Pourquoi chanter les vieux cantiques ? Le chant d’assemblée expression de la foi réformée

Conférence de Catherine VEILLET-MICHELET chanteuse, cheffe de chœur, impliquée dans la transmission de la foi par l’instruction religieuse, les médias protestants et la musique – 9 novembre 2024

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Catherine Veillet-Michelet nous a expliqué pendant une heure et demie devant une assemblée nombreuse et surtout participant, comme le proposait la conférencière, à chanter sous sa direction plus d’une douzaine de chants réformés, plus ou moins connus mais ayant toujours une histoire contemporaine de celle de la Réforme et du Protestantisme français en général.

Si le chant des cantiques est intimement lié à ses premiers souvenirs de culte, c’est dans la chorale À Cœur Joie qui suivait l’école biblique qu’elle a commencé le chant choral en 1973. Elle a ensuite participé au Groupe Choral d’Auteuil, chœur de la paroisse dirigé par Jean-Luc Wolfender. Chantant dans de nombreux ensembles, elle s’est parallèlement formée comme chanteuse et cheffe de chœur.

Catherine, qui n’a pas de formation musicologique particulière, était curieuse de tout ce qui touchait la pratique chorale et au cours des années s’est intéressée à tout ce qui concerne la musique liturgique et la Réforme, ouvrages, études, expositions, conférences… Toutes ces années se résumant à « Chantez au Seigneur un cantique nouveau » 

Mais quelle est l’histoire du chant dans les églises en général et de la Réforme en particulier ?

 

Évolution du chant d’Église avec la Réforme : apparition du chant d’assemblée

Dans la Bible, on ne chante pas aussi souvent qu’on mange, mais plus qu’on ne prie.

Le chant peut être à une seule voix ou collectif

Des tablettes datant de 1200 avant JC ont été découvertes à Ugarit en Asie Mineure, elles ont été déchiffrées révélant des chants et de la musique écrite, qu’il faut maintenant interpréter.

Il y a des témoignages sur des communautés chrétiennes chantant au IIIe siècle et puis au VI-VIIe siècle. Les mélodies reprenaient des musiques anciennes. Au Moyen Âge, la musique est associée à l’arithmétique et aux mathématiques. Le chant à une voix se développe d’abord, puis apparaît la polyphonie à l’orée de la Réforme.

L’église d’alors présentait une séparation, matérialisée par un jubé, entre la nef où étaient les fidèles – hommes et femmes – et le chœur où étaient les prêtres. C’était là que l’on chantait.  Le chant est réservé aux prêtres, aux chantres, aux voix masculines, pour le service divin, en latin. La musique est accessible grâce à de  grands  lutrins sur lesquels on posait un psautier avec les « partitions » qui pouvaient être lues par plusieurs choristes à la fois. Cette notation a accéléré le développement du chant grégorien, qui devait auparavant être mémorisé (il fallait 7 à 8 ans pour connaitre les 150 psaumes) 

En tout cas pas de chant dans la nef, mais seulement dans le chœur, en latin.

Cependant, le peuple chrétien chante, mais à l’extérieur, en dehors de l’église lors de processions par exemple, mais pas pendant la messe.

 

Quelques évolutions se sont produites. 

François d’Assise incite les fidèles à chanter leur foi, rompant implicitement avec la tradition qui séparait les clercs et les laïcs.

Certains prêtres prêchaient devant le jubé et donc faisaient chanter l’assemblée.

En Bohème, Jan Hus faisait également chanter ses paroissiens devant la chaire, et développa une participation active par le chant (le cantique 24-01 du recueil Alléluia qui date du XVe siècle est de Jan Hus). 

 

Grand changement à la Réforme : finies les séparations

À la Réforme on fait chanter les hommes et les femmes ensemble, avec le pasteur, dans le même espace,  et surtout en français. On commence à imprimer des recueils de cantiques et dans les églises de la Réforme le pasteur se retrouve au milieu des paroissiens qui chantent tous ensemble. 

Cela illustre un point fondamental de la Réforme, le SACERDOCE UNIVERSEL qui affirme qu’ « on est tous prêtres », tous actifs, tous appelés à répondre et agir.

Les chanteurs sont tous dans la nef (sauf dans la cathédrale de Genève, où ils sont tous dans le chœur).  C’est ce qu’on appelle le chant d’assemblée, qui sous-entend une participation active des fidèles ; le chant tient une place essentielle dans le culte. C’est « le » moyen d’expression de l’assemblée, la réponse à l’annonce de la Parole, à la prédication du pasteur. 

Ceci est toujours vrai aujourd’hui et dans les cultes actuels le chant d’assemblée représente environ 15 minutes sur une cérémonie d’une heure.

 

Nos vieux cantiques

Calvin et les psaumes

Pour Calvin la musique ne doit pas divertir ou détourner l’attention de la Parole mais être un support, un support à des textes.

Pour ces textes, il n’y a rien à inventer, Dieu nous a tout donné, il suffit de reprendre des textes bibliques : les 150 psaumes, les cantiques de Siméon, Marie, Zacharie… le Notre Père, les dix commandements, les béatitudes, le psaume de Moise. Calvin n’est pas un musicien mais un juriste ; il s’est entouré de spécialistes notamment pour la musique et les paroles. Le choix de Calvin, c’est de célébrer la gloire du Père, à une seule voix, car on ne parle que d’une seule voix au Seigneur.

Dans le psaume 42 A du recueil Alléluia (« Comme un cerf altéré brame »), le texte a été mis sur la musique d’un air de chasse. Reprendre des musiques existantes permet de mémoriser facilement. Un grand principe dans l’élaboration de ces chants : une note, une syllabe.

Puis une évolution vers la polyphonie se fera avec l’apparition d’harmonisations note contre note, puis de contrepoints et de motets, mais ces formes sont réservées aux réunions familiales.

La mélodie du psaume 36 vient du psautier de Strasbourg, antérieur au psautier de Genève.Le psaume 68 utilise la même mélodie, mais le tempo change, car la musique doit s’adapter au texte ; c’est surtout le texte qui importe.

Avec Calvin, ce qui compte c’est le sens, le texte, qui est porté par la mélodie. C’est l’application du principe réformé du SOLA SCRIPTURA (l’écriture seule).

Si l’on compare la musique du psautier de Lausanne à celle de Genève, plus martiale, on voit que la musique s’adapte aussi au caractère des fidèles. La musique doit se fondre avec le texte, elle aide à le mémoriser, grâce en particulier au tempo.

 

Luther et les chorals

Avec Luther, on entre dans l’univers des chorals, la musique et le texte sont aussi importants l’un que l’autre. Ce sont deux versions du même message, aussi importantes l’une que l’autre

Si l’on chante le Choral de Luther (Alléluia n° 37-01 et 37-03), la mélodie qui nous est familière s’éloigne du baroque initial, car les assemblées ont progressivement « assis » le rythme.

Luther introduit d’autres textes que les psaumes ; ils parlent de la vie de Jésus sur des mélodies de plus en plus variées.

Deux siècles plus tard, Jean-Sébastien Bach fournira l’apogée de cette musique d’église.

Au début on chante à l’unisson puis à plusieurs voix mais sans l’orgue qui apporterait une distraction malvenue ! L’orgue a été réintroduit pour aider à la mémorisation des chants, puis comme accompagnement ; cet orgue a inspiré de très grands mélodistes.

Avec Luther, l’accent est mis davantage sur le lien personnel à Jésus et sur le SOLA FIDE (le salut par la foi seule). On exprime sa foi dans le choral.

Les chorals « Confie à Dieu ta route » (Alléluia 47-04) et « Ô douloureux visage » (33-13) ont la même mélodie et le même tempo, bien que les paroles soient très différentes. La force de la musique l’emporte.

 

Romantisme et Réveil, les cantiques spirituels

À partir du début du XVIIIe siècle, avec le piétisme en Allemagne, le méthodisme en Angleterre, le mouvement des Frères moraves en Europe centrale, la musique appelle à la conversion, elle vous met dans une disposition propice à la réflexion spirituelle, elle permet d’exprimer une pensée, une émotion ; elle établit une sorte de relation personnelle avec Dieu. Ces mouvements insistent sur la puissance de l’Esprit saint et sur la Grâce. C’est le principe réformé du SOLA GRATIA (la grâce seule).

Cette tendance s’amplifie au XIXe siècle avec le romantisme. Après les guerres napoléoniennes, les Européens ont davantage bougé : d’où un mélange des traditions musicales qui va entrainer l’élaboration de nombreux cantiques.

Les paroissiens français chantaient toujours les Psaumes de Calvin,  et avec le retour de leurs coreligionnaires réfugiés à l’étranger, ils découvrent des musiques différentes avec un plaisir certain.

La prédominance du rythme ternaire dans les mélodies de l’époque romantique aide au « lâcher prise » de la raison (le ternaire c’est le cœur, le binaire le marcher au pas).

Les musiques les plus diverses vont être mises à contribution (Haendel, Haydn, Mendelssohn, musiques du Réveil et de l’Armée du Salut).

L’émotion est primordiale, comme dans le cantique « Ô Jésus, tu nous appelles », mélodie morave (Alléluia 36-08), « Toi qui disposes », mélodie silésienne (Alléluia 42-08) et « Torrents d’amour », mélodie galloise (Alléluia, 43,09).

Le cantique « Seigneur, dirige et sanctifie » (23-09) fait souvent verser des larmes.

Cette musique puissante entraine beaucoup d’émotion. Certes au delà de la mélodie il y a les textes qui ne doivent pas être négligés. Mais, même si le texte est un peu désuet, ces cantiques émeuvent parce qu’ils racontent notre histoire. Le cantique « Debout sainte cohorte », aux paroles datées, rappelle les mobilisations des protestants au service des autres.

Trois cercles qui se recoupent : Calvin, Luther, Romantisme et Réveil.

 

Le chant d’assemblée aujourd’hui

Aujourd’hui le chant d’assemblée reste l’expression de la foi réformée.

Chantez au Seigneur un cantique nouveau : il faut chanter comme si c’était la première fois !

Il est normal que le répertoire se renouvelle. Dès le XVIIe il y a des textes qui ont été modifiés. On observe des initiatives variées pour la mise en musique : par exemple, le Psaume 137 (« Sur les bords des fleuves de Babylone ») a été orchestré par Verdi, mais existe aussi sous forme d’un negro spiritual, puis plus tard du reggae. L’important est d’éviter la niaiserie, les chants doivent être bien écrits pour être bien transmis, et en général ce qui est « mauvais » disparait.

Il y a eu récemment un concours appelant à écrire des cantiques protestants (paroisse du Saint Esprit, à Paris) ; parmi les projets reçus, certains n’étaient pas adaptés au chant d’assemblée. Le chant d’assemblée est un marqueur du protestantisme, le cantique est finalement très codifié.

Jo Akepsimas, compositeur catholique, a créé des chants spirituels que les protestants chantent pendant les cultes, comme les catholiques les chantent pendant les messes, alors que l’auteur lui-même précise qu’ils sont destinés à des réunions autres que la messe.

Les églises protestantes ont intégré beaucoup d’autres mélodies : des chants hébraïques, des negro spirituals, des chants écossais (« Amazing grace »)… l’important étant la manière dont chacun s’approprie le texte.

Le cantique 36-17 du recueil Alléluia, qui est « la Marseillaise » des anglicans est entré très récemment dans le répertoire des protestants français. Il y a aussi des chants coréens, chinois, les chants de la communauté de Taizé qui recourent beaucoup à la répétition des mêmes paroles.

D’une manière générale, « si c’est beau, ça marche » !

En pratique, dans les églises protestantes, on n’a personne pour diriger les gens, d’où l’importance d’avoir des recueils. Cela crée un répertoire commun. Et ce n’est pas qu’en France. Quand on retrouve nos psaumes de Calvin en Italie ou en Hongrie, les chorals de Luther en Pologne…  cela donne le sentiment de faire corps.

Chez les catholiques, il n’y a pas de culture du chant d’assemblée. On pratique plutôt un chant de communauté. Le chant n’est pas essentiel dans la messe. : les catholiques ne chantent pas toujours, sont dirigés par un chantre au micro, disposent éventuellement des paroles mais jamais des musiques. Il y a souvent des chorales ou des « maitrises » qui assurent la musique, comme au temps de la Réforme.,. Cela peut être une frustration pour les protestants participant à une messe, il faut comprendre que le chant n’a pas cette fonction viscérale d’expression de l’assemblée lors d’une messe.

Les vieux cantiques pour les protestants évoquent la tradition, le connu, le partagé, la chaleur, quelque chose qui nous relie ; il y a constamment des innovations et ce qui reste, c’est ce qui est beau. Le collectif qui rappelle notre histoire où les chants ont toute leur place.

 

 

Lien vers la vidéo de la conférence : https://youtu.be/0lNdYWn9I4g

 

 

Références

  • Bernard Reymond, Le protestantisme et la musique , Labor et Fides, 2002

 

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