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Don, offrande, dîme…
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L’Église est financée par les dons. Y a-t-il une manière de calculer ce que devrait être, pour chacun, une juste participation ?
La première possibilité qui vienne à l’esprit est celle de la dîme, car elle constitue un commandement de l’Ancien Testament, que l’on met en pratique dans certaines Églises. Lorsqu’on interroge l’histoire, on s’aperçoit qu’au temps de Calvin, la situation était très différente de la nôtre. Doit-on s’inspirer de son usage de la Loi pour recourir au principe de la dîme? Vaut-il mieux aller dans le sens de Paul, qui fait appel au discernement et à la responsabilité de chacun ?
Le mot dîme vient du latin decimus (dixième). Il traduit l’hébreu qui a le même sens. Le principe en est posé en conclusion du Lévitique (Lv 27, 30) : le dixième du produit de la terre « appartient au Seigneur ». Plus largement, il faut comprendre que l’ensemble du fruit du travail des hommes est soumis à l’obligation d’en réserver le dixième à Dieu. Ce n’est pas laissé à la libre appréciation de chacun, on ne situe pas dans le registre du don. Réserver la dîme est une obligation religieuse, un signe d’appartenance, au même titre que le respect du sabbat, par exemple.
Le Deutéronome mentionne plusieurs fois la dîme. Dt 26, 12 en précise les bénéficiaires : le lévite, l’immigré, la veuve et l’orphelin.
Il s’agit, d’une part, d’assurer le service du culte, en entretenant ceux qui en ont la charge, les lévites. En contrepartie, ceux-ci se voient interdire de posséder des biens immobiliers.
Il s’agit, d’autre part, de pratiquer la justice sociale, pour que l’immigré, la veuve et l’orphelin, qui sont les figures de la misère et de la dépendance, puissent non seulement survivre, mais « être rassasiés ». On peut voir, par cette dernière précision, que, dans l’esprit du moins, il n’en va pas de faire l’aumône de quelques piécettes mais de pratiquer une véritable redistribution des richesses. C’est la solidarité d’une société qui est pensée par le principe de la dîme.
Il serait illusoire, toutefois, d’imaginer que tout fonctionne au mieux ! Dans 1 Samuel 8, 15, le prophète signale qu’avec l’établissement de la royauté, il reviendra au roi de prélever la dîme, avec les risques d’excès et de détournement que cela comporte. La tradition prophétique contient de nombreuses dénonciations de la captation abusive de la richesse par le roi et sa cour, et de l’injustice sociale qui prévaut en Israël…
Le Nouveau Testament ne mentionne presque pas la dîme, sinon pour tourner en dérision les pharisiens, qui, selon Jésus, se perdent en calcul de la dîme des herbes aromatiques et négligent l’essentiel (Luc 11, 42). Le paiement de la dîme en devient même le symbole de l’arrogance spirituelle de celui qui se présente devant Dieu comme un juste qui n’aurait pas besoin de sa grâce (Luc 18, 12).
Trouvera-t-on chez Calvin quelque lumière pour notre pratique de l’offrande et du don ? Dans les régions et les villes qui passèrent à la Réforme au 16e siècle, comme ce fut le cas à Genève, les autorités civiles en profitèrent pour prendre possession des biens (considérables) de l’Église. De ce fait, en contrepartie, elles assuraient l’entretien des bâtiments ecclésiaux et rétribuaient les pasteurs. On ne trouve donc pas, chez Calvin, de réflexion sur un mode de financement de l’Église par les dons de ses membres. En revanche, pour lui, la richesse crée une obligation de solidarité : il appartient aux riches de donner du travail à ceux qui n’en ont pas, ou de pratiquer l’aumône en soutenant (librement ou de manière contrainte) les ouvres sociales – ouvres dont les autorités civiles, à Genève, n’ont pas voulu laisser la gestion à l’Église.
On comprend dès lors que le régime de séparation des Églises et de l’État, qui prévaut pour nous depuis 1905, crée une situation non comparable : l’absence de financement public nous place devant la nécessité de subvenir aux besoins de l’Église par le mode du don. C’est un régime légal et non une obligation religieuse. Pour autant, nous lui donnons une valeur positive et spirituelle. C’est notre privilège de contribuer, par nos dons, à l’annonce de la Parole dans notre quartier.
Combien faut-il donner ? Si l’on tient à conserver l’idée de dîme, ce sera dans la perspective de Calvin, qui considère que la Loi de l’Ancien Testament guide le croyant dans sa vie quotidienne : non pas comme une obligation religieuse – c’est par seule grâce que nous sommes enfants de Dieu – mais comme une manière de vivre de cette grâce et de l’inscrire concrètement dans nos actes. La dîme constitue alors un ordre de grandeur, une indication que certains essaient de suivre.
Mais on peut aussi considérer que la Loi est caduque, et faire appel, à la suite de Paul, au discernement de chacun. Est-ce une manière voilée de donner moins qu’un dixième de ses revenus, proportion que d’aucuns, sans le dire ouvertement, jugent excessive ?
L’offrande est pour l’apôtre Paul un geste volontaire de responsabilité : librement, les croyants choisissent de donner pour permettre à l’apôtre et à ceux qui ont la charge d’annoncer la Parole, d’assurer leur mission. Généreusement, mais sans se mettre soi-même dans la difficulté, chacun peut contribuer à l’offrande pour Jérusalem (2 Corinthiens 8 et 9), qui est à la fois un acte de solidarité et un signe d’unité : cultiver, par le don, la conscience d’appartenir à un même Seigneur, le Christ, et à un même corps, l’Église.
Fondamentalement, l’offrande est un acte de reconnaissance, ce qui permet à Paul d’affirmer, et à l’officiant de rappeler, lors du culte, que « Dieu aime le don joyeux. »
L’offrande a sa place dans le culte car elle est un signe de reconnaissance de la grâce reçue. Cette grâce est annoncée dès l’ouverture du culte, elle est rappelée après la prière de repentance, elle est proclamée dans la prédication. En réponse à cette foi, les croyants font offrande de leur foi, de leur prière et de leur argent. C’est pourquoi la confession de foi, l’offrande et la prière d’intercession se situent après la prédication. A l’origine, pense-t-on, on recueillait ce que les croyants assemblés avaient apporté avec eux, nourriture, vêtement, argent, pour le mettre en commun, au moment de la Cène, et le redistribuer ensuite en faveur des plus démunis.
Alors, combien faut-il donner ? En bonne tradition protestante, chacun est renvoyé à sa propre responsabilité. Qu’est-ce qui est juste ? Certes, on ne saurait calculer à la hauteur de ce que l’on a reçu, le don gratuit de l’amour divin. En revanche, l’offrande exprime notre reconnaissance et notre désir de contribuer à faire retentir la Parole de grâce qui nous redresse et nous fait vivre.
Par le Pasteur Nicolas Cochand