Le baptême

Vint la Réforme. La question du baptême des enfants se posa très rapidement : comment proclamer l’Écriture seule, nier l’aspect salvifique du baptême – et donc l’obligation de baptiser le nouveau-né – affirmer que l’on rejette toute la tradition ecclésiastique et en garder des éléments ? Zwingli, le Réformateur de Zurich, fut le premier à répondre à ces questions. De prime abord, sa réponse sur le pédobaptisme fut ambiguë. Il est clair que la question ne devint pour lui centrale que lors de la controverse avec les anabaptistes, secte jaillit du tronc réformé qui voulait tout de suite instaurer le Royaume de Dieu sur la terre, par la violence même. Les anabaptistes refusaient de baptiser les enfants parce qu’ils estimaient que nul ne devait être admis au sacrement du baptême sinon celui qui avait la foi et, d’autre part, parce qu’il n’y avait pas trace de baptême d’enfants dans les Écritures. Il semble que l’opposition de Zwingli aux anabaptistes fut plus politique et ecclésiale que théologique : les anabaptistes, par leur comportement souvent violent, troublaient l’ordre public, mettant en danger l’existence même du mouvement réformé à Zurich. Il rédigea deux traités et fit un retour à l’Ancien Testament pour montrer le parallèle entre la circoncision et le baptême, démontrant que si Abraham avait cru avant d’être circoncis, pour les enfants qui, par la circoncision entraient dans l’alliance, la foi venait après. Le point fondamental dans l’exposition faite par Zwingli est qu’il comprend le baptême comme un signe ou un gage d’alliance qui appartient à la famille, plus qu’à l’individu, comme c’est clairement le cas pour la circoncision. Par ce biais, il allait justifier le baptême des enfants, démontrant que le baptême dans le Nouveau Testament avait la même fonction que la circoncision  dans l’Ancien. Il rattacha de plus le salut des Hébreux et celui des chrétiens au Christ, sans lequel il n’y a pas de salut du tout.

L’impossibilité de faire appel à la tradition ecclésiastique obligea aussi Calvin à chercher dans l’Écriture des textes de références. Dans l’édition de 1539 de l’Institution de la religion chrétienne, il ajouta un chapitre intitulé « De la ressemblance de l’Ancien et du Nouveau Testament » – dans lequel il démontra qu’il y avait même substance et même vérité dans les deux Testaments, que les Pères avaient eu et connu Christ pour médiateur, qu’il y avait dans l’Ancien Testament vie spirituelle et espérance d’immortalité par adoption, et que l’alliance conclue par Dieu avec les Pères, je reprends le texte de Calvin, « n’a pas été fondée sur leurs mérites mais par sa seule miséricorde»(1). Dieu avait fait alliance avec le peuple juif; cette alliance avait été rompue, mais la nouvelle alliance rétablissait l’ancienne alliance. Il affirma par ailleurs, s’appuyant sur l’apôtre Paul, que la signification des signes et sacrements était la même dans les deux testaments, et avança hardiment l’idée que les Juifs n’avaient pas été dépourvus du baptême, puisqu’ils avaient été « baptisés au passage de la mer Rouge et en la nuée qui les défendait de l’ardeur du soleil »(2). Son raisonnement le conduisit, à son tour, à faire du baptême le signe de l’alliance, comme la circoncision l’était pour les Juifs. Le Père céleste « testifie » par ce signe, dit-il, que « pour l’amour de nous, il veut avoir égard à notre postérité et être le Dieu de nos enfants »(3).

Les anabaptistes survécurent aux persécutions dont ils firent partout l’objet et au fil des ans, parvinrent à se faire une place sur l’échiquier protestant. Certains émigrèrent en Amérique. Les petites communautés mennonites sont leurs descendants directs. D’autres protestants par la suite s’opposèrent au pédobaptisme : sous le qualificatif de Baptistes, leurs communautés se développèrent rapidement et comptent aujourd’hui des dizaines de millions de fidèles de par le monde. Leur théologie est généralement « calviniste » ; leur ecclésiologie « congré-gationaliste » mais surtout, elle est une Eglise « professante », c’est-à-dire qu’on y entre seulement après avoir professé sa foi. C’est pourquoi, lorsqu’un adulte, même baptisé enfant, vient les rejoindre, on le baptise par immersion dans l’eau. Je dis bien « baptise » et non « rebaptise » puisque le pédobaptisme n’est pas reconnu. Les baptistes estiment de plus que seule l’immersion totale peut avoir la signification de la mort avec le Christ, et de la résurrection avec lui, au sortir de l’eau. Beaucoup d’Eglises de la mouvance évangélique refusent, pour les mêmes raisons, le baptême des petits enfants.

Qu’en est-il dans nos églises réformées ? Je crois que l’on peut définir le baptême en cinq points : il est reçu au nom de Jésus-Christ ; il est lié à la conversion ; il nous atteste le pardon des péchés ; il annonce l’Esprit saint ; il nous incorpore dans une Eglise. Nul ne conteste sa signification. Il fut un temps où le baptême des tout-petits allait de soi dans les familles ; mais aujourd’hui, des parents se posent des questions : si le baptême est un signe de conversion, d’adhésion au Christ, comment l’appliquer à des petits enfants ? Ne devrait-on pas plutôt les « présenter » à l’Eglise, comme jadis le jeune Samuel fut amené au Temple par ses parents (1 S 1. 24-28) ? Marie et Joseph, de même, conformément à la tradition juive, ne présentèrent-ils pas Jésus au Temple de Jérusalem (Lc 2,21-24) ? Il faut bien reconnaître qu’il n’est nulle part question d’un baptême d’enfant dans le Nouveau Testament. Dans la jeune Eglise chrétienne, le baptême, pratiqué par immersion, était toujours un acte de foi d’adultes répondant à un appel à la conversion (Ac 2,38 ; Rm 6, 3-4).

Si le baptême d’enfant n’est pas bibliquement justifié, la présentation, on le voit, l’est. Plus tard, dûment instruit, l’enfant prendra lui-même la décision de demander le baptême. Ou pas. Etant donné que pour les protestants, le baptême n’est pas salvifique, rien n’oblige les parents en effet à faire baptiser leurs enfants, et de ce fait, à prendre pour eux des engagements dans l’Eglise. Dans les églises réformées, enfants et adultes sont donc baptisés. Le baptême des enfants peut être compris comme un signe de l’amour inconditionnel de Dieu pour l’être humain et doit nous rappeler que Dieu aime toujours le premier. Le baptême annonce le don gratuit de la grâce et l’espérance que l’enfant, en grandissant, découvre la présence de Dieu auprès de lui et réponde à cette grâce par un acte de Foi. Pour l’adulte, la démarche est assurément différente puisque c’est par un acte de Foi qu’il demande le baptême, après avoir été instruit de la Parole ; il prend donc lui-même l’engagement de se « greffer » sur le tronc que représente le Christ, et de porter le nom de Dieu auprès des hommes.

 

Par Liliane Crété

 

(1) Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre premier et second, Aix en Provence, Editions Kerygma et Farel, II, X, 2
(2) Ibid., II, X, 5
(3) Ibid., IV, XVI, 32.

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