïse. En effet, lors des nouvelles célébrations des nouveaux chrétiens, les juifs convertis trouvaient scandaleux le fait de côtoyer des païens convertis, certes, mais non circoncis. La chose était d’importance car elle concernait directement la notion même de nouvelle alliance qui était au cour de la nouvelle Église. Jacques, le frère de Jésus, proposa alors un compromis, à savoir que les circoncis et les non circoncis vivent leur foi non pas comme un seul peuple mais comme une nation croyante, partie intégrante de l’Église universelle.

Cette proposition de Jacques, le compromis, est encore aujourd’hui la solution préférée si, bien entendu, elle n’a pas de connotation dangereusement négative.

Autre conflit, celui qui a présidé au schisme de l’Église d’Orient. En effet, dès le Ve siècle, apparurent des divisions dans l’Église chrétienne entre ceux qui parlaient le grec et ceux qui s’exprimaient en latin. Toutes ces divisions s’envenimèrent jusqu’en 1053 1054. Aucune négociation pour renouer le lien entre l’Église de Rome et l’Église d’Orient n’aboutit

La Réforme enfin, ce grand mouvement politique et religieux qui réussit à briser l’unité catholique et à soustraire à l’obédience du pape une grande partie des états septentrionaux de l’Europe.
Rapprochons nous de notre époque et augmentons le grossissement de notre lunette historique. Nous sommes au 19e siècle : après le concordat de 1803 et surtout la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État, la politique a continuer à interférer dans les affaires de l’Église.
Notre devise nationale : Liberté, Égalité, Fraternité inscrite aux frontons de nos mairies est manifestement humaniste et même d’inspiration chrétienne. La liberté de l’individu, l’égalité des enfants de Dieu et l’amour du prochain sont les piliers de notre foi. Ils sont au centre de notre vie nouvelle et posent les premiers jalons du royaume de Dieu.

Mais en politique, ils s’appliquent d’une façon différente. Sinon le machiavélisme, du moins le réalisme commande dans le court terme qui est le champ d’action du pouvoir, de considérer les effets pervers des dits principes. Liberté ne veut pas dire liberté absolue mais pas de contrainte choquante. Égalité ne veut pas dire égalitarisme forcené mais pas d’inégalités choquantes. Fraternité signifie solidarité effective mais solidarité qui ne décourage pas l’effort personnel.
Ces nuances sont importantes car elles séparent le royaume de Dieu du royaume de César. Mais la tentation fut grande par un amalgame abusif d’annexer l’Église pour les besoins de la cause et étayer des idées politiques qui ne font pas l’unanimité des citoyens du monde chrétien.

À l’intérieur même de l’Église, dans les organes institutionnels, certains veulent imposer certains choix que d’autres n’acceptent pas. Heureusement, notre structure synodale, si elle permet l’expression de tous les projets, exige pour leur adoption la majorité des voix. Je me rappelle une proposition soumise au Conseil presbytéral et désapprouvée par la majorité des conseillers. Néanmoins certains s’y cramponnaient de façon pas très « fair play » réclamant un nouveau vote sur le même projet. J’avais donc demandé le passage à l’ordre du jour, ce qui conformément aux statuts entérinait de façon définitive le précédent vote. Il faut bien avouer que la radicalité de certaines attitudes peut tuer l’esprit démocratique de nos institutions.
Et puis il y a l’ensemble des bénévoles qui constituent une partie significative de la population des fidèles. Le conflit de certains « ego », de certaines personnalités qui se comportent en quasi propriétaire de la charge qu’elles assument et ne supportent ni la critique ni la limitation de leurs pouvoirs quand bien même elles seraient inspirées par l’intérêt général. Ainsi serait désavoué par là l’esprit de partage et l’esprit de compromis qui doivent régner à l’intérieur de la communion de l’église locale.

Dans l’organisation de l’Église comme dans toute structure, l’autorité doit associer à son action la base des fidèles, connaître leurs sentiments avant de mettre en ouvre une action collective. Soit elle le fait par sagesse, soit elle applique une concertation de type démocratique.
Notre Église réformée prévoit une cascade d’échelons électifs depuis l’assemblée de l’église locale qui élit le Conseil presbytéral jusqu’au Synode national qui élite le Conseil national et les différentes commissions nationales. Ainsi peut on espérer un rapport harmonieux entre les églises locales, le peuple de Dieu et le gouvernement de l’Église.

Pour renforcer l’esprit de partage, un usage fréquemment adopté est que pour chaque poste il y ait un seul candidat proposé par l’exécutif sans pour autant interdire les candidatures libres. Ce système inspiré de celui de la candidature officielle évite des batailles électorales, où l’esprit de communion peut être menacé.
Et puis, la relation personnelle, le dialogue, la discussion paisible, les contacts fraternels sont des facteurs de rapprochement. Je me rappelle avoir rencontré lors du synode national de Mazamet, un pasteur de la région parisienne, dont j’avais contré une proposition dans un synode antérieur. Il me dira avoir présidé le service funèbre de la mère d’une de mes secrétaires, concluant, à regret semble-t-il en disant « Il paraît que vous êtes un bon patron. » Je lui ai répondu que ce n’était pas forcément incompatible. Et nous nous sommes souris. Le souffle de l’Esprit nous avait effleuré.

Autre exemple, une ville de l’est algérien, Philippeville, en 1960, pendant la guerre. Une église réformée dans cette ville, et dans cette communauté deux populations, les uns partisans inconditionnels de l’Algérie française, les autres, fonctionnaires, hommes d’affaires, plutôt attirés par des réformes allant jusqu’à l’indépendance. Aussi à certains moments, les discussions étaient empreintes d’une certaine véhémence mais après le culte et la Sainte cène, se manifestaient chez les uns et les autres une harmonie nouvelle débouchant sur des rapports nouveaux comme s’ils étaient passés d’un monde ancien dans un monde nouveau comme des enfants d’un même père.

J’ai été appelé plusieurs fois à des fonctions ecclésiales et j’ai toujours vécu avec émotion la liturgie de reconnaissance de ministère dont j’étais le sujet non pas par une sorte d’orgueil solitaire mais par le sentiment d’une intense communion avec mes frères dans la foi, présents ou absents, prenant conscience que j’étais partie intégrante avec vous d’une longue chaîne de témoins.
C’est bien à ce moment là que l’on sent la présence de l’Esprit Saint qui vous submerge au sens d’une immersion dans un autre baptême. C’est ce sentiment qui nous rattache à l’Église, c’est ce sentiment d’appartenir à une famille nouvelle qui nous saisit, une famille choisie comme étant votre dans une même foi. C’est ce sentiment qui vous fait connaître comme frères et sœurs, tous ceux qui vous accompagnent et avec lesquels vous ouvrez.
C’est à eux que vous devez sincérité et vérité, car tous ensemble vous préparez un monde nouveau qui remplacera le monde ancien celui des apparences, le monde des choses visibles mais si trompeur alors que vous êtes appelés par l’invisibilité du Saint-Esprit. Ce sont les manquements à ce devoir qui a condamné Ananias et Saphira comme le rappelle le chapitre 5 du livre des Actes.

Et nous comprenons alors la valeurs extrême des deux pièces de la pauvre veuve de Luc 21. Elle a compris que la privation de ce petit pécule qu’elle consacre à l’autre, que cette somme n’est rien à côté de la lumière qu’elle découvre dans l’espérance de la résurrection et du royaume de Dieu.

Aussi dans nos rapports communautaires, tachons d’oublier nos morales séculières, tachons de fuir les projets ardents qui laisseraient sur le bord du chemin les faibles et les incompris, tachons de modérer nos ambitions, même si elles nous paraissent indispensables pour le devenir de l’Église, tachons d’accueillir les autres et leurs erreurs avec une vraie tolérance. Restons sobres dans nos affirmations, nos prétentions et nos comportements. Ne répondons pas aux coups par d’autres coups. Sachons ne pas nous mettre toujours en avant. Car si cela est puissance dans le monde visible, cela devient poussière dans le monde de Dieu.

Oui «La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cour et qu’une âme»

AMEN


Prédication de M. Philippe DERVIEUX, le 22 août 2010 – Textes : Esaïe 66,18-21 – Hébreux 12,5-13 – Luc 13,22-30

Pour recevoir cette prédication, contacter le secrétariat : secretariat@erf-auteuil.org.


Prédication de M. Philippe DERVIEUX, le 2 mai 2010 – Textes : Hébreux 11,1-19 – Ap. 21,1-5 – Jean 13,31-35

Un ciel nouveau, une terre nouvelle

Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Nous sommes dans l’Apocalypse, dans les derniers chapitres de la bible. Certes l’apocalypse a pour objet l’annonce de la fin des temps mais n’a en aucune manière une signification catastrophiste telle que lui donne le sens commun aujourd’hui. Elle veut tout simplement exprimer la notion de découverte et celle sublimée et tout à fait adaptée de RÉVÉLATION.

En effet, on y parle plus de l’avènement d’un monde nouveau plutôt que de la fin d’un monde ancien et ce tout simplement parce qu’il y a un évènement qui donne tout son sens à l’histoire du salut, c’est la résurrection de Jésus de Nazareth.

Parce que le monde nouveau n’est pas le retour d’un cycle historique ou le rajeunissement d’une histoire passée ou bien un arrangement superficiel à la façon de ces programmes politiques qui font l’ordinaire de notre actualité et qui ne sont que des pâles redites, malgré la bonne volonté de nos édiles.

Non. l’apocalypse annonce un changement radical.
C’est une révélation. C’est aussi une attente. C’est enfin une espérance.

Une révélation

Deux mots en grec ancien expriment ce qui est nouveau : le mot néos et le mot kainos.
Neos comme dans le mot néologisme exprime la nouveauté chronologique. Par contre le mot kainos a le sens d’une nouveauté plutôt qualitative, de quelque chose de neuf et de meilleur que le monde actuel que nous connaissons, et c’est cet adjectif qui est utilisé dans le texte grec.

Et ce monde nouveau est celui d’une humanité nouvelle que l’on dénomme à travers un certain nombre d’expressions diverses : vie éternelle, royaume des cieux, paradis, cité sainte. Jérusalem nouvelle pour faire ressortir sa vraie nature de demeure avec Dieu.

Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Tout cela pour exprimer une communion profonde entre Dieu et l’humanité. Cette humanité qui sera ressuscitée dans sa cité sainte comme une jeune mariée, parée suivant les termes bibliques, comme la fiancée de l’agneau.
Et l’ange nous montre le fleuve de vie qui jaillit à travers ce nouveau royaume.

Point ne sera besoin d’apprécier les dimensions du temple pour y mesurer la gloire de Dieu. Le temple ne sera plus médiateur, ni intermédiaire. Mais avec l’humanité nouvelle il sera le siège même de la gloire de Dieu. Et nous les hommes et les femmes deviendrons le temple de Dieu suivant la belle expression de l’apôtre Paul.

On retrouve ici le sens d’un temple spirituel, comme l’arche transporté à dos de chameau au temps d’Abraham, perpétuel voyageur sur la terre des vivants comme le confirmera la foi réformée qui refusera tout caractère sacré à un édifice quel qu’il soit. Seule la cène eucharistique réunion de quelques uns autour du Seigneur et de sa mémoire est sacrée.
Ainsi Dieu dans la splendeur de l’humanité nouvelle retrouvée, brillera aux yeux de tous d’une lumière définitive.

Nous retrouvons ainsi le paradis des origines, le jardin d’Éden ou coule le fleuve de vie.
La boucle est bouclée. Jean l’apôtre, qui écrit l’apocalypse revient ainsi au jardin des origines point culminant, clef de voute de l’ouvre de Dieu.

Nouvelle création. nouvel Israël, nouvelle alliance, nouveau temple, noces éternelles entre Dieu et son peuple. Voici dit Dieu, je fais l’univers nouveau. L’harmonie y règne sans partage. Il n’y a ni serpent ni piège et les fruits que dispensent les arbres sont en abondance.

Jérusalem la ville la cité sainte a toujours été le symbole de l’unité des croyants mais elle a été aussi et est encore le théâtre de la discorde Mais Dieu en fit le lieu de réunion des tribus d’Israël, d’un Israël qui ne connait plus de frontières, d’un Israël théologique qui réunit tous les peuples de la terre.

C’est le Dieu de la nouvelle alliance. C’est un nouveau temple qui n’a pas besoin de l’éclat du soleil, car la gloire de Dieu illumine. L’épouse est tout entière tournée vers l’agneau qu’elle implore de toutes ses forces.

Une attente

Ainsi, s’exprime un ensemble plus ou moins mythique qui a fait naître chez de nombreux lecteurs fondamentalistes la certitude de l’imminence du retour du Christ.
Ils invoquent pour cela plusieurs raisons.

La première tient au fait que toutes les prophéties de l’ancien testament se sont accomplies avec exactitude. Et il n’y a aucune raison pour que cette seconde venue, ce second rendez vous n’ait pas lieu ; mais l’on oublie que le ministère de Jésus annoncé par le premier testament fait état d’une symétrie parfois peu convaincante et pleine d’inattendus.

La création de l’état d’Israël a été un autre argument pour justifier le retour du Christ.
Mais peut on assimiler Israël en tant que valeur théologique exprimant le peuple de Dieu tel qu’il est visé par l’apocalypse et le territoire politique entre méditerranée, Jourdain, mer morte et désert du Néguev.

N’oublions pas aussi le message livré par la parabole des dix vierges. Des dix qui veillaient au retour de l’époux, cinq n’avaient pas rempli d’huile le récipient de la lampe, mais les cinq autres avaient pris cette précaution. Les premières ne purent accueillir le Seigneur comme il se doit. Cette parabole a deux significations, la première est qu’il faut être toujours prêt à accueillir le Seigneur à son retour, c’est-à-dire en rappelant sa mémoire et célébrant son culte. Mais ce retour que tous estimaient très proche, peut prendre du retard et c’est la seconde signification : les croyants doivent assurer la permanence de la foi sur terre en l’absence de Jésus. L’église doit se constituer assurer la transmission de ce qu’ont vécu les disciples avec Jésus et demeurer les témoins de la bonne nouvelle. Le message est clair.

Il faut vivre en plénitude cette attente. Il faut conserver chevillée à tout l’être l’espérance vivre comme de vrais hommes et de vrais croyants. C’est cela la vigilance qui nous est demandée. Nous fermons ainsi le livre du monde ancien qui s’achève par la révélation d’un Dieu avec les hommes, le Dieu de l’Emmanuel et l’ouverture d’un nouveau livre que nous commençons à écrire depuis deux mille ans, celui d’un monde nouveau.

Cela nous conduit à une première conclusion. le royaume des cieux n’est peut-être pas pour demain mais il arrive, il arrive quand nous le préparons. Il faut garnir les veilleuse qui éclairent le chemin du salut. Il ne faut pas dormir pendant ce temps là.

En Jésus Christ ressuscité tout est déjà fait. Le salut est là. la promesse est accomplie.
Dieu a rempli son contrat. Et pourtant de notre côté , tout reste encore à faire. Parmi les théologiens contemporains J. Moltman nous a sensibilisé à cet aspect des choses. Tout n’est pas fini, et ce qui a déjà été fait augmenter notre impatience et même exaspère parfois notre attente, en nous incitant à travailler pour que la promesse se réalise. L’espérance de ce royaume qui est en nous conduit vers une transformation historique de la vie. La théologie de l’espérance nous engage à faire du neuf dans l’histoire.

Une espérance

La foi chrétienne affirme une vie qui n’aura pas de fin mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit là d’une vie tout autre.

Nous considérons malheureusement qu’entre la vie présente et la vie éternelle, il y a en quelque sorte une cloison étanche, la vie éternelle succédant à la vie présente. Mais pour le croyant la vie éternelle a déjà commencé. Il est passé de la mort à la vie. Il est lui-même transfiguré pour avancer dans une vie nouvelle parce qu’en Jésus Christ il a reçu l’esprit de Dieu.

L’ancien testament n’oppose pas l’âme de l’homme à la chair de l’homme. L’âme est partie intégrante de la chair de l’homme et constitue le corps tout entier, l’être tout entier dans son existence et dans son histoire. L’opposition n’est pas entre âme et corps mais entre esprit de Dieu et l’être de l’homme.

Ainsi l’esprit de Dieu peut venir habiter la chair de l’homme. C’est le miracle de la foi qui donne à l’homme une nouvelle personnalité et constitue l’homme nouveau. Par le miracle de l’esprit un fils de Dieu est né en nous.

Il y a l’homme en Adam et l’homme en Christ qui cohabitent en chacun d’entre nous comme l’écrivait le pasteur Alphonse Maillot. Comme il y a en nous le vieil homme et l’homme nouveau. l’homme extérieur et l’homme intérieur, la chair de l’homme et l’esprit de Dieu.

C’est une mission difficile que de vouloir expliquer l’inconnaissable, l’insaisissable, l’impartageable sinon par la voie négative comme par le mot nouveau ou le mot autre. Depuis les origines, certains ont conservé le principe de l’historicité du Christ ou ont relatés simplement les faits et gestes tels qu’ils sont rapportés par des témoins identifiés ou même des apparitions mystérieuses racontées par les mêmes témoins. Relater la crucifixion dans un langage usuel, cela est nécessaire. Mais c’est un pari osé que d’utiliser une terminologie usuelle pour exprimer l’inexprimable qui est la victoire finale de Dieu.

Quand on parle de « nouveau », d’« autre » on utilise un langage courant qui tente d’expliquer un mystère, parce qu’il y a vraiment autre chose. La pierre du tombeau a été roulée et c’est d’abord le vide que nous constatons. Il n’y avait plus personne dans ce tombeau et pourtant il y avait quelqu’un. Comme dit l’apôtre dans l’épître aux Corinthiens. La vie éternelle est un « vivre plus » qui augmente l’éclairage divin de notre vie terrestre mais ne constitue en aucune manière une évasion vers je ne sais quel « no man’s land ».

Je meurs chaque jour un peu plus mais je vis chaque jour un peu plus. Ma mort meurt chaque jour mais ma vie se multiplie, comme un trésor mis en évidence dans le vase de terre qui se délite chaque jour.

Le symbole de Nicée ne nous montre-t-il pas la voie en substituant à l’expression de vie éternelle, celle de monde à venir. Ce monde dont nous avons déjà une idée approximative. Nous en témoignons clairement quand, dans la communion d’une nouvelle espérance, nous entonnons ensemble d’une même voix et d’un même cour avec foi et joie des strophes connues depuis l’enfance. Le chant sollicite l’âme et le corps, la chair entière, des émotions, de la mémoire, du parler, du physique, comme une résurrection qui éveille tout notre être à une vie nouvelle en Christ aujourd’hui. Le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché. Le monde à venir surgit dans le monde d’ici-bas et le transforme.

Amour, pardon, partage en sont les signes évidents car la vie du monda venir n’est rien d’autre que l’Évangile de Dieu transformant l’homme et la création.

Pour conclure, je vous citerai cette phrase de France Quéré trouvée dans son commentaire de l’Évangile de Jean « Les hommes ne s’attendent pas à ce que Jésus bientôt anéanti, soit exalté au dessus de tout nom. Mais ils commencent à entrevoir que seule est grand celui qui abaisse sa grandeur. Qu’il n’est de puissance et de gloire que d’amour. Peut-être bien un jour la gloire nous a-t-elle effleuré quand dans un sacrifice accepté ou une action sans témoins, nous avons senti déferler la grande paix dans notre cour.

Je n’oublierai jamais cette photographie où l’on voit un résistant, debout, face aux fusils pointés des miliciens. Ils vont tirer… et il sourit.

Frères et sœurs, oui, nous pouvons déjà discerner aujourd’hui un ciel nouveau et une terre nouvelle.

AMEN


Prédication du pasteur Gill DAUDÉ, le 18 avril 2010 – Texte : Jean 21,1-14

Une sorte de rajout, un Post Scriptum après la conclusion. Comme si ce Ch 21 de l’évangile selon Jean était un rattrapage, une rectification de tir. Surtout à propos de Pierre.
Car les deux dernières fois que Pierre est apparu dans l’évangile, ce n’était pas très flatteur.
Il y a le récit de la résurrection où Pierre et le disciple bien-aimé ont couru au tombeau. Mais on nous dit que c’est le Disciple bien aimé qui « vit et qui crut », pas Pierre.
Il y avait eu auparavant l’épisode du reniement de Pierre et là aussi l’évangile de Jean était particulièrement dur : Pierre renie 3 fois Jésus et, dit l’évangile, « le coq chanta ». Point final. Aucune mention, comme les autres évangiles, des larmes du repentir de Pierre. Comme il n’y a d’ailleurs aucune mention de la confession de Pierre « Tu es le Christ ».
Bref, jusqu’à ce chapitre, on a l’impression que tout était focalisé sur le disciple bien-aimé, le disciple par excellence, et que l’évangile de Jean boude Pierre.

Et pour cause ! Les historiens des textes ont mis en évidence qu’une sorte de conflit d’influence, ou tout au moins, des communautés de sensibilité différente, les unes se référant à Jean, les autres se référant à Pierre, considéré comme le chef des apôtres, tout au moins d’un point de vue institutionnel. C’est lui, par ex., que Paul va voir pour être dans la communion de l’Église, selon le livre des actes (même s’il se disputera après), c’est lui qui prononce la première prédication, celle qui formatera la prédication du christianisme primitif ; c’est lui encore qui ouvre le christianisme aux païens avec ses visions et la 1ère prédication aux Païens (Corneille), toujours selon le livre des actes.
Mais dans l’évangile de Jean, pas un mot de considération pour Pierre. Tout est pour le disciple bien-aimé, cet anonyme qui représente la relation mystique, intime à son Seigneur, et dont la tradition orientale gardera plus fortement la trace que notre christianisme occidental plus intellectuel sous l’influence de Paul et plus institutionnel sous l’influence de Pierre.

Et voilà que la fin de l’évangile vient rectifier le tir, si l’on peut dire, tout en concluant l’ensemble en synthétisant les grands thèmes de l’accession à la foi. C’est ce que je voudrais explorer avec vous ce matin.

Ici d’abord, tout est plénitude.
Il y a aussi 7 disciples présents. Sept, ce n’est pas un hasard, que ce chiffre de Dieu. On dit qu’il exprime l’Église, toute l’Église.
C’est ensuite la 3e apparition de Jésus, et Pierre s’exprime 3 fois ! Or la répétition jusqu’à 3 fois authentifie un acte à l’époque. Il y a aussi le nombre de poissons : 153, nombre triangulaire (qui peut être représenté par un triangle) et qui est aussi, selon St Jérôme, la totalité des races de poissons connues alors, et donc la totalité (le terme exact serait « catholicité ») de l’Église. Et le texte précise à cette occasion que le filet ne se déchire pas, avec un mot évoquant la division de l’Église : l’Église du Christ, dans sa totalité, ne se divise pas, lorsqu’elle est envoyée par le Christ dans sa mission, et que chaque disciple fait son travail !

Tout est donc plénitude ici dans cette dernière apparition de Jésus, qui est moins une apparition qu’une manifestation (le terme grec dit « une épiphanie ») en ce sens qu’il est toujours présent mais qu’il se rend visible, chez Luc sous les traits d’un étranger, ici sous les traits d’un mendiant réclamant à manger, qu’il se rend visible à des signes (ici, une pêche réussie), et que sa présence est liée à la foi/confession de foi du disciple (ici, celle du Disciple bien aimé : c’est le Seigneur !).
Ainsi Jésus, toujours présent, s’offre à ses disciples de multiples manières mais. chose étonnante, alors que tout le récit est au passé comme s’il nous racontait une histoire, il passe tout-à-coup au présent (v12) quand il s’agit d’inviter les disciples à manger (« Venez, mangez ») : alors, dit le texte, Jésus vient (présent), prend le pain (présent) et le leur donne (présent) avec le poisson.
Ainsi s’installe une permanence et une plénitude de la présence du Christ ressuscité dans le partage du pain et du poisson ; le poisson étant le symbole de la confession de foi du disciple puisque Ichtus, vous le savez, signifie « Jésus, Christ, fils du Dieu sauveur ».
Nous voilà donc embarqués, comme lecteurs, dans la mission où le Christ ressuscité nous précède sous les traits de personnes humaines diverses, et comme disciples dans la confession de foi (c’est le Seigneur) et le partage du pain dans lequel Jésus vient.

Pour avancer un peu plus loin, revenons maintenant à Pierre.
Ici, Pierre que l’on avait laissé dans son reniement, plonge. Il plonge sur la confession de foi du Disciple bien-aimé qui reconnait le Seigneur. Il est en quelque sorte évangélisé par ce disciple. Il plonge et lui qui était nu, totalement dépouillé de lui-même en qq sorte, commence à se revêtir. Image du baptême s’il en est une ici : vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ (Gal 3,27) ! Et Image de sa conversion que va signifier ce petit dialogue qui répare les 3 reniements par 3 déclarations d’amour ou d’amitié (chez Jean, il y a une équivalence de mots) et où, bien que Jésus lui pose un piège (m’aimes-tu plus que ceux-ci, comme pour vérifier s’il y a encore cette prétention pétrinienne), Pierre répond humblement : tu sais, Seigneur, tu sais.
Bref nous avons ici un baptême, une véritable conversion de Pierre et même l’annonce de son martyre qui est le dépouillement de soi par excellence. L’évangile rectifie ainsi l’image d’un Pierre prétentieux et finalement renégat par l’image d’un Pierre totalement transformé, totalement donné, à l’amour humble et authentique. Il devient, comme le disciple bien-aimé, l’exemple du disciple pour les lecteurs que nous sommes.

Ce Pierre-là, maintenant, peut recevoir sa mission pastorale « Pais mes brebis » mais jamais tout seul : il faut un disciple bien-aimé pour lui dire que c’est le Seigneur qui se manifeste ici, Pierre ne le voyait pas. Il faut les autres disciples pour tirer le filet plein des 153 poissons, pêche réussie symbolisant la mission d’annonce de l’évangile.
Mission pastorale « pais mes brebis » qui reste cependant toujours seconde : les brebis sont bien celles de Jésus, elles ne lui appartiennent pas, et Jésus reste invisiblement présent (nous l’avons déjà noté).
Mission pastorale, « pais mes brebis », c’est-à-dire un grand soin de l’Église, qui ne peux se recevoir et s’exercer qu’avec beaucoup d’amour (m’aimes tu ?), d’humilité, de dépouillement de soi.

C’est cela, les conditions de la vie et du témoignage de l’Église. Nous devrions tous nous le rappeler 3 fois par jour, nous qui, comme chrétiens chercheurs du Christ et de sa présence, sommes en même temps missionnés pour le service de l’Église (c’est-à-dire l’annonce de son évangile) à la suite des disciples.

«Suivre Jésus», selon la conclusion du dialogue de Jésus avec Pierre « suis-moi », c’est donc une double vocation si l’on peut dire : la mission (dont personne n’est exclue : 153 poissons !) et la célébration de sa présence (Jésus vient, prend du pain et le leur donne). Mais ce qui me fascine, c’est que dans les deux cas, Jésus les avait précédés :

  • Ils ont pêché en vain toute la nuit, incapables de voir que le ban de poissons était juste de l’autre côté de la barque : il y a un discernement nécessaire dans la mission qui ne peut se faire qu’à l’écoute du Christ ressuscité.
  • Et dans ce repas, Jésus leur demande à manger, alors qu’il a déjà tout apporté : le feu, le pain et les poissons (Il leur demande même d’apporter des poissons. dont il ne se servira finalement pas, tout au moins le récit n’en dit rien : c’est le Christ qui préside au repas et personne d’autres, même lorsque, comme dans le récit des disciples d’Emmaüs, ce sont les disciples qui l’invitent).

Bref, sans Jésus la pêche serait infructueuse et il n’y aurait pas de repas, ce repas qui les réconforte parce qu’il est présence du Christ au milieu d’eux (présence sacramentelle signifiée par cette phrase mystérieuse : ils n’osaient pas lui demander « qui es-tu ? » car ils savaient que c’est le Seigneur ! Ce savoir-là est celui de la foi, qui échappe ou dépasse celui des sens et de la raison.

C’était donc la 3e dernière manifestation de Jésus ressuscité selon l’évangile de Jean. Autrement dit, tout doit avoir été dit.
Et effectivement, nous avons un concentré des fondamentaux chrétiens.

1- Nous avons l’apprentissage de la foi : la foi en tant que discernement de la présence du Seigneur vivant au milieu des hommes, et la foi en tant que Confession/profession de foi : c’est le Seigneur. J.C. Fils du Dieu sauveur !

2- Nous avons la démarche « baptismale » de Pierre : retournement/conversion. qui ne se fait pas tout seul mais sur le témoignage d’un autre. C’est le caractère communautaire de l’Église et de sa mission.

3- Et nous avons l’expression de la double vocation de l’église : missionnaire et célébrante (les deux sont liées). Dans les 2 cas, c’est avec le secours du Seigneur ressuscité qui les précède toujours.

4- Nous avons eu auparavant la foi fondée sur l’Écriture (20,9), le don de l’Esprit (il souffla sur eux, 20,22) et le ministère des clés (celui du pardon et de la miséricorde) remis entre les mains des disciples, et enfin le ministère pastoral, c’est à dire le service du seul pasteur, le Christ, par amour en réponse à son amour, par don de soi en réponse au don du Christ pour nous.

Ainsi, il nous faut chaque jour nous laisser surprendre par le Christ ressuscité qui vient à nous, à l’aube après nos nuits, de manière inattendue.


Prédication du pasteur Jean-Marc SAINT, le 22 novembre 2009 – Texte : Matthieu 25,13–30

Du don, de la gratitude et de la transcendance de la vie

La scène se déroule en Galilée au premier siècle. Trois personnages, en l’occurrence trois  » serviteurs  » interviennent au fil d’une parabole qui souligne une conduite négative à ne pas suivre, celle du troisième, celui qui a « enterré » (sic) la somme d’argent qu’il a reçue de son « maître », par peur de celui-ci précise t-on et sans doute aussi des voleurs…

Pourquoi ? Le troisième homme « sait » que son maître « moissonne là où Il n’a pas semé…» Sa peur niche dans sa matière grise mal irriguée. Pourtant, si les choses vont leur cours comme il croit le savoir, il devrait placer la somme remise « chez les banquiers » pour la restituer augmentée des intérêts acquis. Peut-être a t-il peur des banquiers ?

Qui lui a dit que la maîtrise de son maître est telle qu’il la conçoit ? C’est énorme ! La rumeur publique ? Son éducation religieuse ? La crainte serait mauvaise conseillère surtout en théologie, sauf au titre de commencement de la sagesse, on le verra à la fin ! À l’opposé les deux premiers hommes savent faire ce qu’il faut au bon moment avec les outils dont ils disposent et sans prêter à leur maître et seigneur de très obscures arrières pensées. Ils ont doublé la mise ! Du coup ils sont déclarés « fiables » à l’heure de vérité.

Paul Ricœur a écrit quelque part que le sens d’une parabole se présente où elle paraît la plus extravagante. La parabole des talents ne gâte rien sur ce point. Où trouver des maîtres distribuant leur fortune à leur personnel avant de partir en voyage ? En outre, les traducteurs méconnaissent que la parabole parle de « dons » au sens propre, comme l’a soutenu résolument Marie Balmary, et non de salaire, de rente ou de gestion et pourquoi pas de viager en attendant que le voyageur défunte au tournant du vingtième siècle ! « Les idées reçues du langage empêchent d’entendre le langage » écrit Henri Meschonic. Que ce dont ne soit pas un don au sens propre est précisément l’opinion dont on s’entête comme le troisième homme, celui dont la conduite n’est pas recommandée, ni recommandable.

La seconde extravagance surgit aussitôt qu’on prend la peine de changer les sommes libellés en talents l’unité monétaire de la parabole en euros sonnants et trébuchants de notre temps. Ces sommes sont considérables. Le maître est richissime ! Le premier serviteur reçoit en euros-4.350.000, le second 1.740 000 et le troisième, à nos yeux le moins bien loti, 870,000, bien plus que le salaire annuel d’un sénateur romain sous Tibère (750.000 €)! Cela dit, il faut comparer ces sommes au gain journalier d’un auditeur galiléen de Jésus. Les commentateurs s’accordent à fixer ce salaire à 1 denier, c’est dire à 1,50 €. Mais ne pas loucher sur l’inégalité de la distribution. Personne n’y songe dans la parabole. Chacun reçoit objectivement ce qui correspond à ce qu’il est. Rien de moins, rien de trop ! Nul n’est floué, nul n’est frustré ! Chacun encaisse une somme qui dépasse de beaucoup ce qu’il pourrait imaginer gagner sa vie durant dans le meilleur des mondes possibles. C’est donc le gros lot pour chacun!

Jouir plutôt que faire le mort en enterrant le don reçu? Est-ce la leçon ? Les talentueux « traders » seraient récompensés et le pauvre diable transi de peur privé du peu dont il dispose ! L’interprétation s’avère plutôt courte et peu sage. Elle tient pour rien l’extravagance indiquée par l’énormité des quantités en jeu. Que signifie donner une somme telle qu’il serait impossible de la gagner sa vie durant à la sueur de son front ou de ses neurones, laquelle correspondrait miraculeusement à la capacité, « à la puissance » de chacun, à sa « vertu » diraient les Anciens. Quel est ce gros lot dont la parabole montre qu’il brusque contre toute attente les règles séculières de l’échange ? Si donner c’est donner, alors on ne doit rien sinon de la reconnaissance.

Au risque de faire de Jésus un disciple de Luther, (ce que Saint Paul nous permettrait volontiers !), on peut estimer que chacune des sommes données représente ce qu’un homme ne peut acquérir par ses « œuvres » profanes ou religieuses. Ici la parabole de Jésus transgresse l’enseignement de quelques maîtres trop bien installés dans la chaire de Moïse, ainsi que leurs successeurs apostoliques. Le don dont il s’agit serait donc ce qui justifie l’homme dans sa vie et le donateur serait Dieu lui-même déguisé en voyageur. « Tout est grâce » conclurait là-dessus le bon Curé un peu ivrogne du roman de Bernanos. Il faut de la folie pour Dieu, un grain de folie c’est raisonnable ! Rien à redire à cette extravagance, sauf que celle-ci sent rudement la sacristie. Une lecture moins mirobolante considérerait modestement chacun des dons extra grands comme celui de la vie même au vivant. La parabole conduirait à estimer que la vie que nous avons croyant la posséder bien qu’elle nous échappe, est le signe visible à nous donné du don invisible s’y présentant (selon Saint Augustin), la précédant, (selon Calvin). Et après ?

Alors au fond des choses, Dieu ne nous devrait rien, on s’accorde sur ce point, et nous rien non plus, ce qui paraît à nos yeux moins certain ! Dans son livre « Calvin » (Ah le bel anniversaire !), Olivier Abel suggère que le Réformateur s’est demandé après Luther que faire si la grâce est accordée pleine et entière ? Voici sa solution : vivre sans peur la reconnaissance du don accordé. « L’éthique n’est pas de l’ordre de la justification mais de l’attestation » écrit Olivier Abel. C’est vivre joyeusement des-angoissé! « Je ne croirais qu’à un Dieu qui sache danser » disait Nietzsche. Dansons maintenant !

Concluons : tout est grâce si l’on veut, mais le veut-on ? En effet rien ne paraît plus difficile que d’être reconnaissant sans se mentir à soi-même. On peut toujours sans état d’âme essayer suivre sans prétention l’exemple des deux premiers serviteurs ; c’est un commencement de la sagesse qui éviterait bien des larmes. « Sur peu tu étais fidèle, sur beaucoup je t’établirai, entre dans la joie de ton seigneur ».

Amen

Retrouvez le texte de cette prédication et d’autres réflexions sur : www.miettestheologiques.blogspot.com


Prédication du pasteur James WOODY, le 8 novembre 2009 – Texte : Esther 4,1-14

Chers frères et sœurs,

Il ne vous aura pas échappé que le monde se divise en deux catégories de personnes : il y a… les fans des Beatles et les fans des Rolling Stones. Pour faire vite et illustrer comment je comprends le rapport au monde qu’attend le Dieu de Jésus-Christ, je dirai qu’il nous faut être plutôt Rolling Stones ; même si cela ne saute pas aux yeux, c’est le premier enseignement à tirer de notre texte.

1. La différence entre les Beatles et les Rolling Stones réside précisément dans leur rapport au monde. Les Beatles, c’est un groupe de studio ; les Rolling Stones c’est un groupe de scène. Peu importe que vous n’appréciez la musique d’aucun de ces deux groupes, ce qui compte c’est cette évidence : les Beatles sont meilleurs en studio que les Stones (ils fignolent leurs arrangements musicaux comme personne) et les Stones sont meilleurs en concert que les Beatles (leur prestation est plus enthousiaste, plus spectaculaire, plus engagée… pleine de sueur). Autant les Beatles furent très imaginatifs en studio, autant les Stones le sont face à leur public.

Dans une perspective théologique, nous retrouvons là le débat de toujours sur la place des croyants dans la société humaine : doivent-ils être dans le monde ou s’en retirer ? Leur culte doit-il être somptueux au sein de leur église ou est-ce l’intégralité de leur vie quotidienne qui doit être splendide ? Bref, faut-il se retirer dans des monastères ou ouvrir notre assemblée sur le monde ? Et, en matière d’évaluation, sommes-nous meilleurs dans notre temple ou dans la rue, sur la place publique, dans la vie quotidienne ?

C’est aussi la question qui se pose à Mardochée dont la communauté exilée en Perse se trouve en situation d’extrême minorité : faut-il se replier sur soi et ne pas se préoccuper de ce qui nous entoure ou, au contraire, faut-il prendre pied dans la cité, être là où se prennent les décisions et prendre sa part de responsabilité ? Mardochée soutient Esther, sa cousine, sur le chemin qui l’amènera à devenir l’épouse du roi. Il lui recommande de ne pas faire état de ses racines mais ne la retient pas d’être choisie parmi toutes les jeunes filles du royaume. Ensuite, Mardochée prendra le parti d’être le plus proche possible du cœur du palais pour influer, selon ses moyens, sur le cours de l’histoire. Il ne force jamais ce cours de l’histoire mais lui donne toutes les impulsions qu’il peut, par exemple en dénonçant un complot visant le roi, par exemple en conseillant Esther au moment où une décision grave touche son peuple qui va être menacé de disparition.

Le premier témoignage chrétien, la première manière de témoigner du Dieu vivant, c’est donc d’être présent au cœur du monde, de prendre ce monde au sérieux, de le voir comme la Création où nous avons notre place à tenir. C’est découvrir que la place que nous occupons nous conduit peut-être à certaines responsabilités particulières, à la manière d’Esther : qui sait si ce n’est pas pour une occasion comme celle-ci qu’elle est parvenue à la royauté ? se demande Mardochée.

2. Le deuxième témoignage chrétien consiste dans la nature même de notre présence dans le monde : c’est une présence active, qui prend la parole, qui prend des initiatives quand la situation l’exige. Les Beatles ont une vision un peu idyllique du monde. Leurs chansons ont l’allure de joyeuses ballades au cœur d’un monde pacifié, sans problème majeur. Le bonheur est là, il n’y a qu’à le cueillir. Les chansons des Rolling Stones sont incorrectes, elles ne sont pas très propres, pas très lisses. Il y est question de violence, d’abandon, de désillusion, d’amertume, de manque, d’insatisfaction, d’amour aussi, mais un amour qui n’est pas sans poser problème, de l’amour qui ne va pas de soi mais qui se construit par des tours et des détours. Les Rolling Stones nous chantent la vie quotidienne que nous connaissons tous d’une façon ou d’une autre. Sans fioriture, sans rien cacher de la laideur qui se mêle à notre chemin. Leurs chansons sont des caisses de résonance où la poésie n’est pas absente mais qui, à l’image de bien des textes bibliques, notamment les psaumes, ne cachent rien de la laideur du monde.

Mardochée n’a pas une vision idyllique du monde, lui non plus. Quand un drame est sur le point d’être commis, il ne se réfugie pas dans une espérance naïve. Pour lui, le monde n’est pas un champ de framboises, il sait qu’il ne vit pas au ciel au milieu de diamants ou au chaud dans un sous-marin jaune. Il a les pieds bien sur terre. Et il en va de même pour Esther, qui n’ignore rien des risques qu’elle peut courir si elle prend la décision de se rebeller contre l’injustice. Se rendre chez le roi, sans y être invité, c’est prendre le risque d’encourir la mort. Elle le sait bien. Mais c’est là, précisément, que le témoignage de la foi s’exprime de la façon la plus accomplie qui soit.

Témoigner de sa foi en Dieu, ce n’est pas d’abord annoncer à tout va que Dieu est Dieu. Notre témoignage, c’est notre fidélité personnelle à Dieu. C’est notre fidélité personnelle à sa parole. Notre témoignage, c’est d’être fidèle à Dieu, à sa parole, à ses commandements, quelle que soit la situation.

Notre témoignage, c’est de rester en accord avec cette conscience que Dieu construit en nous. Et parce que Dieu nous donne un projet de vie, parce qu’il donne un sens à notre vie, le premier témoignage que nous avons à rendre, le plus grand témoignage que nous avons à donner, c’est de ne pas abandonner Dieu dès la première difficulté venue ; c’est de ne pas trahir la parole de Dieu dès la première épreuve venue. Et parce que notre place est dans le monde, notre témoignage c’est de tenir bon dans le monde en tenant bon la parole de Dieu.

Ce n’est pas parce que le contexte est difficile, que la situation est dure, que le croyant cesse de témoigner. Non, il tient bon, il résiste à la tentation de se taire, de faire comme s’il n’y avait pas de problème à régler. Et il faut bien savoir que cela n’est pas sans risque. Le cas d’Esther le montre bien. Elle doit prendre la parole, elle doit témoigner pour la vie de son peuple, elle doit protester, au nom même de Dieu, alors même que la loi stipule que pour cela elle doit prendre un risque : elle doit prendre le risque de rencontrer le roi qui peut aussitôt demander sa mort parce que ce n’est pas lui qui a pris l’initiative. Oui, le témoignage de la foi chrétienne est parfois risqué et c’est la raison pour laquelle bien des témoins, bien des martyrs ont perdu la vie. C’est que la foi chrétienne exige qu’on ne transige pas dès que le projet de Dieu pour la Création est mis en cause : l’honneur de Dieu, c’est la dignité de l’Homme.

Fort heureusement, le monde évolue, progresse, vers plus de justice, vers plus d’amour. Non, notre monde n’est pas pire qu’avant. On vit plus vieux, la justice est mieux rendue, les individus sont de plus en plus considérés comme des personnes. Il existe toujours de l’injustice, des scandales, de l’horreur ; le mal n’est pas exclu de notre horizon. Mais il faut reconnaître qu’au cours des siècles le monde a progressé vers plus d’humanité. Sûrement les témoins qui nous ont précédés y sont-ils pour quelque chose.

3. Si le premier témoignage c’est d’être les deux pieds dans le monde, c’est-à-dire de prendre le monde au sérieux, si un autre aspect de notre témoignage c’est d’être actif au sein de ce monde en y étant les défenseurs de la volonté de Dieu, encore faut-il – et c’est là le troisième aspect – être en phase avec le monde.

Car il ne s’agirait pas d’être dans le monde, d’y gesticuler nerveusement, en étant invisible et inaudible. Il est intéressant de constater que dans tout ce livre biblique d’Esther il n’y est pas une seule fois fait mention de Dieu, qu’il n’y est pas fait une seule fois mention de religion, de foi, de spiritualité etc. Il est intéressant de constater que le croyant Mardochée adopte une langue dépouillée de toute connotation religieuse. Il y a là un enseignement précieux pour nous-mêmes.

C’est précisément parce que nous avons à vivre au sein de ce monde qui nous est confié, en tenant fermement la place qui est donnée, qu’il nous faut faire preuve d’adaptation. Et pour tout vous dire, c’est cet effort d’adaptation qui sauve le témoignage chrétien, qui lui donne la possibilité de continuer à être un véritable acte de communication. Le témoignage de Mardochée, dans le livre d’Esther, est sans Dieu, il est à proprement parler athée. Comme le disait Dietrich Bonhoeffer, notre témoignage doit aussi être sans Dieu. Pour vous dire cela avec des mots choisis, je cite Henri Atlan ; il écrit :  » le premier souci de l’enseignement biblique n’est pas celui de l’existence de Dieu, d’un théisme par rapport à un athéisme, mais plutôt la lutte contre l’idolâtrie. Or il y a un danger d’idolâtrie dans tout théisme. (…) sauf si, d’une certaine façon, son discours se nie lui-même et devient donc athée. Autrement dit, les paradoxes du langage et de ses significations sont tels que le seul discours sur Dieu qui ne soit pas idolâtre ne peut-être qu’un discours athée. Ou encore, que dans tout discours le seul Dieu qui ne soit pas une idole est un Dieu qui ne soit pas un Dieu   » (Niveaux de signification et athéisme de l’écriture).

La Bible, elle-même, a un discours dépourvu de forme religieuse. C’est nous qui avons figé le vocabulaire biblique dans un carcan religieux. La  » résurrection « , ce n’est jamais que le réveil ou le redressement. Le  » miracle « , c’est n’est jamais que le signe. La  » foi « , ce n’est jamais que la confiance etc. De nos jours, nous devons faire un sérieux travail pour dégager le message chrétien du verni religieux qui s’est accumulé depuis des siècles et qui le rend parfois inaudible aux oreilles de beaucoup de nos contemporains qui n’ont pas les clefs pour le comprendre.

Ainsi donc, frères et sœurs, la voie empruntée par Mardochée et Esther, nous rappelle qu’être témoin du Dieu vivant, c’est manifester ostensiblement que nous sommes bien dans le monde, défenseur de la dignité de l’homme en toute circonstance et bien décidés à faire craquer le vernis religieux qui fait si souvent écran au message de l’Évangile.

Amen


Prédication du pasteur Michel LEPLAY, le 3 mai 2009 – Textes : Exode 33,7-11, Jean 15,5-17 et Jacques 2,14-26

Chers frères et sœurs, chers amis,

Une fois n’est pas coutume, surtout quand on a la liberté d’esprit de la retraite et le bonheur exceptionnel d’un retour, mais je vous propose ce matin une méditation dont vous suivrez le fil grâce à un procédé mémo-technique simple, presque scolaire, qui va construire notre réflexion dans la succession de dix points. Soit d’abord un sous-ensemble de quatre, puis un ensemble de trois, suivi de deux points pour terminer par un seul. Au total, si vous m’avez suivi, quatre, plus trois, plus deux, plus un = 10.

Et voici le plan :

  • quatre, car il y a quatre évangiles dans le Nouveau Testament ;
  • trois, avec les trois grandes religions monothéistes ;
  • deux, car nul n’est solitaire, et pour vivre il faut être au moins deux ;
  • et un, enfin, un seul Dieu de tous et pour tous.

« Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis »
Cette parole unique de Jésus n’est rapportée que par Jean, l’auteur du quatrième Évangile. Il est vrai, on le faisait observer aux catéchumènes pour leur montrer par un exemple simple la multiple richesse de l’Écriture, que chaque évangéliste a une dominante dans son style général et le ton qu’il emploie, Matthieu le premier, très pédagogique, a le souci d’enseigner, il fait référence aux Écritures bibliques précédentes, à la loi et aux prophètes, et pour lui Jésus est d’abord un grand rabbi qui enseigne ses disciples : c’est le sermon sur la montagne qui est typique de cette démarche pédagogique d’un instituteur enseignant une classe de disciples.

Marc, ensuite, est l’Évangile de l’urgence, c’est le SAMU évangélique qui va au secours des incrédules et des incroyants pour leur annoncer sans perdre une minute la bonne nouvelle du salut. Marc, c’est toujours « aussitôt » et les envoyés de Jésus sont des coursiers, pas des disciples instruits, mais des envoyés rapides. A la fin du récit de la passion, les femmes s’enfuient du tombeau où vont courir les disciples. Matthieu dit : ÉCOUTEZ BIEN, Marc ajoute : ALLEZ VITE.

Vient alors Luc, le médecin des pauvres et le secours de toutes nos détresses, qui nous apprend combien nous sommes aimés, fils prodigues, paralysés de la vie, affamés de pain, et plus encore de justice avec des béatitudes aussi socialistes que celles de Matthieu étaient religieuses. Pour Luc, les disciples et envoyés de Jésus sont en plus des bienfaiteurs, des consolateurs, des médecins du monde, en quelque sorte.

Vient alors Jean, St Jean, évangile de l’amour, moins de la vérité enseignée comme Matthieu, moins de l’urgence missionnaire comme avec Marc, moins en quête de la justice que Luc, mais évangile de l’amour fraternel, de la communion entre frères, et finalement de l’amitié de Dieu.

« Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis »
Et c’est un grand bonheur pour nous que d’être invités à entrer dans l’amitié du Christ, si on entend par amitié une juste réciprocité dans l’estime mutuelle, une affection sans raison explicite, pour le bonheur d’être ensemble, selon la belle formule de Montaigne avec son ami la Boétie : Parce que c’était moi, parce que c’était lui ». Mais deux grandes figures bibliques avaient déjà anticipé cette relation amicale exceptionnelle, avec Dieu : Moïse dont on nous dit que sur la montagne « il parlait avec Dieu comme un ami avec son ami » et Abraham dont une épître de Paul écrit qu’il avait été appelé « ami de Dieu ».

Oui, « je vous ai appelés amis parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, je vous appelle amis parce que je vous ai fait connaître ce que j’ai appris de mon Père ».

Ainsi, être amis de ce Jésus qui est notre ami est entrer dans l’intimité, dans l’amitié, dans la proximité, dans la confiance de Dieu lui-même, et avoir confiance en lui, c’est vraiment le connaître comme l’ont rappelé en leur temps les Réformateurs du XVIe siècle. Ils furent aussi des amis de Dieu autant que des disciples, apôtres et docteurs de Jésus Christ.

Cette « amitié » chrétienne dont rayonne la bonne nouvelle selon St Jean dans son Évangile et ses Épîtres concernerait alors aussi, et c’est mon deuxième point, les trois grandes religions monothéistes : le dialogue ou la guerre entre les religions sont vraiment à l’ordre du jour, dans le désordre de la nuit : querelles avant hier entre protestants et catholiques, anti-judaïsme religieux et antisémitisme barbare hier et pas encore éteint, et que dire des problèmes de toute sorte avec l’islam en croissance ? Nous devrions alors, justement au nom de l’amitié de Dieu, essayer de considérer dans chaque religion autre que la nôtre ce qu’elle a de positif, aucune religion n’étant ou n’ayant été exempte des excès du fanatisme et de l’intolérance. Un historien et philosophe des religions, Jacques Berque, sauf erreur, avait caractérisé ainsi nos trois grands monothéismes : la foi juive est marquée par l’espérance, par le sens de l’histoire habitée par les promesses de l’alliance, un avenir, un peuple et une terre.

Le christianisme, quant à lui, serait malgré tout caractérisé par la fraternité entre les enfants d’un même Père, disons par l’amour, la communion, la charité, tant nous avons de mots en grec comme en latin ou en français pour dire cette affection profonde que pourrait en un sens résumer l’amitié de Jésus pour ses amis, et l’amitié de Dieu pour tous les hommes, sa philanthropie. Quant à l’Islam, qui est venu après les deux autres et qui dit les accomplir, il est vrai qu’il propose et parfois impose la foi absolue en un seul Dieu de la totalité et qui demande à ses sujets une obéissance parfaite et simple selon quelques préceptes élémentaires.

Devant cette riche diversité des réponses humaines au problème de Dieu, il conviendra de remplacer la concurrence par la convergence, la conquête par la requête, le duel par le dialogue et l’inimitié par l’amitié !

Quatre évangiles, trois religions, j’en arrive ainsi à mon troisième point, qui sera moins long en attendant le quatrième qui sera plus bref !

Car c’est bien par deux que Dieu nous a créés, comme Adam et Ève, au commencement, et deux par deux que Jésus envoie les disciples ; et Pierre sera avec son frère André, puis Paul avec Barnabas, et Timothée, et Tite, jamais seul puisque l’homme est parole, parole de Dieu il donne des noms et il appelle, toi qui, toi qui es celle qui, toi qui es celui qui, toi qui es le miroir de mon image, l’écoute de ma parole et la main qui répond à la main qui se tend. Jamais l’un sans l’autre, sinon il n’y a plus personne, et s’il y avait un « enfer » il ne serait pas les autres, mais leur absence totale et définitive.

Cette perspective appelle un dialogue entre nous chrétiens, comme l’a bien favorisé le mouvement œcuménique, mais plus encore un dialogue entre les religions, dialogue à deux, certes, comme avec l’amitié judéo-chrétienne, mais il faut intégrer l’islam, dans notre société, et plus tard sans doute les religions ou les philosophies de cette Asie qui s’éveille et va nous réveiller.

« Je vous appelle amis », c’est une parole pour tous les hommes entre eux, et si nous sommes amis, dans nos communautés et nos patries, dans nos familles et nos cités, c’est bien qu’en définitive il y a un seul Dieu et Père de tous, qui nous invite à l’amitié, qui donne sa vie pour ses amis, comme notre grand ami, un soir de Pâque, donna à ses amis, une douzaine à l’époque, un peu de pain à partager et de vin pour la soif comme nous allons le chanter,

    • C’est au bonheur qu’il nous appelle
    O quel amour !

Ainsi soit-il
Extraits de la prière de St Jean Chrisostome


Prédication de M. Philippe DERVIEUX, le 20 avril 2008 – Textes : Actes 6,1-7 et Jean 14,1-12

Frères et sœurs,

 » Je suis le chemin, la vérité, la vie  » dit Jésus à ses disciples. Je suis le chemin. Personne ne va au Père que par moi. Ce Jésus de Nazareth, Dieu l’a ressuscité, il a donc reçu du Père le Saint Esprit et il l’a répandu au milieu des hommes.

Les églises se constituèrent dirigées par l’Esprit du Seigneur. Elles se multiplièrent et s’organisèrent. Mais tout n’alla pas pour le mieux, les disputes ne manquèrent pas, car leurs assemblées n’étaient pas homogènes en Israël. Luc l’auteur présumé du livre des Actes nous parle de deux groupes constituant l’église de Jérusalem, les Hébreux et les Hellénistes. On les distinguait par la langue, les Hébreux parlaient l’araméen, quant aux Hellénistes ils s’exprimaient en grec. Les hébreux étaient nés en Palestine les Hellénistes en dehors du territoire palestinien, leurs sensibilités étaient différentes, les Hellénistes étaient beaucoup plus ouverts que les Hébreux héritiers du culte judaïque, de ses rituels et de ses cloisonnements. Ces deux sensibilités s’opposaient en ce qui concerne les veuves du groupe Helléniste pour lesquelles les aides diaconales étaient moins généreuses. Cet incident pouvait diviser l’église, mettre à mal la communion ecclésiale Il fallait le neutraliser. On créa le groupe des sept mandataires de l’église pour résoudre avec sagesse le problème posé et ne pas égarer la communauté vers une division en poursuivant comme il se doit, le service de la prière et de la parole. La Bible est d’une extraordinaire actualité, on y retrouve les caractères principaux de notre pratique ecclésiale non pas que nos veuves soient en cause mais du fait des discordances qui peuvent surgir dans l’église.

Car l’église chrétienne est une réalité complexe et paradoxale. Elle est à la fois visible et invisible, elle est aussi une institution et un évènement ! Elle est aussi un rassemblement et une dispersion, un envoi en mission.

Visible elle l’est avec ses temples, ses assemblées, ses sacrements. Elle est en Occident l’organe où s’exerce la fonction religieuse. Mais elle est surtout corps mystique invisible construit autour du Seigneur. Elle a pour horizon le Royaume. Elle est écoute de la Parole et siège de l’Espérance.

L’église est institution, organisation orientée vers la Parole prêchée et la Cène célébrée. Elle ne peut se passer d’une structure à l’image de l’institution des Sept que la Réforme a orienté vers le système presbytéro-synodal où toute décision est collégiale, où tout donne lieu à délibération qui est par nature perméable à l’intervention de l’Esprit. Cette organisation des églises peut produire du lien social, favoriser le vivre ensemble et à ce titre séduire les politiques et ce en contradiction avec le principe de la laïcité. Un prêtre disait Portalis, le ministre du culte de Napoléon auteur du concordat de 1801, équivaut à dix gendarmes. Je n’ose aller plus loin et dire avec un orgueil tout protestant qu’un pasteur réformé vaut bien une compagnie de C.R.S. pour policer la société.

Pourtant l’église n’existe que par la prédication de Jésus annonçant au monde la Bonne Nouvelle et la venue du Royaume. Fondamentalement l’église est cet évènement de la Parole de Dieu annoncée aux hommes. Comment imaginer que ce don spirituel puisse être soumis à une institution. Les prédicateurs libéraux ont tendance à définir l’église comme cet espace vide qui sépare les fidèles de la chair de parole où il est tenté d’annoncer la Parole de Dieu. Il est important que l’église reste ouverte.

L’église est aussi un lieu de réunion et de dispersion. Lieu de réunion c’est sa définition : église ecclésia en latin, équaleo en grec qui désigne une assemblée de citoyens. Une assemblée convoquée pour entendre la Parole de Dieu.  » Il est doux, il est agréable pour des frères de demeurer ensemble  » dit le psaume 133. Mais cette église qui avant la chrétienté était dispersée au milieu du monde païen on la retrouve aujourd’hui caractérisée par la dissémination des petites communautés. Mais cette dispersion n’est elle pas la véritable vocation de l’église.  » Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyé dans le monde « . L’église doit être replacée dans une perspective missionnaire, dans une perspective d’annonce, d’évangélisation et de rayonnement. L’église est un lieu ouvert comme l’indique étymologiquement le terme paroisse avec lequel on la confond. Paroisse vient du grec paroiquia qui signifie lieu de passage ce qui nous rappelle que nous devons être en mouvement, tous des voyageurs sur cette terre nous rappelant l’annonce faite par Dieu à Abraham :  » Lève les yeux, regarde c’est le pays que je te donne, habite-le, parcours-le, partage-le « . Mais cette dispersion n’est pas désordre, ni division, elle est la marque de la promesse de Dieu qui est première. Jésus était seul avec ses disciples pendant son ministère, comme le prédicateur missionnaire est seul, comme les chrétiens qui évangélisent sont seuls et séparés de leurs frères.

L’église est visible avec ses assemblées et ses temples, elle est institution normative et rassemblement. Mais elle est aussi invisible, évènement et mouvement.

La communauté chrétienne n’est pas une association de bons amis qui se réunissent périodiquement pour échanger, disserter, se cultiver, s’instruire La communauté chrétienne n’est pas un club. Certes on encourage dans les églises les réunions festives, repas pris en commun, pots d’accueil, mais ce sont des activités d’appel destinée à amorcer le mouvement d’union. Là n’est pas l’essentiel. La communauté chrétienne est avant tout une communauté en Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Le croyant sait au premier chef qu’il est coupable et sauvé et que cela ne vient pas des hommes mais de Dieu seul par une justice supérieure que les réformateurs qualifiaient de  » justice étrangère  » Jésus Christ, médiateur nous ouvre le chemin vers Dieu et vers nos frères Lui seul crée notre union par l’acte rédempteur dont nous sommes les bénéficiaires. Car la fraternité chrétienne n’est pas un idéal humain mais une réalité spirituelle donnée par Dieu comme l’écrit Dietrich Bonhoeffer.

Elle n’est pas une réalité psychique. Dieu n’est pas le dieu des émotions sentimentales mais un Dieu de vérité. Cette communauté n’est pas une rêverie pieuse qui nous fait exiger l’impossible de Dieu comme des autres et de nous-mêmes, une rêverie qui fait de nous des êtres durs et prétentieux car au nom de notre rêve nous posons à l’Église des conditions et nous nous érigeons en juges de nos frères et quand les choses ne vont pas suivant notre rêve, nous refusons notre collaboration quitte à accepter que l’église s’écroule. Un frère coupable reste un frère. Soyons sans réserve, reconnaissants à Dieu pour son don et refusons cette attitude trop fréquente de plaignant perpétuel.

Oui la fraternité chrétienne est une réalité spirituelle qui vient de Dieu seul. Elle n’est pas l’expression de nos désirs, de nos vertus et de nos capacités naturelles. Elle est bien au-delà. Dans la communauté spirituelle l’amour aime l’homme à cause du Christ. Dans la communauté psychique l’amour aime l’homme en raison seulement d’un rapport direct pour lui-même, comme son bien, comme une proie à gagner, dans un souci de conquête

L’amour qui est en Jésus-Christ peut seul atteindre le prochain. Le mien seul ne le peut pas. Entre le prochain et moi, il faut qu’il y ait le Christ. Cette expérience unique du Christ médiateur nous devons tous y croire et l’espérer.

Je me souviens du témoignage d’un frère de Thésée qui avait vécu au moment de la guerre à Philippeville, ville moyenne de l’est algérien. Dans la paroisse réformée de ce lieu, se côtoyaient chaque dimanche, des pieds noirs, très sensibles au problème de l’Algérie française et des métropolitains fonctionnaires ou autres, sans attaches sur place qui considéraient l’indépendance de l’Algérie comme une issue normale au conflit. Et bien ces gens et notamment les pieds noirs, bouleversés par les évènements, atteints parfois dans leur chair, pouvaient trouver une véritable communion avec leur frères venus d’ailleurs au moment de la Cène. Dieu présent au milieu de nous dans le cercle eucharistique.

Et puis l’exemple de ce pasteur à Auteuil à qui un paroissien se confiait, indiquant qu’il n’était pas digne de participer à la Sainte Cène étant donné ses fautes et ses insuffisances. Il lui a été répondu que la communion eucharistique n’était pas réservée aux seuls bien-portants mais à tous quelque soit leurs faiblesses et surtout du fait de leurs faiblesses.

Et puis nos différences politiques, sociales, économiques souvent aiguës et conflictuelles sont tues ou plutôt retenues avec pudeur pour maintenir cette foi et cette espérance commune, véritable colonne vertébrale de l’église. Car c’est la foi qui confère à l’être sa véritable existence, qui permet de trouver le Christ et de faire confiance à la miséricorde de Dieu. Le fidèle doit refuser la parole à ses pensées nuisibles qui comparent le uns aux autres qui les jugent et les condamnent. Ne façonnons pas le prochain suivant l’image qui nous parait convenable à travers un filtre personnel. Acceptons le filtre du Christ qui est celui de la miséricorde.

Nous sommes tous les maillons d’une même chaîne entre les mains du Seigneur.

Amen.


Prédication du pasteur Michel LEPLAY, le 13 avril 2008 – Texte : Galates 5,1

« Christ nous a libérés pour la liberté » Galates 5, 1
Liberté, que de crimes commis en ton nom ;
« Liberté, liberté chérie, combats avec tes défenseurs » ;
Liberté avec égalité au fronton des mairies ;
« J’ai choisi la liberté« , un illustre roman ;
« Nous sommes esclaves sur les chemins de la liberté« , dit Sartre ;
« J’écris ton nom sur les murs, sur les nuages« , chante le poète de la résistance française ;
« Difficile liberté » confesse le philosophe Lévins ;
« La liberté ou la mort » avec les républicains espagnols ;
« Libre, enfin libre » sur la tombe de Martin Luther King ;
« Aux captifs de la liberté » prédication aux prisonniers ;
« Évangile et Liberté« … ;
« Libération« , un titre quotidien ;
« Ici commence le pays de la liberté… » ;
« Nous voici au seuil de la Terre Promise…
Libres, enfin libres.
« 

Chers amis, frères et sœurs,

Trois remarques initiales.

  • D’abord, dans la Bible juive du premier testament, la liberté n’est jamais une valeur théorique mais toujours une réalité historique. On ne parle pas de la liberté en citoyens des lumières mais on la vit en peuple de Dieu. Délivrance, d’ailleurs, plutôt que liberté, et le Dieu libérateur n’est pas un Che Guevara politique mais le défenseur et le Sauveur de son peuple. Le titre de libérateur est rarement donné au Dieu d’Israël. Par contre, dans les Évangiles, Jésus libère littéralement les malades, les possédés et même les morts de toutes les formes du malheur et de la servitude. Mais la grande libération dont témoignent les apôtres est celle de la captivité dans les liens du sépulcre, dans l’observance de la loi contraignante et plus encore de l’empire du péché dans lequel nous sommes enfermés : « Je ne fais pas le bien que j’aime et je fais le mal que je hais » D’où la proclamation de St Paul pour lequel si tous les hommes sont renés libres et égaux c’est parce qu’ils étaient nés captifs et fautifs.

« Christ nous a libérés pour la liberté« , comme le peuple avec Moïse qui pourra servir librement le Dieu du Décalogue et comme l’immanité avec Jésus qui vient nous dire : si je vous affranchis, vous serez réellement libres. Avec cette liberté un homme nouveau commence, libre de la mort et libéré pour la vie.

Mais cette liberté qui nous est donnée par rapport aux observances extérieures de toutes les religions, elle est une liberté qui nous libère de… parce qu’elle nous libère… pour. On pourrait d’une phrase un peu compacte comme je les aime bien, dire que nous sommes libérés pour la libération de la liberté !

Les pères de la Réforme du XVIe siècle l’avaient redécouvert dans les Épitres aux Romains et aux Galates, les grands commentaires de Luther comme de Calvin, et ils furent en effet à l’origine d’un vaste mouvement spirituel de PROTESTATION.

Je m’arrête un instant sur ce mot qui nous caractérise comme PROTESTANTS.
En effet, il s’agit bien dans le sens étymologique du mot, français venu du latin ; de PRO-TESTARE, soit témoigner pour, témoigner en faveur de. Le sens positif est premier, ne l’oublions jamais. Les mots rapportés de l’emploi originel le disent bien, avec ceux des princes et magistrats devant l’empereur à la Diète de Spire (1529) : « Nous protestons devant Dieu que nous ne consentons à rien de contraire à sa sainte Parole« . Ils sont libres devant Dieu pour témoigner librement devant les hommes de leur foi en toute conscience, ils demandent la liberté de parole et de culte, au sein du Saint Empire et de la grande Église. Quoique n’ayant plus de moines, Luther en tête, les protestants sont les tibétains du XVIe siècle européen.

Luther est exemplaire dès ses premiers écrits réformateurs, dont l’un est consacré à la liberté du chrétien, l’autre à la captivité de Babylone, entendez l’Église romaine. Le chrétien est un homme libre, une femme aussi puisque les femmes sortent des couvents et se marient librement. Non pas que la liberté soit de nature, mais elle est don de la grâce qui nous libère des contraintes extérieures de la religion et des forces intérieures de l’orgueil et de la convoitise. Pourquoi Luther écrit ces deux phrases célèbres dans toute la chrétienté, que « Le chrétien est un libre seigneur et n’est soumis à personne. Le chrétien est un esclave asservi en tout et qui est soumis à tous. »

Donc, pour concentrer le paradoxe (aujourd’hui, il faut dire « Oxymore« ), un MAITRE-SERVITEUR, un ESCLAVE-LIBRE, un ROI-SUJET, un PRESIDENT-CITOYEN, on en revient à cette liberté pour la liberté, à cette liberté reçue comme libération pour servir et non pour se servir, ou se faire servir, cette liberté d’autant plus assujettie au prochain qu’elle est libre devant Dieu.

Et Luther de résumer toutes les protestations et revendications de la Réforme de l’Église en ces mots qui suffisent :

« Il faut que la Parole de Dieu, la source de toutes les libertés soit libre« .
« En Christ vous êtes libérés pour la liberté« 

  • Un second point, et s’il est historique encore, c’est que les leçons du passé sont toujours valables aujourd’hui. Parce que la liberté pour la liberté annoncée par Luther va parfois abuser de sa liberté. Les paysans vont se révolter contre les Seigneurs (ce que Karl Marx appréciera justement) et les anabaptistes vont se battre contre l’Église officielle (ce que les papes ne manquerons pas de condamner). La liberté « guide nos pas », comme dira le chant des Armées du Rhin, mais pour aller où, pour faire quoi, pour vivre comment ? Car les fidèles libérés pour la liberté sont encore capables d’infidélité et de consentir à de nouvelles servitudes. Alors, c’est Calvin qui intervient pour mettre de l’ordre dans la liberté chrétienne annoncée par Luther. Au traité de la liberté du chrétien, le réformateur va opposer, ou apposer, en complément et comme un correctif, son « institution de la religion chrétienne ». Avec des raisonnements construits, une sorte de logique juridique dans l’organisation des communautés, tant pour la liturgie que pour la discipline, les pasteurs ne peuvent pas dire n’importe quoi, ni les fidèles vivre n’importe comment. Pour tout dire avec une comparaison facile, une parabole bête mais parlante : Luther a ouvert au cheval de la liberté les portes de l’écurie catholique, mais Calvin a mis à l’attelage de la charrette l’animal fougueux. Ce pourquoi il nous arrive parfois de « prendre le mors aux dents » ou de « ruer dans les brancards ».

Notre temps, avec les progrès de la science et des techniques est aussi nouveau que le fut celui de la Renaissance au siècle des Réformes. Nous sommes donc dans une situation inédite qui appelle réflexion et décision sage et commune sur le bon usage de la liberté avec tous les moyens qui sont à notre disposition concernant la conception de la vie, le principe de précaution, la fin de la vie, le respect de la création, de la pollution carbonique à l’agriculture modifiée. Vastes débats, pour lesquels il n’est pas toujours facile de donner un avis éclairé. Nous sommes passés de la morale qui était prescriptive pour guider notre liberté à l’éthique qui est indicative pour contenir notre libération. C’est toujours le problème du cheval de course qu’il est difficile de convertir en animal de trait pour l’atteler à nos charrettes.

  • Il faut conclure, sans avoir le temps, il y faudrait une conférence, de refaire l’histoire de la liberté, du moins en occident, avec notre Révolution et les Droits de l’homme et du citoyen, avec la laïcité et la séparation de l’Église et de l’État. Seulement pour nous engager vers une liberté obéissante, vers un libre service, vers la libre parole, et la libre pensée, pas pour le bonheur sauvage de gambader dans les herbages, mais pour l’honneur de protester encore contre tout ce qui aliène, enferme, asservit l’homme, au lieu de le libérer pour la liberté. Protester, c’est lutter contre les servitudes et combattre pour la liberté.

Des témoins contemporains ont pris la suite des réformateurs, Dietrich Bonhoeffer contre l’antisémitisme, Martin Luther King contre le racisme, comme jadis un Tommy Fallot, socialiste chrétien, contre l’injustice. Mais sans complexe devant les plus grands, chacune, chacun de nous peut prendre sa place dans les rangs des défenseurs de la liberté. Puisque nous sommes libérés pour la libération de la liberté, alors faire le bien, c’est bien, mais lutter contre le mal, c’est mieux.

Les Associations sont nombreuses contre la précarité, la torture, la marginalisation et l’exclusion pour que nous trouvions les voies et moyens d’exercer une liberté servante qui a été libérée pour la liberté.

C’est pourquoi la prière de Jésus se termine par une demande de libération « et délivre nous du mal ».

Amen.


Prédication (à trois voix) du culte de rentrée universitaire, le 14 octobre 2007 – Texte : Luc 17,11-19

17.11 Jésus, se rendant à Jérusalem, passait entre la Samarie et la Galilée. 17.12 Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, ils élevèrent la voix, et dirent : 17.13 Jésus, maître, aie pitié de nous ! 17.14 Dès qu’il les eut vus, il leur dit : Allez vous montrer aux sacrificateurs. Et, pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent guéris. 17.15 L’un deux, se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. 17.16 Il tomba sur sa face aux pieds de Jésus, et lui rendit grâces. C’était un Samaritain. 17.17 Jésus, prenant la parole, dit : Les dix n’ont-ils pas été guéris ? Et les neuf autres, où sont-ils ? 17.18 Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? 17.19 Puis il lui dit : Lève-toi, va; ta foi t’a sauvé.

Marc Duchêne

(AUP)

« Relève toi, va. Ta foi t’a sauvé ».

Voilà les paroles que Jésus adresse au Samaritain qui vient de lui rendre grâce.

Il ne dit pas « Dieu t’a sauvé », mais « ta foi t’a sauvé ». Ce qui est central dans le salut pour Jésus, ce n’est pas la grâce qui nous est accordée, c’est la relation qui nous lie à Dieu.

Ce texte nous questionne : qu’est ce qui est premier dans nos démarches à l’égard de Dieu? est-ce de faire en sorte que Dieu nous rende service en nous accordant sa grâce, ou est-ce de nous mettre au service de Dieu ? Attendons nous un retour quand nous nous adressons à Dieu ? ou bien le faisons nous gratuitement, sans arrière pensée ?

Il y a en quelque sorte deux niveaux de relation à Dieu ; celui qui assigne à cette relation le rôle de refuge, qui quand tout le reste va mal demeure tangible qui se traduit par une relation en pointillé. Jésus ne dénonce pas ce mode de relation à Dieu, c’est certainement mieux que de ne pas avoir avec Dieu de relation du tout. Jésus pointe néanmoins ce mode de relation à Dieu comme étant incomplet. Il regrette sans ambiguïté l’absence des neuf autres lépreux. Il ne dit pas pour autant qu’ils n’ont pas été sauvés malgré tout, mais il ne dit pas non plus qu’ils l’ont été ; ce qui est sûr c’est que la phrase qu’il formule s’adresse au Samaritain et que les autres lépreux n’y sont pas cités.

Et puis il y a un deuxième niveau de relation à Dieu qui au delà de la guérison nous permet d’accéder au salut. Mais que s’est-il passé qui assure ce salut au Samaritain? Et en quoi cela peut-il nous apporter quelque chose dans une optique de salut ? Premièrement, il réalise qu’il est guéri. Et il reconnaît la guérison comme étant une grâce de Dieu à son égard.

Et nous, sommes nous capables de reconnaître les signes de la grâce de Dieu dans notre vie ? De nos jours, nous arrivons à guérir des maladies graves comme certains cancers ; n’avons nous pas tendance à n’y voir que le résultat d’une prouesse humaine, n’occultons nous pas Dieu qui permet tout cela.

Deuxième chose que fait le Samaritain, il revient vers Jésus. Le Samaritain n’est plus à distance, il est proche de Jésus ; il n’est plus noyé dans un groupe, il a une relation individuelle à Jésus. Sommes nous capables d’oser une relation individuelle à Dieu. Nous livrons nous à Dieu dans la prière ou préférons nous nous contenter de venir au culte et de nous noyer dans la masse ? Et par dessus tout, les épreuves que nous traversons nous permettent-elles de nous rapprocher de Dieu ?

Enfin, dernière chose, le samaritain rend grâce sans retenue. Il se jette aux pieds de Jésus, il s’abandonne totalement à lui. Il n’est plus dans le cadre d’un rite social, dans l’accomplissement de codes prédéfinis ; il réussit à retrouver une joie simple, celle d’un enfant qui se réjouit de la présence de Dieu son père. Ce qui sauve le Samaritain, c’est bien sa foi et la manière dont il la vit. Le salut est envisagé comme une réalité terrestre qui s’acquiert par la foi que nous vivons ici et maintenant ; ce n’est pas une question qui est repoussée à la fin des temps. Ce n’est pas non plus un rite, une tradition ou même une routine. C’est s’abandonner à cette joie d’enfant de se savoir pris en compte par Dieu dans notre réalité d’être humain souffrant, en un mot de se savoir aimé de Dieu. Une chose ne manque pas d’interpeller dans ce verset, c’est le temps employé : ta foi t’a sauvé ; à la fin du texte, le salut est acquis, il n’est plus à conquérir, c’est une certitude sur laquelle le samaritain peut désormais s’appuyer.

Mais une dernière question se pose : qu’advient-il une fois que l’on se sait sauvé ? Une fois que l’on a accepté de nous en remettre totalement à Dieu, que nous dit-il alors ? : « Relève toi, va ». Tout d’abord, le salut relève. Forts de la force de l’amour de Dieu nous nous tenons debout. Il nous rend notre dignité, il nous rend à notre humanité. Et puis il nous dit : va. Il nous met en mouvement, il nous accorde une très grande liberté ; à la fois il donne un sens à nos existences, mais il ne nous impose pas une direction. Et voilà ce qui différencie le Samaritain des neuf autres lépreux ; lui a été relevé et mit en mouvement par Dieu. Il donne à Dieu dans son existence une importance première, essentielle, fondatrice, là où les autres y voient une opportunité d’aide ponctuelle. Et ce qu’il faut bien appeler cette conversion du Samaritain, lui permettra de ne plus vivre sa vie comme un fardeau, car désormais il sait que c’est Dieu qui le relève, qui le met en mouvement, en un mot qui le fait vivre.

Coralie Deslandes

(responsable du groupe TACOT de la paroisse de l’Étoile)

« Les dix n’ont-ils pas été guéris ? Et les neufs autres, où sont-ils ? » demande Jésus en voyant le Samaritain revenir vers lui pour rendre grâce tout en glorifiant Dieu. Puis, apparemment sans attendre de réponse à son interrogation, il lui dit « Lève-toi, va, ta foi t’a sauvé ».

Que faut-il comprendre de l’étonnement de Jésus et de sa réaction ? A première vue, qu’il attendait une reconnaissance des dix lépreux et pas seulement d’un seul, et donc qu’il y aurait une corrélation entre cette reconnaissance et la foi. La démarche du croyant trouverait donc son aboutissement dans l’action de grâce.

C’est en route vers les sacrificateurs que les lépreux, suivant l’injonction du Christ de s’y rendre, ont été guéris. Le fait que le Samaritain revienne sur ses pas sitôt la guérison perçue laisse même penser qu’il n’a pas été jusqu’au sacrificateurs, et n’a ainsi pas obéi à l’ordre de Jésus, préférant plutôt le remercier sans délai. Or, c’est ce qui semble satisfaire Jésus. Ce n’est donc pas le fait d’obéir à l’ordre de Jésus qui a mis un point final à la démarche de foi des lépreux, mais le fait d’exprimer sa reconnaissance. De tout cela, on peut donc déduire que Jésus, et Dieu par lui, ont une attente de reconnaissance de la part du croyant. Sans reconnaissance, la foi est tronquée, incomplète, imparfaite. Respecter les commandements de Dieu, suivre sa Parole, est une chose. Savoir reconnaître sa main lorsqu’un bienfait nous est donné, en est une autre. Car c’est dans les moments de joie que l’attention à Dieu se relâche et que l’on pense surtout à soi. Il est d’autant plus difficile de penser à Dieu quand tout va bien. L’action de grâce en est d’autant plus précieuse.

Exprimer sa gratitude permet aussi de rester humble. Remercier une fois les épreuves surmontées, c’est reconnaître sincèrement la puissance de Dieu, en admettant qu’on ne s’en est pas sorti seul.

Enfin, lorsqu’on pense à Dieu dans les moments de peine, lorsqu’on demande son aide, c’est parce qu’on se trouve dans le besoin, ce qui fausse la donne. C’est quand ce besoin est comblé que la foi peut pleinement s’exprimer, sans intérêt, gratuitement. C’est à ce moment qu’elle est la libre. C’est aussi tout ce qui fait sa valeur.

La reconnaissance est donc bien l’aboutissement de la foi, ce qui la signe et la parfait. Si le chemin physiquement accompli par les différents acteurs de cet évangile est une métaphore de la foi, alors seul le Samaritain reconnaissant aura été jusqu’au bout de la démarche, en revenant vers Jésus pour le remercier.

Cette reconnaissance naît dans son cœur, comme une évidence, au moment où tout s’arrange. Le tout est de la laisser s’exprimer.

Bertrand Marchand

(étudiant en théologie, responsable du groupe de jeunes de la paroisse de l’Oratoire)

Parmi les dix lépreux, seul le Samaritain revient vers Jésus pour le remercier. Regardons de plus près l’identité de ces hommes, et particulièrement de cet homme.

Être lépreux c’est être mis à l’écart. Nous avons entendu dans le deuxième livre des Rois que Naaman ne rencontre pas personnellement le prophète Élisée mais un messager du prophète qui vient le rejoindre hors de la maison d’Élisée. Dans l’Ancien Testament, le livre du Lévitique – qui décrit abondamment les règles relatives aux maladies de peau – insiste sur l’impureté que constitue la lèpre. Cette impureté oblige le lépreux à s’isoler, à se tenir à l’écart. Le Lévitique déclare : « Le « lépreux » atteint par le mal aura les vêtements déchirés et les cheveux défaits ; il se couvrira la moustache et criera : Impur ! Impur ! Aussi longtemps que le mal sera sur lui, il sera impur. Étant impur, il habitera seul ; son lieu d’habitation sera hors du camp. » (13.45-46)

Ce sont donc des hommes d’un entre-deux auxquels nous avons affaire. Ce sont toujours des hommes susceptibles de guérison et de réintégration à la communauté, mais à l’écart tant que la guérison n’est pas avérée par un prêtre, conformément à la loi des Juifs. Donc des hommes d’un entre-deux.

D’ailleurs, ce texte de l’évangile selon Luc commence aussi dans un entre-deux géographique. Jésus passe « entre la Samarie et la Galilée » (v. 11). Samarie et Galilée. Deux lieux étrangers l’un à l’autre. La Galilée est le pays des Juifs. La Samarie, celui des Samaritains, ceux qui se sont écartés de la loi des Juifs. Ils ont pour sanctuaire le mont Garizim, et non le Temple de Jérusalem. Et pour eux, seuls les cinq premiers livres de la Bible – le Pentateuque – font autorité. Ils ne reconnaissent pas l’autorité des autres écritures juives. Le Samaritain est donc aussi à l’écart du peuple juif et de la loi des Juifs. Pour un Juif, il est un étranger, un étranger à la grâce de Dieu. Dans l’évangile selon Jean, une Samaritaine ne demande-t-elle pas à Jésus : « Comment toi, qui es juif, peux-tu me demander à boire, à moi qui suis une Samaritaine ? », et l’évangéliste de préciser : « Les Juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains. » (4.9)

C’est donc un lépreux samaritain qui revient vers Jésus pour rendre grâce de sa guérison. Un homme doublement mis à l’écart, pour sa lèpre et pour son appartenance à un groupe étranger aux Juifs, un étranger à la grâce aux yeux des Juifs. Ce retour vers Jésus pour exprimer la reconnaissance fait dire à Jésus : « Lève-toi et va ; ta foi t’a sauvé. » Reconnaître c’est aussi être reconnu comme étant digne de faire partie du peuple de Dieu. Cette reconnaissance se traduit par une adoption en tant qu’enfant de Dieu. « Lève-toi et va ; ta foi t’a sauvé. »

Les autres lépreux sont certainement Juifs car ils ne sont pas qualifiés d’étrangers. Mais aucun d’eux ne revient vers Jésus. Ne sont-ils pas pourtant ceux à qui la grâce est adressée et proclamée dans les synagogues ? Y aurait-il, dans ces communautés juives, une accoutumance à la grâce, au point d’en oublier la reconnaissance ?

Et nous-mêmes, communautés protestantes, nous proclamons la grâce première et gratuite de Dieu. Nous commençons chaque culte par cette proclamation. Sommes-nous parfois blasés de cette grâce ? Ou nous fait-elle toujours revenir sur nos pas pour glorifier Dieu « à pleine voix », comme ce Samaritain ?

Il y a certainement en chacun de nous une part de reconnaissance et une large part d’accoutumance. Quand Jésus demande où sont les neuf autres lépreux, je crois qu’il s’adresse à chacun de nous pour que nous intégrions à nous-mêmes cette part qui est à l’écart en nous, qui est étranger en nous, et pour que cette part gagne ainsi tout notre être. Cette parole de Dieu aujourd’hui nous appelle à vivre la grâce par la pleine reconnaissance, en y engageant tout notre être.

Dans le temps de silence qui suit ce message, nous pouvons peut-être relire notre vie et y retrouver des occasions de reconnaissance qui nous ont échappé.

Amen.


Prédication du pasteur VOLKMAR JUNG, le 7 octobre 2007 – Texte : Luc 17,1-6

Seigneur, augmente-nous la foi !

17.1 Jésus dit à ses disciples : Il est impossible qu’il n’arrive pas des scandales; mais malheur à celui par qui ils arrivent ! 17.2 Il vaudrait mieux pour lui qu’on mît à son cou une pierre de moulin et qu’on le jetât dans la mer, que s’il scandalisait un de ces petits. 17.3 Prenez garde à vous-mêmes. Si ton frère a péché, reprends-le; et, s’il se repent, pardonne-lui. 17.4 Et s’il a péché contre toi sept fois dans un jour et que sept fois il revienne à toi, disant : Je me repens, -tu lui pardonneras. 17.5 Les apôtres dirent au Seigneur : Augmente-nous la foi. 17.6 Et le Seigneur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à ce sycomore : Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait.

Chers frères et sœurs,
C’est comme un gémissement des apôtres : Seigneur, augmente-nous la foi ! Parce que notre foi est trop petite pour supporter les déceptions de la vie paroissiale. Il y a des gens qui ne changent jamais, des gens qui reviennent sept fois, trente-six fois vers nous avec les mêmes fautes. Ils n’apprennent jamais, il n’y a aucun progrès dans leur vie spirituelle, aucune sanctification. Cela tourne toujours en rond. On n’en peut plus ! Ne faut-il pas perdre patience un jour ? Leurs mauvaises habitudes se sont enracinées comme les racines d’un sycomore. Et le sycomore a vraiment des racines profondes, avec cela il peut persister pendant des siècles.

Et nous, les apôtres, tous ceux qui ont une petite responsabilité dans l’Église, nous qui croyons au progrès, avec notre impatience de faire plus, avec notre impatience d’évoluer, ou bien nous aussi avec nos mauvaises habitudes, cela aussi s’est enraciné. Chacun de nous a son sycomore. Au fond nous sommes tous des sycomores. L’homme ne change jamais. Donc, notre foi est trop petite pour supporter ces faibles-là qui ne sortent jamais de leurs habitudes.

C’est bien l’image d’une congrégation d’aujourd’hui. Et en utilisant le terme  » apôtre  » au lieu de  » disciple  » notre évangile voulait refléter la situation d’une église qui est en train de se constituer.
Donc : Augmente-nous la foi, Seigneur. Il faut augmenter la dose de médicaments quand la fièvre monte. Une prière presque désespérée.

Donc : Qu’est-ce que c’est, la foi ? Y a-t-il une grande foi et une petite foi ? Y a-t-il une foi qui compte par sa quantité ? Celui qui croit seulement un peu aurait par conséquent une foi négligeable, une foi qui ne compte pas ? Comme cette jeune fille qui dit à sa maman : Je suis un peu enceinte. En attendant que la mère dise : Bon, ce n’est pas grave ? Cela ne compte pas ? On est seulement enceinte quand on ne peut plus cacher la grossesse ? – Mais non ! Quand on est enceinte, on est enceinte ! – Quand on a la foi, on a la foi.

Je crois que le Seigneur veut nous encourager. Ayez confiance en votre foi, aussi petite qu’elle soit. Une petite foi, petite comme une graine de moutarde, petite comme un grain de poussière, elle peut faire l’impossible. Ne méprisez pas votre foi, ne négligez pas ce qui est est déjà en vous, cette confiance. C’est la qualité qui compte. Parce que c’est la petite parole qui change une vie. C’est l’idée qui ébranle les systèmes.

Nous avons tous vu les images des moines en Birmanie. Pieds nus, avec une bouteille d’eau, une assiette vide pour demander la nourriture, ils ont protesté contre une dictature inhumaine. Des pauvres. Des religieux sans armes. Qu’est qu’ils peuvent faire contre la dictature ? Le pouvoir, dit Mao-dze-Dong, vient des canons. Qui aura raison, Jésus ou Mao ? On va voir. Une petite foi peut déraciner même un régime incrusté.

Ayez confiance en votre petite foi et elle peut faire l’impossible. Elle peut arracher le sycomore des mauvaises habitudes. Elle peut changer une vie. Et cette vie peut se vivre dans un nouvel entourage.

Parlons un peu de ce nouvel entourage. Le Seigneur dit que c’est la mer. Je trouve que notre texte d’aujourd’hui n’est pas seulement une parole pour les apôtres qui sont bien installés, bien enracinés. C’est également une parole d’encouragement pour ceux qui sont déjà déracinés. Je pense aux réfugiés. Je pense à tous ceux qui ont du quitter leur sol natal, pour des raisons politiques, à cause de la guerre, de la famine, de la persécution. Le vingtième siècle et jusque maintenant le nôtre sont les siècles des réfugiés. Je pense à ceux qui traversent littéralement la Mer Méditerranée pour s’enraciner de nouveau dans un sol plus favorable. Et comme aujourd’hui nous pensons surtout à l’Arménie : Les Arméniens qui ont survécu au génocide il y a 90 ans, ne sont-ils pas toujours des déracinés ? Des gens qui vivent dans la diaspora, dispersés. Même ceux qui sont nés ici, dans la deuxième et dans la troisième génération se trouvent toujours dans la diaspora. Et nous connaissons beaucoup d’Arméniens français qui veulent voir  » leur pays « , le petit bout de terre dans le sud du Caucase qui reste de la grande Arménie. Comment peut on s’enraciner dans la mer ?

Comme je suis moi-même réfugié et comme je suis aussi dans l’étranger, avec une bonne place quand même, bien sûr, mais je ne suis pas tout à fait chez moi, je me suis souvent posé cette question : Comment peut-on vivre dans la mer de cette vie sans se noyer ? Et si nous sommes honnêtes, nous devons tous dire que notre existence est bien menacée. Être enraciné éternellement comme un sycomore, c’est au fond une illusion. La glace sur laquelle nous patinons est bien fragile. L’avenir pour la plupart des gens est bien incertain.

Comment peut on vivre dans cette mer d’incertitude ? La réponse de Jésus est la petite foi. Sans cette petite foi tu te perds vraiment dans la vie. Et cette petite foi est tout à fait suffisante pour ne pas sombrer. Pour parler des Arméniens de la diaspora : L’institution qui leur a donné la force de survivre, c’était l’Église, l’Église dans sa diversité, avec sa parole de la foi. Quand il n’y avait plus de structures de la société, il y avait encore la parole. Parfois dans une vieille langue incompréhensible. Parfois des Arméniens de Turquie, des déracinés qui ne parlaient plus leur langue maternelle, n’ont trouvé dans le christianisme qu’une petite graine de foi. Une quantité minime, même aujourd’hui, mais c’est assez pour survivre.
Nos frères et sœurs africains, la première chose qu’il font quand ils sont plusieurs à l’étranger, c’est de former une congrégation, pour entendre et pour chanter la parole de la foi.

Revenons à l’Arménie. Quand le gouvernement du Karabakh nous a demandé de nous occuper de tout un village nous avons dit  » Oui « , mais au fond nous ne savions pas comment réaliser tout le travail. Et il y avait des gens qui ont dit : Vous vous occupez d’un seul village. Mais au Karabakh il y en a une centaine. Est-ce que cela vaut la peine de commencer ? Puis nous avons commencé à donner des vaches aux plus pauvres. A huit familles nécessiteuses. Mais il y avait une trentaine d’autres pauvres qui voulaient être aussi sur la liste. On avait ébranlé l’équilibre de la pauvreté. Et puis les enfants des écoles bibliques ont donné un peu de leurs tirelires, pour un morceau de vache. Un enfant avait quelques centimes, mais il les a donné pour un bout de la queue d’un veau. Et quelques adultes nous ont dit : Pour le développement il faut de grosses sommes. A quoi ces petits dons servent-ils ? – Bien sûr.

Mais il y a une chose qui m’a vraiment touché et qui me touche toujours. Les Arméniens ont tourné un petit film de la colonie de vacances au Karabakh, la première pour les enfants. Et à la fin de ce film il y a un petit remerciement : Nous remercions Madame et Monsieur Untel, citation :  » qui ont cru au développement de notre village « .

Croire au développement, voilà la petite graine de la foi. Croire en l’homme, parce le Seigneur croit en lui. Croire en nous-même, parce que le Seigneur croit en nous. Croire en cette petite graine de la foi, qui se trouve en nous, parfois sous les décombres de beaucoup d’échecs, une foi comme un grain de poussière.  » Et vous diriez à ce sycomore : Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait « .


Prédication du pasteur Christian BARBÉRY, le 20 janvier 2007 – Texte : Marc 7,31-37

7.31 Jésus quitta le territoire de Tyr, et revint par Sidon vers la mer de Galilée, en traversant le pays de la Décapole. 7.32 On lui amena un sourd, qui avait de la difficulté à parler, et on le pria de lui imposer les mains. 7.33 Il le prit à part loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et lui toucha la langue avec sa propre salive; 7.34 puis, levant les yeux au ciel, il soupira, et dit : Éphphatha, c’est-à-dire, ouvre-toi. 7.35 Aussitôt ses oreilles s’ouvrirent, sa langue se délia, et il parla très bien. 7.36 Jésus leur recommanda de n’en parler à personne; mais plus il le leur recommanda, plus ils le publièrent. 7.37 Ils étaient dans le plus grand étonnement, et disaient : Il fait tout à merveille; même il fait entendre les sourds, et parler les muets.

Chers frères et sœurs,
Avec Jésus, les aveugles voient, les malades se rétablissent, les boiteux marchent. Et avec le texte de Marc que nous venons de lire : les sourds entendent et les muets parlent !
Ce récit dont la lecture nous est proposée par les communautés chrétiennes de la région d’OUMZALI près de Durban en Afrique du Sud, trace un chemin, un chemin que l’on pourrait intituler : du silence à la parole. Voilà l’espérance qu’il creuse.
C’est un récit de guérison. C’est aussi un récit de création car l’acte de Jésus est un acte de création, une création qui est devant nous comme une promesse.
Et quelle promesse : un être humain muré dans son silence accède au miracle de la parole.

Cet homme, ce sourd –muet est mis au centre de l’évangile comme figure de notre humanité.
Parabole de nos vies refermées. Parabole de nos vies enfermées. Parabole qui souligne l’absence de l’homme à lui-même. Mais Jésus est là, il est celui qui perce la carapace de silence et de solitude dans laquelle chaque être humain est enfermé. Certes cela ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Le langage un peu naïf du récit porte la trace de ce difficile travail de la naissance d’un être humain.

Alors comment en est-on arrivé là ? Par quel miracle ? Au centre du récit il y a un geste inattendu : Jésus met ses doigts dans les oreilles du sourd-muet, crache puis lui touche la langue pour enfin prononcer cette parole : Ephphata, ce qui signifie en hébreu : Ouvre-toi !

C’est un geste qui a été repris par l’Église. On sait qu’à Milan, au 4ème siècle, dans la liturgie chrétienne, on pratiquait la veille du baptême, le rite de l’apertio aurium, d’ouverture des oreilles. Le prêtre mettait ses doigts dans les oreilles du candidat au baptême. Ce rite symbolisait l’ouverture du baptisé à l’œuvre de Dieu pour lui. En Orient, il existait même un rite du crachat qui symbolisait le don de la vue offerte au nouveau croyant. Ces gestes étaient bien sûr accomplis en mémoire de l’acte de Jésus d’ouvrir les oreilles des sourds et les yeux des aveugles.

Remarquez bien, Jésus n’a pas fait que guérir la Parole de l’homme, il a d’abord guéri ses oreilles. C’est une manière de dire qu’il n’est pas de parole juste qui ne soit d’abord enracinée dans une écoute.

C’est pourquoi frères et sœurs, il me semble que ce récit dit une exigence pour chacun personnellement et pour les Églises.
D’abord pour chacun, cette exigence, c’est celle d’ouvrir mes oreilles à un autre que soi-même. Or, il faut bien le constater, nous sommes sourds, sourds à la Parole de Dieu, sourds à sa présence, sourds à toute dimension spirituelle de l’existence. Nous pensons ne pas avoir besoin de Lui et croyons qu’Il n’a pas besoin de nous.

Sur un autre plan, nous sommes trop souvent sourds aussi aux cris de détresses de ceux qui nous entourent.
La surdité est notre maladie à tous.

Ce récit dit aussi une exigence pour l’Église. Car les spécialistes des textes bibliques nous disent que l’acte de guérison du sourd-muet a pour but de confondre en fait la surdité des disciples qui ont des oreilles mais n’entendent pas.
Cet évangile vise donc l’Église et rappelle une exigence. Cette exigence, c’est d’être une Église ouverte. L’expression est sans doute un peu galvaudée aujourd’hui. Pourtant elle rappelle ce qu’est l’Église. Elle suggère une vigilance à garder contre toute logique d’enfermement. Elle suggère d’être ouverts aux questions que posent notre temps et notre monde ; elle suggère de témoigner de l’évangile au-delà du cercle des convaincus.
Il est fort probable en effet que demain de nouvelles personnes viennent frapper à la porte de nos églises. Ces personnes en quête de Dieu, en quête d’un sens pour leur vie, ces hommes et ces femmes qui n’auront qu’un souvenir très lointain avec leur éducation religieuse, comment allons-nous les recevoir ? Ces hommes et ces femmes aux parcours surprenants, difficiles quelques fois, différents en tous cas : allons-nous leur ouvrir la porte ?

L’Église de Jésus Christ est ouverte ou elle n’est pas.
Elle n’est donc pas un club privé, elle n’est pas le lieu où se qui se ressemble s’assemble, mais au contraire l’espace qui rassemble les hommes et les femmes différents en vue de les renvoyer vers d’autres lieux et vers d’autres gens.

C’est le défi qui unit nos Églises, au-delà de leurs différences.
Pour y arriver, une seule parole est nécessaire. Elle dit : Ephphata. Ouvre-toi !
Cette parole est une prière pour vous qui m’écoutez devant votre poste de télévision.
Comme l’a dit un Père de l’Église Saint-Pierre Chrysologue : Que la voix divine résonne à nos oreilles,
Que notre vacarme familier ne brouille pas l’audition.

C’est un appel qui s’adresse aux Églises :
Qu’elles sachent s’ouvrir les unes aux autres. Qu’elles sachent témoigner ensemble de la Parole de Dieu pour que d’autres s’ouvrent à cette même Parole. Qu’elles apprennent à mieux nous accueillir les uns les autres à l’intérieur de nos communautés et entre nos Églises. Nous aurons besoin de conjuguer tous nos efforts et toutes nos prières pour cette mission.
Mais puisque nous avons justement la joie aujourd’hui d’être rassemblés, chrétiens de différentes confessions, commençons par une action de Grâce envers ce Dieu qui est venu nous ouvrir les oreilles et le cœur et qui est venu nous chercher là où nous étions, pour nous entraîner, ensemble, dans le sillage de sa Parole.

Amen.


Prédication de la stagiaire Aurélie KOENIG, le 16 octobre 2005 – Texte : Marc 22,21

Rendez à Dieu ce qui est à Dieu

En entendant ce texte de l’Évangile de Matthieu, nous avons tendance à garder en tête cette phrase  » rendez à César ce qui est à César  » (Matthieu 22,v 21) comme un proverbe qui nous rappelle qu’en ce moment c’est la période des impôts ! La taxe foncière pour ceux qui ont la chance d’être propriétaire, la taxe d’habitation accompagnée cette année de la redevance télé, la CSG pour décembre, etc. Mais ce matin, nous sommes appelés à penser à autre chose qu’aux impôts ! Ce matin nous allons parler du don. (…).

Le don auquel nous sommes appelés se manifeste de manières diverses et variées.

Donner à Dieu, c’est lui exprimer notre amour, c’est communiquer avec lui, c’est lui traduire notre reconnaissance et notre fidélité. Si nous avons cette attitude, c’est d’abord parce que Dieu est le premier à avoir pris cette initiative du don, en s’offrant à la croix pour nous sauver et nous procurer la vie.

Vous allez penser :  » oh, non ! Elle va commencer à nous parler de l’offrande pour la paroisse, de notre participation à la vie de l’Église, alors que là, on se demande déjà ce qui va nous rester à la fin du mois après avoir envoyé notre chèque au trésor public ! « .

Et bien, j’entends cela et d’un autre côté, j’imagine déjà notre trésorière ou notre Conseil presbytéral se réjouir en se disant :  » chouette, on va atteindre la cible plus facilement si on rappelle à nos paroissiens qu’ils peuvent participer financièrement à tous nos frais ! Surtout qu’il y a le nouveau micro à payer, la facture d’électricité et l’eau des locaux et peut-être allons-nous pouvoir réaliser ce projet de rendre le hall d’entrée plus accueillant, etc. « . Mais finalement, je me sens un peu gênée de vous parler de ça. Ce n’est pas toujours évident de rappeler que l’Église a un coût. (…). Depuis la séparation de l’Église de l’État, toutes les Églises fonctionnent grâce aux dons de leurs fidèles. Ces dons servent à régler les différentes factures, à entretenir les bâtiments, à payer les prêtres et les pasteurs. Vous savez peut-être qu’en Allemagne par exemple, il existe un impôt spécifique pour ceux qui déclarent appartenir à une Église. Cet impôt est calculé en fonction des revenus des uns et des autres, si bien qu’on assiste à un dépeuplement des paroisses, plus personne n’ose dire qu’il est croyant, plus personne n’affirme sa foi ou alors de manière clandestine. Je trouve pour ma part cela très triste, c’est comme si nous vivions encore au temps du  » désert  » où les cultes étaient célébrés dans la clandestinité, à l’abri du regard de l’État. Mais aujourd’hui, en France et dans l’Église Réformée, je vous assure que celle-ci n’oblige personne à donner de l’argent à chaque culte. Ici, vous avez le droit de ne pas vouloir ou pouvoir donner, tout comme vous êtes libre de le faire, sans contrainte, mais avec joie comme nous le rappelons lors de l’offrande.

Nous sommes invités à prendre part à la vie spirituelle, cultuelle et matérielle de notre Église.

Nous sommes encouragés à mettre au service des autres les dons que nous avons reçus.

Donner est un acte chrétien par excellence : un acte de foi, un acte de solidarité, un acte bâtisseur. Donner quelque soit le montant ou la forme de notre don en fonction de nos moyens ou de notre disponibilité, devrait être une évidence exécutée dans la joie intérieure, avec sincérité et conviction.

Dans les semaines à venir, nous n’oublierons pas de  » rendre à César ce qui est à César  » , mais nous sommes aussi appelés à ne pas oublier de  » rendre à Dieu ce qui est à Dieu « .

Amen.

Pour nous retrouver :
Église réformée d’Auteuil, 53 Rue Erlanger 75016 PARIS
Secrétariat : secretariat@erf-auteuil.org
                     01 46 51 72 85
Pasteur : Jean-Christophe ROBERT
Facebook : paroisse protestante Auteuil
Cultes à écouter sur : https://soundcloud.com/erf-auteuil

 

 

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