Cycle 1995-1996 : Hérétiques et schismatiques dans l’Église chrétienne – 4

4) Dissidences en Chrétienté au Moyen Âge – Vaudois et Cathares

de Paola HINE et Jean-Luc WOLFENDER, le 6 janvier 1996

Si l’on s’en tient à une définition classique, celle du Petit Robert par exemple, le Moyen Âge est cette « période moyenne comprise entre l’Antiquité et les Temps modernes, allant traditionnellement de la chute de l’Empire Romain (476) à 1453 (chute de Constantinople) ou plutôt à 1492 (découverte de l’Amérique)« . Longue période de dix siècles pendant laquelle se construit peu à peu une nouvelle société dont, à la Renaissance, sortira le monde moderne.

Aujourd’hui, toutefois, nous ne considèrerons qu’une partie du Moyen Âge, celle qui va, en gros, du XIe siècle au XIVe siècle. Rappelons, afin de mieux comprendre ces quelques siècles pendant lesquels vont apparaître tant d’hérésies, que Rome est alors le centre de la Chrétienté ; et que, selon une tradition longtemps tenue pour vraie, Rome s’était trouvée confirmée dans son rôle de capitale du monde chrétien par la donation de l’empereur Constantin au IVe siècle. Cet acte fut interprété comme reconnaissant l’infériorité de l’Empire face à l’Église et l’impossibilité, pour un chef temporel, de résider là où le vicaire du Christ, suivant l’ordre de Pierre, avait élu son siège :

L’esprit suivant, cédant Rome au Pasteur
par son bon vouloir qui porta mauvais fruit,
avec nos lois se fit grec et moi grecque :
or connaît-il que le mal engendré
par son bien faire à lui-même ne nuit,
encore que détruit en soi le monde.

(Dante. La Divine comédie. Paradis XX, 55-60 – Édition La Pléiade)

Dans ces quelques vers, extraits de la Divine Comédie, Dante condamne avec des mots très durs la dite donation, lourde en effet de conséquences politiques : l’Église devint pouvoir temporel et dominant. Les empereurs se mirent à son service. L’Église prit les structures de l’empire comme base de son organisation ; et le sacerdoce conserva le latin comme langue officielle alors que le latin était sur son déclin et que les langues vernaculaires prenaient corps. Ainsi, dès le haut Moyen Âge, Romanité et Christianisme se présentent à tous les peuples comme une unité. Empire romain et Église se partagent la domination du monde : les deux sont considérés comme éternels et divins.

Il nous fallait souligner cette interpénétration des deux pouvoirs, le spirituel et le politique, pour mieux faire comprendre que cette société du Moyen Âge était, à son origine même, une société religieuse, catholique, nous dirions aujourd’hui une société confessionnelle.

Mais la société du Moyen Âge était aussi, et fondamentalement, une société agricole et féodale. Ce monde de l’an mille s’organisait autour des rapports entre vassal et seigneur ; il était marqué par les luttes pour le pouvoir ; ce qui, il faut le noter, était autant le fait des évêques et autres hommes d’église que des seigneurs laïcs.

Tout cela rappelé, notre exposé d’aujourd’hui comprendra trois grandes parties :

  • La crise de l’Église et le développement des mouvements hérétiques ;
  • L’hérésie cathare ;
  • Les Vaudois, des origines à nos jours.

I – La crise de l’Église et le développement des mouvements hérétiques

Dante et la critique de l’Église

L’immixtion de l’Église dans les affaires temporelles, avec tous les risques de compromission qu’elle comportait, ne pouvait échapper aux critiques.

Il n’en est de meilleur témoin que Dante (1265-1321), que l’on vient de citer. Dante Alighieri, le grand poète de son temps, est aussi un catholique profondément sincère. Il faut partir de sa vision de l’Église pour comprendre les hérésies de son époque. Dans son œuvre majeure, la Divine Comédie, il définit l’orthodoxie de l’Église de son temps. Il définit aussi l’institution « Église » et ce qu’elle devrait être. Or cette œuvre abonde en sarcasmes et en attitudes de révolte qui pourraient, aujourd’hui, se trouver sous la plume d’un incroyant ou d’un anticlérical, ou encore d’un hérétique. Pour lui les papes sont en Enfer ; il n’y en a pas un au Paradis. L’Église est en état d’usurpation. D’une part elle est institution divine, corps et parole du Christ ; mais d’autre part, par une sorte de déviation, en suite de la donation de Constantin, elle s’est dénaturée. Et non seulement elle s’est dévoyée mais elle a dévoyé le monde entier, du jour où elle a accepté les biens de ce monde.

Au chant XIX, c’est en Enfer que Dante situe les papes simoniaques, ceux qui font commerce des choses sacrées (je vous passe la description de leurs tourments …) :

O Simon mage, ô méchante séquelle
de rapineux, qui rendez adultères
pour or et pour argent les saintes choses
qui des bons seuls doivent être épousées…

(Enfer XIX, 1-4) – (La Divine Comédie – Édition La Pléiade)

La référence au livre des Actes des Apôtres et à l’épisode de Simon le magicien (Actes 8, v. 9 et ss.) est manifeste. Le respect de Dante pour la dignité pontificale est aussi certain que sa colère contre les exploiteurs cupides de cette dignité. Aussi ré insiste-t-il sur la donation de Constantin :

Las, Constantin de quel malan fut mère
non ta conversion, mais cette dot
que tu baîllas au premier riche père!

(Enfer XIX, 115-118) – (La Divine Comédie – Édition La Pléiade)

De là procèdent, au jugement de Dante, d’une part le déclin de l’autorité impériale, seule légitime à ses yeux dans l’ordre temporel, et d’autre part la corruption de l’Église détournée de son office spirituel par la tentation des biens terrestres (ouvrons ici une parenthèse : Dante est aussi l’auteur d’un traité de la Monarchie, où il proclame haut et fort et de façon absolument moderne la séparation de l’Église et de l’État… pourtant nous ne sommes qu’au XIIIe siècle…).

Dante écrit « in pro del mondo che mal vive« , pour ce monde qui va mal. Il mène un combat sans merci contre la corruption de l’Église. Il est le chrétien d’action, le chrétien militant qui, par son œuvre, tente de redresser l’Église en tant qu’institution. Il est aussi l’intellectuel, sa vision est celle de l’érudit, de l’historien, du politique qui milite pour que l’Église, en tant qu’institution humaine, retrouve sa vocation première.

Or du temps de Dante, ces critiques n’étaient pas nouvelles. D’autres acteurs avaient mené le même combat, avant lui. Mais ils avaient été, eux, considérés comme hérétiques et condamnés et persécutés à ce titre.

Il nous faut comprendre la naissance et le développement de ces mouvements hérétiques. Pour cela il faut prendre conscience des profonds changements qui dès le XIe siècle, bien avant Dante, affectèrent la société, surtout en Italie ; sans négliger, en regard, la façon dont l’Église elle-même avait conçu le savoir et la vie intellectuelle.

Les changements de la société

La vie intellectuelle était conçue par l’Église en fonction du savoir qu’elle jugeait nécessaire au salut des hommes et de l’image qu’elle avait de son rôle. À cette époque, pour l’Église, il y a le « laïcus » et le « clericus » : le premier est l’illettré, le second l’érudit. Cette seule distinction fait comprendre aisément que, pour l’époque, la culture savante était culture d’Église. Au Moyen Âge, le « clerc » est tout à la fois l’homme instruit et l’homme d’Église. Il est clerc en vertu du monopole que l’Église exerce sur la culture.

Mais, à l’encontre de cet état des choses, dès XIe siècle et surtout en Italie du nord et du centre, on assiste à des transformations de la société, dues à l’essor des villes : les classes moyennes commencent à influer sur les formes de la propriété et sur le droit, sur l’État, sur l’art, sur le savoir… C’est un bouleversement historique : de nouvelles classes sociales font leur apparition, avec leurs besoins moraux et spirituels et avec leur conception du monde et de la vie. En outre, le phénomène d’urbanisation s’accompagne de l’apparition dans les villes d’une population inorganisée et atomisée ; masse d’individus non seulement pauvres mais qui ne peuvent trouver dans la société la moindre place. Leur fait défaut le soutien matériel et moral qu’offrent les groupes sociaux traditionnels. Ils sont prêts à répondre à toute création d’un modèle social nouveau.

La seule autorité qui fût universelle était celle de l’Église ; mais elle était battue en brèche. Une civilisation qui voyait dans l’ascétisme le signe le plus sûr de la grâce, doutait forcément de la valeur d’une Église que « luxuria » et « avaritia » infectaient manifestement. L’attachement du clergé aux choses de ce monde ne pouvait que provoquer la désaffection des laïcs. Le clergé constitué en caste avait rompu et relâché les liens spirituels avec les fidèles. Alors que la langue vernaculaire, le « vulgaire« , se parle de plus en plus, le clergé reste attaché au latin. L’Église bureaucratise son activité évangélique. La rupture devient inévitable entre l’institution et sa base.

C’est surtout l’Italie communale, en raison de son avance dans cette évolution, qui nourrit le plus ces forces contestataires qui vont devenir hérétiques. Cette Italie, précisément, où les luttes entre les évêques et les communes étaient continuelles (entre Guelfes et Gibelins), où l’agitation à l’encontre de la puissance économique et politique de l’Église étaient permanente et où l’air qu’on respirait était comme imprégné d’hostilité envers le clergé.

L’Italie communale était de plus le champ des luttes entre les deux institutions mondiales d’alors, l’Empire et la Papauté ; et par l’activité marchande qui s’y développait le lieu de maints échanges avec l’étranger. Elle était donc le siège d’un grand brassage international d’hommes et d’idées, ce qui est fondamental pour la formation et la transformation des doctrines religieuses, comme d’ailleurs de toute la culture de l’époque.

Les premiers hérétiques : Patarins, Vaudois, Cathares. La réaction de la Papauté.

C’est donc dans la vallée du Pô et dans l’Italie centrale que se sont développés les premiers mouvements hérétiques. Les premières tendances ainsi qualifiées eurent dès le départ un caractère de démonstrations antiféodales, pas forcément ni uniquement dirigées contre des clercs indignes.

Citons tout d’abord les Patarins de Milan dont les chefs de file furent Anselme de Baggio, Arinald de Carinate et Landolphe Cotta. Les Patarins étaient des pauvres qui prêchaient l’épuration des mœurs du clergé. Leur mouvement se développe parmi les artisans et les petits bourgeois de la ville, dont l’industrie est en pleine expansion. Leur prédication exaltate la pauvreté physique et matérielle. Ce n’est pas aux dogmes de l’Église qu’ils s’attaquent, ils ne prêchent pas une autre doctrine : ils cherchent tout simplement une réponse existentielle et spirituelle à la nouvelle situation sociale. Et pourtant les papes Nicolas II (1059-1061) et Alexandre II (1061-1073) les condamnent comme hérétiques et font assassiner leur principal dirigeant, Arinald de Carinate.

Après ce dur échec, les Patarins prennent leur revanche dans d’autres régions ; ils font des partisans dans diverses villes de Lombardie et leur influence pénètre également en Toscane.

Leur devise « L’unique voie menant à la perfection est la pauvreté volontaire » révèle bien des choses : on y trouve le mot d’ordre d’une révolte sociale en germe. Tous les prédicateurs itinérants qui se multiplient à partir de cette époque reprochent à leurs auditeurs de s’être écartés des commandements de l’Évangile et les appellent à retrouver le mode de vie recommandé par les premiers apôtres. Ne sommes-nous pas devant une critique à peine déguisée du clergé, de l’Église et de la politique de l’Église ?

Au même moment apparaît un autre mouvement, mais en France : le mouvement des Pauvres de Lyon. L’initiateur en est Pierre Valdo (1140-1206), d’où le nom de Vaudois donné à ce mouvement.

Nous en reparlerons en détail plus loin (3e partie). Disons seulement, pour le moment, que si leur mouvement n’avait apparemment rien de révolutionnaire, ses adeptes prétendaient prêcher librement dans les rues leur appel d’un retour à l’Évangile.

Or avaient-ils le droit à la prédication ? Là fut le heurt avec la hiérarchie ecclésiastique. Valdo lui-même affirmait que sa vocation ne lui venait pas de l’Église mais du Seigneur. L’Évangile l’interpellait directement, lui, le laïc, sans aucun besoin d’intermédiaire. La hiérarchie ecclésiastique ne pouvait tolérer une telle affirmation. Il en allait de son autorité et de son monopole en matière religieuse et dogmatique. D’où la condamnation de l’évêque de Lyon. Non seulement l’Église interdit aux pauvres de Lyon toute activité susceptible d’échapper à son contrôle mais Valdo et ses disciples furent expulsés de Lyon comme hérétiques.

À la même époque, enfin, se développe en Europe, et notamment dans le sud de la France, l’hérésie cathare. Nous en parlerons également avec plus de détail un peu plus loin (deuxième partie).

Indiquons seulement dès à-présent qu’au moment où apparaît Valdo, l’hérésie cathare représentait déjà une menace réelle pour l’Église et prenait une grande ampleur. Aussi le pape Innocent III (1160-1216) lança-t-il toute une campagne contre les hérétiques, qui visait bien sûr tout autant les Vaudois que les Cathares (désignés dans le sud de la France par le terme d’Albigeois).

Pour Innocent III cette offensive contre les « hérésies » fut l’occasion de transformer la papauté en monarchie absolue. Dans sa vision des choses, la religion chrétienne n’est au service ni de l’autorité civile, ni du pouvoir civil ; elle est elle-même le pouvoir suprême qui conditionne le pouvoir temporel. Innocent III ne faisait d’ailleurs que redire ce que l’Église avait toujours prétendu. Le quatrième Concile de Latran (1215), tenu après la première croisade contre les Albigeois, sanctionna donc toute dissidence, qu’elle soit d’ordre religieux, politique ou culturel : l’hérésie devait être extirpée, anéantie par la force. Le Concile fit sienne la conception centralisatrice d’Innocent III ; il lui accorda les instruments de contrôle en délibérant sur l’obligation de la confession annuelle et sur la structure des paroisses : de communauté de croyants qu’il était, le peuple se trouvait peu à peu transformé en une masse de sujets qui doivent obéissance.

Rome a donc choisi l’autorité et la centralisation du pouvoir ; le souverain pontife et le clergé ont pour tâche de veiller à l’unité de l’Église : que la dépendance sacramentelle en soit le ciment et que l’obéissance en devienne la vertu. L’Église se devait d’affermir son pouvoir, trop de fissures commençaient à s’ouvrir.

La Papauté ayant réaffirmé son autorité et redéfini ses prérogatives en matière de défense de l’orthodoxie, la conséquence directe en fut bien sûr l’accroissement du nombre des idées tenues pour hérétiques : « lorsque une idéologie est tenue pour hétérodoxe, elle l’est non tant en fonction de sa substance, que de l’époque et des circonstances où elle était prêchée« .

L’aspect culturel. Saint François d’Assise et les Franciscains

Il nous faut maintenant aborder un autre domaine important de cette période du Moyen Âge : celui de la culture. Nous avons parlé des changements de la société, de leurs conséquences sociales et économiques, mais nous avons jusque-là laissé de côté l’aspect culturel, disant simplement que le clerc, en tant qu’homme d’église, était l’homme cultivé.

Or, si étrange que cela puisse paraître, nous allons maintenant parler de saint François d’Assise. Pourquoi saint François ? Si l’Église l’a canonisé, c’est bien qu’il ne pouvait être hérétique. Et pourtant… le franciscanisme, les disciples de Saint François, « i poverelli« , ont constitué un phénomène à la limite de l’orthodoxie. Dans cette société médiévale, fondée essentiellement sur des structures ecclésiastiques, le franciscanisme représente une rupture culturelle vis-à-vis de la culture « officielle« . La spiritualité franciscaine propose une nouvelle forme de culture pour répondre aux besoins de cette société profondément en crise.

Le message de Saint François et la création des ordres mendiants, leur culture, tracent une voie nouvelle pour créer un lien entre le peuple et la vie religieuse. L’Église laisse faire : Saint François ajoute au précepte de pauvreté celui d’humilité. L’humilité suppose l’obéissance dans laquelle les frères mendiants trouvent la liberté dont ils avaient besoin pour agir dans le monde. Idéal de pauvreté absolue et prédication étaient les deux aspects fondamentaux de ces ordres mendiants. L’un permettait une liberté totale et l’autre une approche directe avec les masses.

Plus important encore : la langue de l’Église, nous l’avons vu, était le latin et tout son enseignement était donné en latin. Or le peuple ne le parlait plus et le comprenait encore moins. Il fallait trouver un autre moyen d’expression, il fallait tout simplement parler la langue du peuple. Saint François, bien qu’il prêchât la Sancta Ignorantia, et cela avec acharnement, en refusant toute forme de culture qu’il considérait comme une déviation, a tout de même été le fondateur ou, mieux, l’initiateur d’une nouvelle forme de culture. Traduisant son expérience ascétique et mystique dans une langue compréhensible au peuple, il encourage de nouveaux moyens d’expression qui permettent de véhiculer les aspirations religieuses du peuple, si éloigné de l’Église officielle. Il connaissait les textes sacrés : il a trouvé le moyen de les transmettre.

Plus que lui, tout à sa prédication évangélique, ce sont d’ailleurs surtout ses successeurs qui ont élaboré son message. Tous, il ne faut pas l’oublier, possédaient une solide culture. Ils connaissaient les textes bibliques et liturgiques qui offraient des modèles littéraires et mêmes poétiques. Pensons aux Fioretti, les scènes de la vie de saint François racontées par ses disciples : nous y décelons immédiatement l’inspiration même des évangiles. Pensons aussi à Jacopone da Todi avec ses Laude.

Autre exemple de culture populaire : c’est la vulgarisation (et il faut entendre par vulgarisation la traduction en « vulgaire« , en langue vernaculaire) des Acti beati Francisci. La décision de proposer en langue populaire une œuvre qui, en latin, n’aurait eu qu’une influence très limitée, est encore une preuve du besoin spirituel et religieux ressenti par les masses citadines qui ne s’identifiaient plus, ne pouvaient plus s’identifier, à l’Église officielle.

Prenons enfin la Légende dorée de Jacques de la Voragine (1228-1298) : l’illustration de la vie des saints dans un langage simple qui traduit toute question théologique en images de vie quotidienne. Il s’agit là d’un manuel de vie religieuse à la portée de tout le monde, à la portée des « laïci« .

Cette littérature franciscaine connaît donc une large diffusion et cela, en raison des éléments novateurs et polémiques présents dans le message de saint François. La littérature franciscaine est bien là pour briser le monopole de la culture de l’Église. Les aspirations de cette nouvelle société ont trouvé leurs moyens d’expression, leurs écrivains.

La culture franciscaine était-elle hérétique ?

Reste à se demander si cette nouvelle culture était hérétique.

Où se situe, dans cette vaste production franciscaine, la frontière entre orthodoxie et hérésie ? On peut soutenir que cette culture est orthodoxe vis-à-vis de la Bible, mais hérétique vis-à-vis de l’Église. La théologie diffusée par cette nouvelle culture « volgare » est fondée sur les Écritures, elle en est la traduction dans un langage simple et proche des hommes. Mais, pour l’Église, elle est anti-hiérarchique, non structurée par l’autorité ecclésiastique et, par là-même, hérétique.

L’Église va essayer, dans un premier temps, d’absorber ces nouvelles tendances, mais assez vite l’héritage de saint François lui échappera. L’Église passe alors à la condamnation. Jacopone da Todi est emprisonné ; les Spirituels, les disciples les plus zélés de saint François, qui voulaient vivre en suivant à la lettre le testament du saint, sont pourchassés comme hérétiques.

Leur chef, Joachim de Flore (1130-1202 ; Concorde des deux testaments où il distinguait dans l’histoire humaine l’âge du Père, c’est-à-dire l’Ancien Testament, et l’âge de l’Esprit à venir, celui où une Église entièrement monacale gouvernerait l’humanité convertie à la pauvreté évangélique), qui se définissait lui-même comme « vir spiritualis« , rejette en bloc les décisions pontificales. Les Fraticelli, sortis des rangs des Franciscains, se constituent en faction extrême. Leur chef de file, Clareno, enseignait que le pape n’avait pu nier la pauvreté absolue du Christ et des apôtres sans se condamner lui-même et tomber dans l’hérésie … Ubertino da Casale, chef de file des Spirituels (1273-1317), dans le sillage du joachimisme, professe un ascétisme et un mysticisme exaltés.

30 décembre 1317 : le pape Jean XXII, avec la Bulle « Sancta Romana« , précise le point de vue auquel il faut se tenir. Il défend de n’instituer aucun ordre nouveau et par là condamne toute forme de vie religieuse indépendante des ordres appuyés sur l’Église. L’hérésie, les hérétiques sont condamnés. L’Église n’entend plus les écouter, ne veut pas changer, ne veut pas se renouveler. L’Église ne veut pas renoncer à sa puissance, à son pouvoir, à sa richesse.

On peut alors s’interroger sur le sens du mot « hérésie » employé par l’Église à cette époque.

Ici, probablement, hérésie signifie avant tout déviation politique, subversion de l’ordre politique et social. Comme on va le voir, tous ces mouvements que nous avons évoqués, sauf les cathares, ne mettent en questions ni les dogmes, ni les fondements du Christianisme. Ils ne demandent que de revenir à l’église primitive, à la première communauté chrétienne fondée sur la fraternité et l’égalité. C’est en ce sens qu’ils sont hérétiques car ils mettent en question la politique menée par l’Église qui ne voit pas, et ne veut surtout pas voir, que la société change et qu’elle ne sait pas adapter son message aux nouvelles conditions de vie et aux nouvelles mentalités.

Une réforme de l’Église a donc échoué. Cependant avec ces « hérétiques« , avec saint François commence une nouvelle phase du spiritualisme chrétien. Toute la littérature chrétienne du Moyen Âge sera balayée par saint François qui propose l’imitation de la vie terrestre du Christ à la place de l’interprétation que l’Église veut en donner. On assiste au rejet de toute la scolastique chrétienne et à la recherche de contacts avec Dieu à travers l’expérience vécue du Christ.

L’Église est en crise : la masse qu’elle asservit devient individus en quête de spiritualité et de réponses. Les hérésies du Moyen Âge ?… elles sont l’expression d’une crise de civilisation, elles traduisent la prise de conscience de l’individu. Tout est déjà en gestation pour préparer la grande réforme du XVIe siècle.

II – L’hérésie cathare (1)

Revenons à l’hérésie cathare. Pour nous le visage des Cathares est double.

D’une part celui d’une vie exemplaire, une vie ascétique et une vie de pauvreté, inspirée du modèle évangélique. Les Cathares vont par le monde, en essayant de soulager la misère humaine, en apportant le réconfort spirituel et en prêchant le salut en Jésus-Christ.

Mais d’autre part un visage d’hérétiques. Car leur manière de vivre s’appuyait sur une théologie en opposition radicale avec celle de l’Église régnante ; une théologie qui par bien des aspects semblait une résurgence de ces hérésies anciennes que l’Église avait tellement combattues.

Nous ne ferons pas ici l’historique du Catharisme en France ; et en particulier nous ne raconterons pas son élimination par la violence, dans la première moitié du 13e siècle, depuis le début de la 1ère croisade, consécutive à l’assassinat du légat du pape (1208) et marquée par le sac et les massacres de Béziers, jusqu’à la chute du château de Montségur et au bûcher qui l’a accompagnée (1244).

Donnons cependant quelques repères. Nous aborderons ensuite le contenu des croyances cathares puis ce que furent la vie et l’organisation religieuses de ces dissidents de la Chrétienté.

Quelques repères

Contrairement à une opinion anciennement répandue, il ne semble pas que le Catharisme ait grand-chose à voir avec le manichéisme. Il présente en fait toutes les caractéristiques d’un christianisme médiéval, marqué d’une exigence évangélique stricte. Dès l’an mille ou peu après, on en repère des traces dans toute l’Europe. Apparemment, le Catharisme s’est situé au sein de cet immense mouvement d’anticléricalisme populaire dont on vient de parler tout au long de notre première partie.

Mais les « Cathares« , pour ce qui les concerne, apparaissent comme une véritable contre-Église organisée, concurrente de l’Église romaine. La chrétienté grecque les appelait « Bogomiles » (aimés de Dieu) ; l’occident latin les nomme de diverses façons pour retenir finalement ce terme de « Cathares« . Eux-mêmes ne se désignaient pas autrement que « Chrétiens« .

Dès le 11e siècle, peu après l’an mille, on les voit apparaître en occident. Selon des chroniqueurs de l’époque, le monde serait en proie à de dangereux agents du mal, des faux prophètes, des hérétiques… En fait l’examen des documents montre plutôt qu’il s’agit communautés de clercs, moines et laïcs, dissidents, qui réclament un retour aux sources. Mais ces tendances sont tout de suite réprimées. Les documents signalent des bûchers à Orléans, à Toulouse, en Lombardie, en Champagne…

Au 12e siècle l’ « hérésie » semble avoir fortement progressé et s’être plus solidement établie. L’Église romaine s’en inquiète et deux religieux, notamment, ont donné une première description des « hérétiques« , dans des documents qui nous sont parvenus. Il s’agit d’abord d’un clerc de l’archevêché de Liège, Evervin de Steinfeld, dans une lettre de 1143 au futur saint Bernard ; et ensuite, en 1163, de « Sermons » d’Eckbert de Schönau, chanoine de Bonn, proposant la première définition complète de l’ « hérésie cathare« .

Ces deux textes ont été confirmés par des documents ultérieurs – y compris par des textes d’origine cathare -, ce qui permet de tracer un tableau des croyances cathares. Il ne faut toutefois jamais oublier que tous ces textes, d’auteurs, de dates et de lieux différents, ne font pas nécessairement état de positions uniformes. Il y a des écoles et des variantes et, si l’on veut être bref, on ne peut présenter qu’une sorte de « moyenne« .

Les croyances cathares

1 – Le catharisme apparaît fondamentalement comme une hérésie portant sur la nature du Christ (du type des hérésies anciennes : docétisme, monophysisme etc.). C’est une théologie de la nature purement spirituelle du Christ et qui porte négation de sa nature humaine. Le Christ, envoyé de Dieu, n’eut qu’apparence d’homme. Il a été envoyé sur terre par le Père pour apporter la Bonne Nouvelle de l’Évangile ; le Nouveau Testament relègue comme fable néfaste l’ancienne loi de Yahweh, dieu menteur, jaloux, cruel et vindicatif qui ne peut être le Dieu d’Amour annoncé par le Christ. Vous reconnaîtrez là des positions qui avaient déjà été soutenues par Marcion.

2 – Le fondement de cette réflexion théologique est le dualisme latent des Ecritures du Nouveau Testament, qui constituent principalement les livres sacrés des cathares : l’opposition entre Dieu et ce monde y est clairement affirmée, principalement dans l’Évangile de Jean et dans sa première épitre.

3 – Il y a deux Églises, une du monde (la Romaine) et une de Dieu (celle des Cathares). Les chrétiens cathares revendiquent la filiation apostolique : « ils disent – selon Evervin de Steinfeld – qu’ils demeurent les vrais disciples de la vie apostolique… ils disent encore que cette hérésie est demeurée cachée jusqu’à nos jours depuis le temps des martyrs« . Les Cathares prétendent donc constituer la vraie Église du Christ et des apôtres, réfutent les prétentions de l’Église romaine et rejettent toutes les adjonctions humaines et institutionnelles faites à l’Église primitive des apôtres.

4 – En ce qui concerne les sacrements, les cathares rejettent l’eucharistie, par docétisme (nature uniquement spirituelle du Christ) et du fait de leur conception du Christ comme messager de la Bonne Nouvelle. Ils pratiquent par ailleurs un rite de bénédiction du pain, en mémoire de la dernière Cène et un rite de récitation du Pater. Enfin ils pratiquent un unique sacrement du salut, le baptême de l’Esprit, par imposition des mains (Le Consolamentum) fondé sur les Ecritures et revendiqué comme hérité en droite ligne des apôtres.

5 – D’où une organisation ecclésiale très particulière, sur le mode de l’Église primitive, dans le but de diffuser la Bonne Nouvelle et de sauver les âmes. Evervin de Steinfeld fait état de trois degrés parmi les « hérétiques » : les auditeurs, les croyants et les élus avec double stade de baptême et d’ordination, comme chez les Bogomiles. Les « élus« , ou « chrétiens » (qui peuvent être des hommes ou des femmes), jouent un rôle pastoral et sacerdotal. À leur tête un évêque, qui a le pouvoir d’ordonner.

On est ainsi en présence d’un ordre religieux mixte, avec prononciation de vœux, mais vivant et opérant dans le siècle. Les « Chrétiens » cathares sont des religieux à la fois réguliers et séculiers.

6 – Enfin, selon Eckbert de Schönau, ces hérétiques croient que le monde, qui n’est pas de Dieu, a été créé par le diable et que les âmes des hommes sont des anges déchus, ce qui apparaît incontestablement comme un thème dualiste.

Le dualisme cathare

On peut donc parler d’un dualisme des cathares et nous voudrions un instant insister sur cette question. Tout le problème, en effet, est de savoir dans quelle mesure et jusqu’à quel point les cathares étaient dualistes, c’est-à-dire jusqu’où allait pour eux la puissance et l’indépendance du mal au regard de Dieu.

La réponse n’est pas simple, d’abord parce que les positions des cathares, comme on l’a dit, ne sont pas uniformes. On a ainsi pu distinguer chez eux un dualisme mitigé et un dualisme absolu. Mais surtout parce que ce dualisme des cathares n’est pas pour eux un point de départ, un principe théologique posé a priori, mais l’aboutissement d’une réflexion appuyée tout entière sur les Ecritures chrétiennes, c’est-à-dire sur le Nouveau Testament.

Au départ, pour les Cathares, une constatation. Le monde est mauvais ; il est voué à la mort et à la corruption. Il ne peut donc être de Dieu. En cela ils se réfèrent à des textes bibliques. Le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde. « Vous êtes dans le monde mais vous n’êtes pas du monde« , dit Jésus à ses disciples dans l’Évangile de Jean ; et encore « mon royaume n’est pas de ce monde« . La souffrance, la violence, la mort ne peuvent être du Père, ne peuvent être du Dieu d’amour annoncé par Jésus-Christ.

Partant de ce constat « existentiel » et de cette lecture de l’Évangile, les théologiens cathares en tiraient un certain nombre de conclusions :

  • Sur la toute-puissance de Dieu, d’abord. Pour les Cathares Dieu n’était tout-puissant que dans le bien. « Ce qu’Il ne veut pas, Il ne le peut pas… Le Dieu bon n’est pas qualifié de tout-puissant en ce qu’Il pourrait faire tous les maux, mais parce qu’Il est vraiment tout-puissant en ce qui concerne tous les biens… Il est au principe de tout bien et n’est jamais, en aucune façon, par Lui-même cause d’un mal (Jean de Lugio) » ;
  • Sur la création ensuite. Pour les cathares, le monde matériel, dont on constatait qu’il était essentiellement mauvais, ne pouvait être création de Dieu, mais était une création de l’esprit du mal ; création dans laquelle l’homme, ange déchu, se trouvait prisonnier ; donc opposition complète au texte de Genèse 1. La chair est essentiellement mauvaise (là on retrouve St-Paul) et tout ce que peut espérer l’homme est d’en être délivré. Le Salut, pour les Cathares, n’était donc pas autre chose que ce retour à Dieu et toute âme étant de Dieu, il était promis à tous. C’était donc une perspective de Salut universel. Dernière conséquence : comme une seule vie terrestre n’était pas forcément suffisante pour que l’âme prisonnière du monde soit délivrée, les Cathares n’excluaient pas la transmigration des âmes ;
  • La christologie enfin, et c’est sans doute là le point le plus important. On l’a mis tout-à-l’heure au départ de l’exposé de leurs croyances. Pour les Cathares, le Christ envoyé de Dieu pour apporter la bonne nouvelle, ne pouvait avoir de nature humaine, puisque celle-ci était foncièrement et essentiellement mauvaise. D’où une certaine conception de la Croix (rejet de toute interprétation « sacrificielle« ) et le rejet de l’eucharistie (elle ne pouvait être le corps ni le sang du Christ puisque ceux-ci n’avaient pas de réalité).

C’est certainement cette reprise d’héresies anciennes sur la nature du Christ qui leur valut l’hostilité violente et la condamnation de l’Église et les persécutions qui s’ensuivirent, beaucoup plus que le dualisme proprement dit, dont on a pu dire que, dans une certaine mesure, il était familier aux esprits du Moyen Âge qui voyaient facilement le Diable partout..

L’Église cathare et la vie des Cathares

C’est vers la fin du 12e siècle que le Catharisme semble avoir atteint son extension maximum (c’est-à-dire au temps de Louis VII, Philippe-Auguste et des Plantagenêt).

Les Cathares se recrutaient dans tous les milieux de la population et notamment dans les milieux de l’Église. Il s’agit bien souvent de clercs, moines ou autres, dont les convictions non orthodoxes étaient plus ou moins cachées. C’est ainsi qu’en 1017 déjà, les autorités découvrent des Cathares à Orléans : c’étaient des chanoines de la cathédrale. Ils furent brûlés vifs. Les écrits de Steinfeld et de Schönau, cités plus haut, font nettement allusion à des clercs.

Cela dit, où trouve-t-on les Cathares ? On les trouve de Constantinople à Toulouse, de Cologne à Florence, autrement dit dans les pays rhénans, dans plusieurs régions de France et en Italie, sans parler des Bogomiles, répandus dans une partie des Balkans (notamment en Bulgarie).

En 1167 se tint à St-Félix-en-Lauraguais, non loin de Toulouse, une Assemblée générale des communautés cathares, présidée par l’évêque bogomile de Constantinople, Nicétas. Les communautés s’y organisèrent en églises territoriales et des évêques furent désignés pour quatre diocèses occitans (Toulouse, Albi, Carcassonne et Agen) ; ainsi qu’un évêque pour la « France » et un évêque pour l’Italie. Un peu plus tard sera créé un 5e évêché occitan (Razès). Au cours de cette même assemblée, l’évêque Nicétas parlera de cinq évêchés bogomiles. Enfin l’Église italienne se subdivisera un peu plus tard en six évêchés. Au total, on le voit, près d’une vingtaine d’évêchés.

En occident, néanmoins, les terres cathares par excellence furent l’Italie et surtout l’Occitanie (le sud de la France), dans laquelle le Catharisme apparaît clairement comme l’un des aspects de la civilisation occitane alors en plein épanouissement.

Comment vivait cette église cathare et comment vivaient ses membres ?

On a mentionné les trois « degrés » qui pouvaient être distingués : les auditeurs, les croyants et les « élus » (ce sont les termes d’Evervin de Steinfeld). Le passage au dernier degré, celui des « élus« , s’opérait par le rite du Consolamentum. Qu’est-ce que le Consolamentum, que les cathares appelaient aussi le « saint baptême de Jésus-Christ » ? On peut dire que c’est le baptême cathare, non un baptême par l’eau, mais le baptême de « Feu« , le baptême de l’Esprit, qui se pratiquait par imposition des mains. On a dit que les Cathares revendiquaient la filiation apostolique. Ils considéraient que cette pratique baptismale leur venait en droite ligne des apôtres, à la suite de la Pentecôte (et sur le fondement de Jean 1,33).

Ce sacrement unique – puisqu’on a vu que les cathares rejetaient tous les autres sacrements – avait pour rôle de faire entrer totalement dans la vie chrétienne et avait pour fonction de remettre les péchés et de sauver les âmes en les rendant à Dieu. Le consolamentum semble avoir été donné dans deux sortes de circonstances : soit à un croyant qui le demandait et se trouvait en danger de mort ; soit à un croyant qui voulait entrer dans la catégorie des « élus« .

Venons-en donc à cette dernière catégorie, que l’on désigne aussi sous le nom de « Parfaits« , et qui se désignaient eux-mêmes comme « Chrétiens« . Les croyants les appelaient « Bons Chrétiens » ou encore « Bons Hommes« . Ils avaient fait vœu de célibat (nous y reviendrons). Ils pouvaient être des hommes ou des femmes, dans ce cas les « Chrétiennes« , ou encore les « Bonnes Chrétiennes » ou les « Bonnes Dames« . Leur rôle était de prêcher, d’annoncer la Bonne Nouvelle, celle de l’Amour de Dieu, et de conférer à leur tour le sacrement du consolamentum.

Ces « Parfaits » étaient connus des populations par la charité qu’ils exerçaient et par l’exemplarité de leur vie. Ils avaient renoncé à tout bien et vivaient dans des maisons communes, au sein des agglomérations. Il s’agissait donc de religieux vivant pleinement dans le siècle et pour lesquels le travail apostolique passait avant toutes choses.

Mentionnons encore deux aspects du mode de vie des cathares qui découlent assez directement de leur manière de concevoir le monde matériel.

Dans leur ascèse, d’abord, les Cathares, tout-au-moins les élus, ceux qu’on appelle les Parfaits, s’abstenaient de toute nourriture animale : d’une part parce qu’ils croyaient à la transmigration des âmes ; d’autre part surtout parce que, le monde matériel étant mauvais, tout ce qui naissait par mécanisme de reproduction l’était encore plus.

Nous abordons là un point important, celui de l’attitude des Cathares au regard de la sexualité. Les Cathares condamnaient les rapports sexuels. Ils les condamnaient en soi, autant hors mariage que dans le mariage. Autant dire qu’ils condamnaient le mariage. Leurs écrits sur la question ne nous sont malheureusement pas parvenus. On est donc réduit aux conjectures lorsqu’on en cherche l’explication. D’une part cette attitude s’explique probablement par leur conception du monde matériel, foncièrement mauvais. Ce qui le fait prospérer est donc aussi foncièrement mauvais (c’est l’opposé du « Croissez et multipliez » de la Genèse). D’autre part cette attitude prend aussi certainement place dans un courant de pensée fort ancien et auquel il a été fait plusieurs fois allusion au cours de ces conférences, et qui d’ailleurs était présent, à un degré moindre, dans l’Église catholique de l’époque. Les « Parfaits » vivaient donc un célibat rigoureux.

Cela dit, cette règle de la continence cathare ne concernait que les « Parfaits« , qui sur ce point étaient extrêmement indulgents vis-à-vis des simples croyants dont ils toléraient le mariage et même l’union libre, qui pour eux revenaient au même. Cette différence d’attitude tenait, semble-t-il, à des raisons tout à fait profondes. L’élu, qui avait reçu le consolamentum était en quelque sorte libéré du mal et il n’était plus concevable qu’il reste soumis aux lois mauvaises de la nature matérielle ; au contraire, le simple croyant restait encore sous l’empire du monde matériel, c’est-à-dire du mal, et on ne pouvait exiger de lui un tel renoncement.

Les Cathares – et ce sera la conclusion de cette deuxième partie – étaient-ils donc des Chrétiens ?

Il ne fait pas de doute que, pour la majorité des chrétiens, et surtout les responsables des Églises, la réponse fut négative. Pour la plupart des chrétiens il paraît difficile de considérer comme des leurs ces croyants dualistes, qui contestent la toute-puissance de Dieu, remettent en cause l’importance décisive de la Croix et réorganisent à leur façon la vie sacramentelle.

Pour l’historien, le regard doit être différent. On a pris conscience que la plupart des documents au travers desquels on avait jugé les Cathares émanaient seulement de leurs adversaires. D’autres documents, émanant des Cathares eux-mêmes, ont été mis à jour. Une réflexion plus sereine tend aujourd’hui à montrer que les Cathares participaient pleinement à l’univers de la Chrétienté médiévale et que leur culture était essentiellement fondée sur les Ecritures chrétiennes Les Cathares, d’ailleurs, comme on l’a dit, ne se désignaient pas autrement que comme « Chrétiens« .

On peut donc finalement souligner trois points :

  • Le Catharisme, contrairement à ce qui a été souvent dit, semble pouvoir pleinement être placé dans la mouvance d’un Christianisme médiéval, ne serait-ce que par la place tenue par les écritures chrétiennes à la base de ses méditations et de sa prédication. Il se présente alors comme essentiellement évangélique, dans le cadre d’attitudes religieuses assez caractéristiques de l’époque (gestuelle et rites, les deux ordres, la place du Mal dans le monde) ;
  • Mais, comme d’autres dissidences du Moyen Âge, il est contestataire de l’Église en place, ne serait-ce qu’en raison des compromissions de cette dernière avec l’argent et le pouvoir. À ce titre il prend place parmi tous ces mouvements de protestation qui font l’objet de cette conférence ;
  • Enfin, dans sa contestation, le Catharisme retrouva des interprétations théologiques qui n’étaient pas nécessairement nouvelles et avaient été défendues par des hérésies antérieures. Dans quelle mesure y a-t-il filiation ? la réponse est bien difficile, malgré beaucoup de similitudes. Ce qui est sûr, c’est que le Catharisme essaya d’apporter une réponse à l’éternelle question du Mal. Et qu’il y répondit par une théologie qui finalement était avant tout une théologie de l’Esprit.

III – Les Vaudois des origines à nos jours

À l’inverse de l’hérésie cathare, l’hérésie vaudoise est la seule hérésie du Moyen Age qui ait survécu. Lors de la Réforme de Luther et Calvin, les Vaudois ont en effet transformé leur mouvement en Église Réformée. Cette adhésion à la Réforme leur évita se faire absorber, ou anéantir, par l’Église romaine, comme ce fut le cas pour tous les autres mouvements hérétiques du Moyen Âge. Aujourd’hui les Vaudois existent en tant que protestants italiens, bien qu’ils aient conservé toutes leurs spécificités.

Les origines

On a dit plus haut que le mouvement vaudois avait pour initiateur Pierre Valdo. De ce dernier on sait peu de choses. Sa famille serait originaire du Canton de Vaud, d’où ce nom de Valdo. Lui-même serait né à Lyon vers 1140 et s’y serait ensuite installé comme commerçant, en raison de l’importante activité de la ville. Il se serait très vite enrichi.

La légende veut qu’il ait alors eu une révélation qui lui fit tout abandonner, biens et famille, pour se consacrer à Dieu suivant les verset de Mathieu XIX, 21 « Si tu veux être parfait, va vendre tout ce que tu possèdes et donne l’argent aux pauvres, alors tu auras des richesses dans les cieux ; puis viens et suis-moi« . La quête de Valdo allait d’ailleurs encore plus loin : il voulait lire lui-même les textes sacrés et demanda à son amis Étienne d’Anse de lui traduire les évangiles, ainsi que quelques textes de l’Ancien Testament.

Pierre Valdo se met alors à prêcher l’Évangile dans les rues et sur les places de Lyon. Il fait de nombreux disciples. Il n’hésite pas à s’adresser aux femmes. Comme on l’a dit, tout cela indispose fortement l’Église. Il est donc condamné par l’évêque de Lyon, ainsi que ses disciples. Voici l’extrait des archives de l’Inquisition française qui le condamne :

« C’est ainsi qu’ils finirent par mépriser les prélats et les clercs, les accusant d’être riches, de vivre dans l’aisance ; sous prétexte d’en être les imitateurs et les successeurs et en vertu d’une feinte sainteté, ils s’arrogent des droits qui avaient été réservés aux Apôtres. À cause de leur obéissance et de l’usurpation présomptueuse d’une tâche qui ne leur incombait pas, par contumace, ils furent excommuniés et expulsés de leur patrie« 

Les Vaudois se disaient « pauvres en esprit » : c’était l’expression dont s’est servi Jésus pour désigner ses disciples dans le sermon sur la montagne (Mat.5,3). Valdo et ses amis entendaient signifier par là qu’ils avaient pour idéal la constitution d’une communauté semblable à celle des premiers disciples de Jésus, vivant de sa parole et lui obéissant. Mais ce terme « pauvre« , qu’ils employaient pour désigner leur mouvement, ne doit pas induire en erreur ; il a peu en commun avec le même terme employé par les Patarins. Il ne s’agit pas ici de misérables sans demeure. Ces hommes et ces femmes proviennent de tous les milieux sociaux, ils exercent chacun une activité dans la ville ; des marchands, des artisans pleins d’initiative, des ecclésiastiques même semblent avoir participé à cette recherche de vie communautaire.

Tous ressentaient profondément la crise de leur société et leur méditation de l’Évangile les avait rendus attentifs à la misère morale et spirituelle, tout autant que matérielle, qui les entourait. Le problème que ces « Pauvres de Lyon » soulèvent dans l’église du XIIe siècle va donc sensiblement plus loin que celui posé par les « Pauvres de Milan« , les Patarins. En plus de leur recherche de pauvreté et de vie chrétienne communautaire, ils soulèvent la question de la prédication de l’Évangile. Des temps nouveaux sont à la porte d’où naîtra une société nouvelle. Comment les chrétiens vont-ils répondre à l’appel de Jésus ?

En soi, cela ne constituait pas un mouvement révolutionnaire. Mais le précepte de pauvreté volontaire, les préceptes évangéliques que Valdo défendait dépassaient le cadre strictement personnel et recouvraient un problème social qui pouvait avoir des répercussions politiques imprévisibles, en raison de l’interpénétration du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.

Les Vaudois furent donc, comme on l’a dit, condamnés par l’évêque de Lyon en 1177. Ils furent chassés de la ville. Deux ans plus tard, après le troisième concile de Latran (1179 – Pape Alexandre III), ils figuraient dans la liste des mouvements hérétiques, considérés comme tels non seulement à cause de leurs erreurs, mais surtout en tant que rebelles à l’Église et à la société.

L’émigration en Italie

Chassés de Lyon, et de France, ils trouvent alors refuge en Italie. Ils s’installent dans le Milanais où ils rencontrent les Patarins, les pauvres de Milan. Comme ces derniers, les Vaudois incarnent ce besoin de liberté qui s’exprime par la revendication d’une foi plus responsable, plus personnelle, plus intériorisée.

Ainsi transplantés, ils s’organisent autour de la « schola« , c’est-à-dire la « maison vaudoise« , où l’on se retrouve pour lire la Bible, instruire les jeunes et prier. Ils parlent et écrivent une langue dérivée du provençal. Cet attachement à l’écriture et à l’instruction est à la base d’une prise de position religieuse très précise : la Bible n’est pas un livre sacré qu’il faut vénérer mais un livre qu’il faut lire. Ils refusent par conséquent les structures hiérarchiques et se prononcent ouvertement contre le serment qui était en fait la base des rapports sociaux de l’époque. Leur comportement est donc extrêmement subversif : c’est une critique indirecte, mais radicale, des formes de la vie sociale de l’époque, qui enchaînent les hommes les uns aux autres dans un rapport de sujétion.

D’autres Vaudois, il faut le noter aussi, se réfugièrent dans le Lubéron et dans les Alpes du Briançonnais : les Alpes, en effet, était à l’époque une région mal délimitée et peu peuplée, formant comme un bastion, ce qui permit à certains Vaudois de s’y installer.

La lutte contre les pouvoirs. Le repli dans les montagnes.

Dans cette nouvelle situation, la lutte contre les pouvoirs allait devoir continuer.

En 1194 Alphonse d’Aragon publie un édit contre les Vaudois et son fils Pierre II le Catholique prononce leur exclusion de ses terres. Pour lui les Vaudois « sont les violeurs de la foi chrétienne et nos ennemis« . Dans le même temps commence la lutte contre les Cathares (1208 : première croisade contre les Albigeois). Mais il était certes plus facile frapper un mouvement comme les Vaudois, qui socialement recrutait ses adhérents parmi les petits commerçants et les artisans, que les Cathares, qui avaient, en Occitanie, l’appui de la classe dirigeante féodale et d’une puissante bourgeoisie.

Au quatrième Concile de Latran (1215), dont on a dit plus haut toute la portée, le pape Innocent III fit proclamer que : « L’Église universelle des fidèles est une. En dehors de l’Église personne n’est sauvé« . L’institution de la confession obligatoire exprima avant tout une plus grande volonté de contrôle de la part de l’Église.

Mais les Vaudois refusèrent de prêter serment de fidélité à l’Église ; attitude hérétique. Leur refus eut pour conséquence l’impossibilité pour les Vaudois d’assumer des charges civiles. Le message vaudois, en effet, mettait en question l’ordre établi : c’était une forme consciente de présence chrétienne dans le monde, capable de rendre solidaires tous ceux qui souffrent. Le « pauvre » vaudois sait que la miséricorde de Dieu s’adresse aux petits et non pas aux puissants. La pauvreté, voulue dans un premier temps pour gagner une certaine forme de liberté dans l’évangélisation, devient, dans un deuxième temps, le choix des pauvres.

Cette pauvreté à l’image du Christ impliquait le refus catégorique de conférer à quelque croyant que ce soit, et surtout pas à l’institution ecclésiastique, le droit d’organiser ou de diriger le monde ou encore d’imposer des programmes politiques. À Bergame, en 1218, fut affirmé le droit d’une communauté d’élire elle-même ses ministres. Après avoir justifié théologiquement la prédication itinérantes de laïcs non investis de l’ordre sacré et pris le chemin d’une ecclésiologie indépendante, les vaudois revendiquaient ainsi la légitimité de leurs propres ministres.

Mais, dès 1210, l’empereur Othon IV avait signé un édit contre les Vaudois du diocèse de Turin. Et un siècle plus tard eut lieu à Pignerol le premier bûché vaudois. Ainsi pourchassés, les Vaudois se dispersent dans toute l’Europe. Ils entrent en relations avec les Hussites. Ils se sentent moins isolés et reprennent leurs pérégrinations pour prêcher la parole.

Néanmoins, les régions d’élection des Vaudois restent les hautes vallées du Piémont. Soulignons en effet d’abord le caractère très unitaire de ces régions alpines et indiquons aussi que l’installation des Vaudois coïncide avec la mise en culture de terrains jusqu’alors boisés. De plus, entre le Pô et la Durance -sur la route qui de l’Italie menait en Espagne à travers la Provence – le Montgenèvre était au centre des relations de l’Occident roman, dans lequel une langue commune fut l’expression d’une communion d’intérêts.

Quant à la permanence ultérieure des Vaudois dans ces vallées, elle traduit vraisemblablement la résistance d’une société de montagnards, encore enfermés dans leurs traditions patriarcales, face à l’avidité des seigneurs féodaux. L’esprit de solidarité entre ces montagnards se concrétisa juridiquement en de solides privilèges, processus d’émancipation qui se confond avec l’adhésion au valdéisme. La séparation vaudois/catholiques correspond ainsi à la division entre la classe paysanne et celle des seigneurs.

Les vaudois vivaient de la sorte en marge de la société. Ce n’étaient pas des révolutionnaires mais des rebelles. Leur référence était le Sermon sur la montagne. Un poème vaudois, la nobla Leyçon (1400), invite à ne pas rendre le mal et caractérise le « vaudès » comme celui qui mérite tout châtiment car il vit comme Jésus-Christ. Il souffre avec le Seigneur car il accepte les préceptes « non maudire, ni jurar, ni mentir, ni avoutrar, ni aucire, ni penre de l’autri, ni venjar se li seo enemis« .

Le ralliement à la Réforme ; le Synode de Chanforan

La révolution hussite de 1415 offre à la doctrine vaudoise une première occasion de développement et d’approfondissement. Un siècle plus tard, Luther soulève à son tour le problème de la réforme intérieure de l’Église. Le monde vaudois n’hésite pas alors à accorder sa pleine adhésion à la lutte que mène Luther. Les barbes (les « anciens » chez les vaudois) lisent les livres des nouveaux théologiens et les font circuler. Le chapitre général vaudois réuni à Laux dans le Val Cluson en 1526, décide d’envoyer une délégation au nord des Alpes pour mieux apprécier la situation. On délègue Martin Gonin d’Angrogne qui rencontre Guillaume Farel. Un peu plus tard, le Chapitre de Mérindol en Provence, en 1530, décide cette fois d’envoyer Farel dans les vallées vaudoises afin d’arriver à un accord sur divers points théologiques. Les Réformateurs voudraient que les Vaudois abandonnent tout ce qui, dans leur mouvement, relève de la clandestinité.

Enfin, en 1532, du 12 au 18 septembre, se tient à Angrogne le Synode de Chanforan où sont présents tous les représentants vaudois et Farel. L’importance de la Bible y fut confirmée ; seuls le baptême et la Sainte Cène sont reconnus comme sacrements ; le ministère des barbes cesse d’être itinérant, ils ont dorénavant à s’occuper d’une communauté locale. Et surtout on insista sur l’idée de prédestination qui montre combien la liberté et la grâce de Dieu sont indépendantes de tout mérite humain fondé sur une pratique des bonnes œuvres. Et, sur le plan pratique, on recueillit des fonds pour faire traduire et imprimer la Bible en français. On confia la tâche à Robert d’Olivétan : ce sera la première Bible réformée, imprimée à Neuchâtel en 1535.

Le Synode de Chanforan représente donc un grand tournant pour le mouvement vaudois : l’adhésion à la Réforme constitue tout à la fois un pas en avant sur le chemin du témoignage évangélique, un approfondissement théologique et la maturation des institutions que la diaspora vaudoise du Moyen Âge n’avait pas su ou pu développer.

En effet, l’organisation des vaudois n’avait pas changé depuis trois siècles, une fois adaptée à une existence clandestine. Le « nicodémisme » continuait d’en être le trait typique : la communauté faisait semblant de vivre au sein de l’Église catholique. Chanforan confirma la transformation de ce qui avait été un mouvement de contestation évangélique en une institution ecclésiastique qui – tout en restant culturellement en rupture avec l’Église romaine – était respectueuse des lois qui réglaient la vie en société.

Avec le synode de Chanforan s’effacèrent donc les derniers vestiges du Valdéisme médiéval, en particulier la prédication itinérante. Dans les Alpes, le Valdéisme forma une Église constituée et adopta le système presbytérien. Mais, ainsi transformé, le mouvement vaudois devint de plus en plus étranger au milieu italien. Repliée sur elle-même dans son refuge alpin, l’Église vaudoise allait renforcer ses contacts avec ses nouveaux alliés réformés de l’autre côté des Alpes.

Grandes lignes de la théologie vaudoise

Arrêtons-nous quelques instants aux grandes lignes de la théologie vaudoise :

  • Son message : c’est la prédication de l’Évangile. La prédication vaudoise ne tentait pas seulement de répondre aux besoins matériels de l’homme mais de lui révéler d’autres besoins. C’est aussi la prédication du sacerdoce universel ;
  • La question de l’autorité : y répond un principe simple : tout chrétien doit prendre toute décision « selon Dieu et sa loi » ;
  • L’Écriture comme fondement de la foi : c’est le canon hébraïque et sa traduction en langue vulgaire ;
  • Les sacrements : ne sont retenus que le baptême et l’eucharistie.

L’histoire des Vaudois depuis Chanforan. Persécutions et tolérance.

Le sort des Vaudois est, depuis Chanforan, indissociable de celui des réformés.

Il est très marqué par les vicissitudes de la politique. Selon ses alliances, le duc de Savoie se montrait en effet tolérant ou rigoureux. Les alliances avec Charles-Quint ou Louis XIV furent, chacune en son temps, cause de mesures brutales. L’Édit de Nantes, puis sa révocation firent sentir leurs effets. Bref ce fut une alternance de persécutions et de périodes de tolérance. Signalons notamment :

  • 1530 Massacre de Mérindol ;
  • 1560 Abolition de la liberté de conscience (Édit de Nice) ;
  • 1561 Paix de Cavour : liberté religieuse pour les Vaudois (libre Église dans un libre État) ;
  • 1686 Suite à la révocation de l’Édit de Nantes, Victor-Amédée II entreprend de détruire les communautés vaudoises ;
  • 1689 « Glorieuse rentrée« . Victor-Amédée a besoin de ses alliés protestants ;
  • 1694 Édit de tolérance ;
  • 1713 La religion catholique est déclarée la seule religion du Piémont.

Pendant la Révolution française, les Vaudois adhérèrent aux tendances jacobines.

Mais en 1815 ils se retrouvèrent à nouveau en situation de sujets inférieurs dans le royaume de Piémont et il fallut attendre 1848 pour que vint enfin l’émancipation. Le 17 février 1848, le roi Charles-Albert concède aux Vaudois les droits civiques et politiques dont jouissent les autres citoyens de son royaume.

Depuis 1848 : une église désormais indépendante

Désormais libre, l’Église vaudoise peut, à l’automne 1849, affirmer ses conceptions les plus « indépendantistes« . La « Tavola » dit :

« L’Église vaudoise, en vertu de ses règles de foi et de sa constitution, doit se gouverner elle-même de manière absolument indépendante, selon ses principes, dans les limites du droit commun ; tout obstacle ou restriction mis par l’État à son activité ou au développement de sa vie intérieure, serait une atteinte à son droit d’autonomie, la dénaturerait en tant qu’église et mènerait à sa destruction« .

Sur ces bases l’Église vaudoise va évoluer en tant qu’église protestante italienne, c’est-à-dire une église protestante libre en pays catholique. Son centre sera à Torre Pellice. Notons quelques dates :

  • Premier septembre 1853 : Commémoration du serment fait par Henry Arnaud le 1er septembre 1689, lors de la « glorieuse rentrée« . L’Église vaudoise comprend son histoire comme étant celle de l’Israël des Alpes ;
  • 1839-1855 : les synodes confirment la confession de foi et l’organisation ecclésiastique de type réformé (système presbytérien-synodal). La liturgie de Genève est adoptée comme liturgie vaudoise (en 1965 nouvelle liturgie) ;
  • 15 décembre 1853 : inauguration du temple de Turin ;
  • 1855 : création du « Collegio di Torre Pellice, scuola di teologia » (École de théologie) ;
  • 1881 : fondation de la Société d’Histoire vaudoise, qui publie un bulletin d’études et de sources de l’histoire vaudoise.

Indiquons enfin qu’entre les deux guerres mondiales, les lois raciales instituées en Italie inquiétèrent aussi les Vaudois.

Pour terminer ce récit de l’épopée vaudoise, nous évoquerons Edmondo de Amicis, un écrivain italien grand connaisseur des Vaudois, et tout particulièrement son livre « Alle porte d’Italia » (Aux portes de l’Italie) dans lequel la description enthousiaste des vallées vaudoises se mêle à l’admiration pour les habitants et pour leur histoire.

Certes, les Vaudois lui sont apparus comme une population « étrangère« , parlant français et vivant depuis des siècles une expérience de foi autonome. Mais cinquante ans après leur émancipation (nous sommes au début du 20e siècle), il n’y voit plus « la canaille immonde » dont le duc Victor-Amédée voulait se débarrasser, ni les monstres que l’imagination populaire se représentait comme des Polyphèmes, ni des hérétiques. Ce sont des citoyens libres dans un État libre, selon la vieille formule de la paix de Cavour (1561) « libre église dans un libre État« . En 1848 ils furent en tête des défilés célébrant la politique libérale du roi Charles-Albert (promulgation du Statut fondamental). Pour l’Italie, la reconnaissance des Vaudois signifiait le passage d’une unité de type confessionnel à une société acceptant la liberté de conscience et le pluralisme religieux.

Et surtout, pour De Amicis, deux éléments majeurs caractérisent cette histoire des Vaudois : le martyre et la bataille pour la liberté. Il associe l’un à l’autre, la seconde donnant son sens idéal au premier. C’est un peuple de paysans cultivés qui ont lutté pour l’instruction. C’est aussi un peuple de croyants qui, repliés dans leurs montagnes ont su s’ouvrir sur le monde. L’Europe protestante en se réunissant à Torre Pellice, non seulement démontre par sa présence sa solidarité avec les Vaudois, mais atteste le caractère ouvert et international de leur façon de voir le monde.

Éléments de Bibliographie sur les mouvements hérétiques au Moyen Âge, les Vaudois et les Cathares En général

  • Dante Alighieri, La divine Comédie (traduction André Pezard – La Pléiade) ;
  • Lacopone da Todi, Laude ;
  • Saint François d’Assise, Œuvres ;
  • Paul Sabatier, Vie de saint François d’Assise.

Les Vaudois

  • Jean Valla, Pierre Valdo ;
  • Georges Tourm, Les Vaudois ;
  • Hubert Leconte, Les larmes du Lubéron ;
  • J. Gonnet et A. Molnar, Les Vaudois au Moyen Âge ;
  • Edmondo de Amicis, Alle porte d’Italia (Albert Maynier éd. – 1884).

Les Cathares

  • Anne Brenon et Pierre-Jean Ruff, Le christianisme des bons hommes (Ed. du Foyer de l’Âme – 1995) ;
  • Anne Brenon, Le vrai visage du Catharisme (Loubatières – 1988) ;
  • René Nelli, Le phénomène Cathare (Privat – 1993) ;
  • Arno Borst, Les Cathares ;
  • Fernand Niel, Albigeois et Cathares (PUF – Coll « Que sais-je ? »).

(1) Cette deuxième partie de la conférence, portant sur l’hérésie cathare, fut assurée par Jean-Luc Wolfender, qui s’appuyait sur « Le christianisme des bons hommes« , aux Éditions du Foyer de l’Âme (7bis, rue du pasteur Wagner 75011 Paris), 1995.

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