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Remarques introductives
Le thème de cette conférence est : les protestants et l’évangélisation et son sous-thème, le sujet du jour, est : Quand l’esclavage devient un « empêchement » pour la mission. L’anti-esclavagisme chrétien au XVIII-XIXe siècle. Le thème de l’évangélisation est fort vaste et je suppose qu’avec le professeur André ENCREVÉ qui vous a parlé la dernière fois des ouvres protestantes, vous avez déjà largement abordé ce thème de l’évangélisation. En effet, au XIXe siècle, dans le cadre du Réveil religieux, l’évangélisation était au cour du projet des ouvres protestantes que celles-ci soient éducatives, sociales ou sanitaires et a fortiori quand elles étaient centrées sur la diffusion de la bible en France ou sur la mission à l’extérieur. La lute contre l’esclavage au XIXe siècle a aussi été liée à l’évangélisation dans le cadre de nombreuses sociétés d’émancipation et d’abolition de l’esclavage dans le monde et en France dont je vous parlerai dans un instant.
Les anti-esclavagistes auxquels nous allons nous intéresser se disaient chrétiens et se référaient, pour fonder leur combat, à quelques textes bibliques connus qui parlent de la condition d’esclave au regard de l’identité chrétienne. Nous allons donc interroger la manière dont ces anti-esclavagistes ont reçu, relu et interprété ces textes bibliques et les ont fait fonctionner dans un contexte fort différent de celui de l’Antiquité biblique, celui de la Traite des Noirs en Afrique et de l’esclavage dans le Nouveau Monde de l’époque moderne à l’époque contemporaine, c’est-à-dire entre 1500 et 1850 environ.
Mais avant de vous présenter la relecture de ces textes bibliques notamment par un célèbre abolitonniste de la fn du XVIIIe siècle, le pasteur Benjamin-Sigismond FROSSARD, je vais m’intéresser – et vous intéresser je l’espère – au temps où non seulement l’esclavagisme existait, mais où les chrétens le soutenaient voire l’encourageaient avant – mais beaucoup plus tard – de le combatre. Ce sera précisément au moment où ces chrétens se rendront compte du fait que maintenir en esclavage des personnes et des peuples enters auxquels on voulaient annoncer l’évangile entrait en contradicton avec le message l’évangile, qu’ils entreprendront simultanément l’aboliton de l’esclavage et envisageront l’évangélisaton des libérés. Mais ce sera une prise de conscience tardive, nous allons voir pourquoi.
Le temps où les chrétiens étaient des esclavagistes
Quelques définitions : traite atlantique – trafic triangulaire
L’esclavage dont je vais vous parler est ce système mis en place à la fin du XVe siècle par les nations coloniales de l’époque, l’Espagne et le Portugal, puis après leur déclin maritime à la fin du XVIe siècle, la France, la Hollande et la Grande-Bretagne qui, entreront à leur tour dans la compétition coloniale au début du XVIIe siècle. On nomme ce système « traite atlantique » ou « traffic triangulaire », parce les nations occidentales ont organisé la déportation de Noirs d’Afrique ponctionnés sur les côtes de l’ouest du continent pour les faire travailler dans les colonies sucrières des Antilles, des Caraïbes, du Brésil et du nord du continent américain. Le commerce du sucre, sorte de « pétrole blanc » de l’époque, rapportait gros aux Métropoles qui utilisaient une parte de ces revenus pour relancer le commerce des hommes en contrepartie d’armes et de produits de pacotilles échangés avec les rabatteurs africains des esclaves (cf. document : différentes formes de traite). Sur le schéma que je vous montre il est question de deux autres traites, trans-saharienne et orientale, sur lesquelles nous n’aurons pas le temps de nous arrêter. Ce schéma montre seulement que le phénomène de traite n’est pas propre aux nations occidentales, mais également pratiqué en Afrique et par des pays orientaux.
L’ouverture du « Nouveau Monde »
La première chose qu’il faut savoir c’est que constituant un mouvement commercial intercontinental, le traffic triangulaire trouvait ses raisons dans le continent qui l’entreprenait à savoir l’Europe. Je rappelle quelques dates : en 1453 c’est la fin de la Guerre de cent ans en Europe mais aussi la prise de Constantinople par les Turcs. Ce fait rend l’accès de l’Europe aux produits orientaux plus difficile. Les Européens, par l’entremise du Portugal et de l’Espagne, mais également des marchands gênois et flamands, entreprennent alors d’aller chercher ce type de produits sur les côtes africaines. Au cours de ces voyages, le sud de l’Afrique est atteint en 1488 par le navigateur portugais Barthélemy DIAS ; la route des Indes était ainsi ouverte au commerce. De ces premiers contacts naît alors en Europe l’idée d’une conquête du « Nouveau Monde » par la chrétienté occidentale, conquête qui serait une réactualisation de l’esprit des Croisades. En effet, il s’agit de contourner l’islam et de prévenir d’éventuelles velléités conquérantes des nations du nord influencées par les idées de la Réforme protestante. La papauté accorde alors aux rois catholiques d’Espagne et du Portugal le droit de propriété sur les terres découvertes en Afrique et le pouvoir de les administrer à la fois politiquement et ecclésiastiquemment selon des accords dit de « patronat ». Un mouvement de conquête du monde, légitimé par la papauté est ainsi lancé. En 1492 l’Amérique est découverte par Christophe Colomb, l’année même où l’espagnol Rodrigo BORGIA devient pape sous le nom d’Alexandre VI, un personnage connu pour ses intrigues, et qui sera l’auteur de quatre bulles par lesquelles il justifie la Reconquista. La suite est connue, les conquistadores d’esprit plus militaire que missionnaire exploitent les Indiens leur soutirant leurs denrées exotiques, leurs métaux précieux, leur bois. Il s’agit d’une économie de traite au seul profit de la métropole qui établit son monopole sur sa colonie. Aucune activité commerciale n’est organisée en faveur des autochtones utilisés comme main d’ouvre servile dans les mines, les plantations, les exploitations forestières, ni non plus en faveur d’autres nations vues comme des adversaires aux plans politique et économique. C’est le système économique dit du mercantiliste et politique de l’exclusive qui est mis en ouvre et qui conduit tout droit à l’extinction des Indiens, mourant de maladie, d’exploitation, de répression, de désespoir.
Les débuts de la Traite des Noirs
Devant ce désastre, les conquistadores demandent à la métropole qu’on leur fournisse une main d’ouvre réputée plus solide, et ils pensent aux Africains, conseillés d’ailleurs en cela par Bartholomé de las Casas, missionnaire dominicain protecteur des Indiens mais alors inconscient des conséquences de sa proposition pour les Africains 1 . C’est ainsi que commence la Traite des Noirs. Par l’entremise de société maritimes commerciales sous licence avec les États (assiento) commence la plus vaste entreprise du monde de déportation d’une population d’un continent à l’autre ; elle aurait concerné, selon les statistique les plus vraisemblables près de 12 millions de personnes. Au début du XVIe siècle la France, tout d’abord, puis la Grande-Bretagne et la Hollande, dont les compagnies privées commercent largement entre les côtes d’Afrique et d’Amérique, contestent le monopole des nations ibériques sur mer et dans les colonies. Au terme de cent ans de confits, le traité d’Utrecht en 1715 renverse l’ancien ordre du monde et consacre la suprématie des nations d’Europe du Nord sur mer. Or ces nations, Grande-Bretagne et Hollande notamment, étaient passées à la Réforme, mais ce changement religieux ne devait pas, au XVIe siècle, modifier le système de la traite. Les armateurs français des grands ports de la Rochelle, Nantes, Rouen, le Havre, passés à la Réforme s’engagent dans le traffic triangulaire comme leurs homologues catholiques.
Positons de l’Église catholique
Est-ce à dire que les Églises cautionnent le système ? C’est le pape Pie II qui, le premier en 1462, qualifie l’esclavage des Indiens de magnum scelus (crime énorme) et la première positon officielle de l’Église catholique que l’on connaisse sur la question de l’esclavage est celle du pape Paul III à travers sa bulle Sublimis Deus de 1537. L’historien béninois Alphonse QUÉNUM estime que même si ce texte est la première prise de positon anti-esclavagiste de l’Église catholique, même si elle élargit le problème à d’autres peuples que les Indiens, elle ne sera pas réactualisée au moment de la traite des Noirs et la papauté n’en dira plus rien jusqu’au XIXe siècle. Quant aux théologiens catholiques de ce siècle, dont QUÉNUM étudie les prises de positon, il en conclut qu’ils se contentent de reconduire une interprétaton traditonnelle des chapitres 9 et 10 du livre de la Genèse sur le peuplement du monde après le Déluge, par les trois fils de Noé, Sem, Japhet et Cham, père de Canaan. Selon le chap. 9, Cham a découvert son père nu et, de ce fait, a eu sa descendance maudite. Nous reparlerons du sort que les anti-esclavagiste feront à cette interprétation.
Attitudes des protestants
Qu’en est-il des protestants ? Quand sonne l’heure de la Réforme au début du XVIe siècle, la traite atlantique n’en est qu’à ses débuts. Tant qu’aucun des princes européens n’est rallié à la Réforme, les nations protestantes ne se trouvent pas mêlées à cette traite. Pour les réformateurs, Luther et Calvin, les procédés qu’utilise la mission catholique alliée à la puissance publique par le système des Patronats pour convertir les païens, est blasphématoire. C’est en des termes théologiques et non politiques que les réformateurs jugent la conquête des Amériques, car en vertu de la doctrine des deux règnes de Luther et de la prédestination de Calvin, forcer des païens à entrer dans le giron de l’Eglise est une insulte au pouvoir souverain de Dieu qui, seul, peut ouvrir « les portes » du cour de l’homme et, a fortiori, celles d’un territoire. Quant aux procédés violents des conquistadores, ils sont implicitement condamnés par les réformateurs et le seront par les protestants venus aux Amériques au XVI-XVIIe siècle.
L’historien Franck LESTRINGANT à montré que c’est à la suite des tentatives de colonisation et de mission des calvinistes aux Amériques dès le XVIe siècle, toutes brisées par les colonisateurs ibériques qu’un éditeur protestant (Jacques DE LA MIGGRODE) fera connaître à l’Europe la « légende noire » anti-espagnole en traduisant en 1579 la fameuse Très Brève Relation de la destruction des Indes de Las Casas.
Si l’on peut imaginer que les dispositions d’esprit des réformateurs contre la stratégie de conversion des catholiques auraient pu les conduits à une prise de positon contre la Traite des Noirs, force et de constater que les Églises protestantes d’Europe ne se sont que rarement exprimées sur la question. L’historien Robert Blanc qui a dépouillé les actes des synodes des Églises réformée de France n’a trouvé qu’une déclaration du Synode national d’Alençon en 1637 (cf. document6 ). Elle est cependant éclairante : elle montre que ce qui est mis en question par le Synode n’est pas l’esclavage (considéré comme un droit non contraire à la parole de Dieu), ni même la Traite, mais le mauvais traitement des esclaves par les marchands, esclaves qu’ils considèrent comme leur bien ou leur bétail ; est mis également en question par le synode le fait de remettre les esclaves dits « infidèles » à des Barbares – ce qui laisse supposer que des négriers protestants commerçaient dans d’autres zones que l’Atlantique – et non à des « chrétiens débonnaires » susceptibles de les instruire dans la religion chrétienne.
Quand donc la traite se développe plus puissamment au XVIIe siècle, au moment où les natons d’Europe du Nord ralliées à la Réforme (Pays-Bas, Grande-Bretagne) se lancent dans la course maritme et dans le trafc triangulaire, rien ne change quant à l’attude du christanisme vis-à-vis de la traite et de l’esclavage. Le succès des entreprises commerciales étant, dans l’éthique protestante, une source de bénédiction, on convient seulement qu’il faut rappeler, aux « marchands » qui se reconnaissent comme « fidèles » leur devoir moral de traiter convenablement leurs esclaves et de les catéchiser. Étant lui-même une manifestation de la condition humaine pécheresse, l’esclavage était donc un « lieu » où la grâce de Dieu pouvait s’exercer librement. Il était dès lors possible d’envisager aussi la conversion des esclaves au christianisme réformé sans toucher à leur statut d’esclave, tout au plus est-il question d’améliorer leur condition.
Le Code Noir de 1685
Un autre paramètre de la Traite doit être évoqué, c’est le Code Noir conçu par Colbert et promulgué en 1685 par Louis XIV qui est l’extension d’un Édit de 1615 pour la seule Louisiane. Si la traite est une vaste entreprise internationale, elle suppose une concurrence commerciale et maritime féroce entre les nations, mais elle véhicule aussi la concurrence confessionnelle entre protestants et catholiques qui fait rage en Europe. Ce n’est pas un hasard si, c’est en 1685, l’année de la Révocation de l’Édit de Nantes qu’est édicté par Colbert, grand organisateur du commerce maritime de la France, le nouveau Code Noir : il peut, sous certains aspects, apparaître comme une manière de régulariser la situation des esclaves. Inspiré par le clergé catholique, il tente en effet de donner à l’esclave des droits notamment celui de se marier librement, de fonder une famille, laquelle ne pouvait pas être défaite par la vente séparée de l’un de ses membres, etc. Mais en fait, la condition de l’esclave ne changeait pas, il obtenait un statut, celui de « bien meuble », c’est-à-dire de propriété de son maître, ne pouvant être vendu que sous certaines conditions (article 44). Mais le Code noir compte aussi plusieurs artcles, les premiers d’ailleurs, ce qui est hautement symbolique, sur l’interdiction faite aux esclaves d’exercer une autre religion que « la catholique apostolique et romaine » et sur la défense faite aux sujets français de « la religion prétendue réformée » de gêner cette pratique, autrement dit d’essayer d’instruire leurs esclaves dans la foi protestante.
Ainsi les guerres des religions en France devaient avoir, entre autres conséquences, de maintenir et de pérenniser la traite et l’esclavage, et d’empêcher que n’émerge au sein du christianisme une conscience anti-esclavagiste.
Enjeux de la lutte contre l’esclavage au début du XIXe siècle
La voie abolitionniste
Au début du XIXe siècle la société occidentale demeure donc esclavagiste. Hormis la Grande-Bretagne dont le Parlement vote, d’abord en 1807, l’abolition de la Traite des Noirs et, en 1833, l’abolition de l’esclavage, les autres États organisateurs de la Traite atlantique, ne s’engagent véritablement dans la voie abolitionniste qu’à partr du Congrès de Vienne (1815) et ne décident de l’interdire qu’au milieu du siècle : 1848 en France, 1856 au Portugal, 1865 aux Pays-Bas et aux USA, 1888 au Brésil. Si la Grande-Bretagne est devenue la championne de la lute contre l’esclavage, c’est grâce à la naissance vers la fn du XVIIIe siècle d’une opinion abolitionniste animée par des protestants : le réformateur John WESLEY fondateur du méthodisme, son disciple le député William WILBERFORCE et le philanthrope quaker Thomas CLARKSON fondateur de la première Société anti-esclavagiste d’Europe en 1787, l’Anti Trade Slavery Society.
Remplacer « l’infâme négoce » de la traite par le « commerce légitime »
Mais les idées de ces personnalités protestantes ne sont pas tombées du ciel. Elles s’expriment à partir du pays le plus industrialisé du monde de l’époque, la Grande-Bretagne dont l’empire colonial s’était constitué notamment aux dépens de celui de la France après la Guerre de Sept ans. Alors qu’en France le régime politique de l’exclusive et le système économique mercantiliste qui rendent la colonie dépendante de la métropole prévaut encore, que l’esclavage est rétabli par Napoléon en 1802 dans les colonies sucrières des Antilles après l’éphémère abolition de 1794 et les révoltes des esclaves des Antilles, en Grande-Bretagne, juristes, économistes et théologiens jettent les bases théoriques et pratiques de la colonisation contemporaine qui va remplacer le système esclavagiste. Il s’agit d’établir avec l’Afrique saignée par la Traite depuis trois siècles, des relatons basées non plus sur « l’infâme négoce » de la personne humaine, indigne sur le plan moral et absurde sur le plan économique, mais sur le « commerce légitime » permettant aux Africains de travailler et de produire dans leur pays et de commercer avec les autres continents, l’Europe particulièrement, à la recherche de matières premières et de débouchés pour ses produits et ses hommes. Nous voyons donc les Britanniques poser le problème de l’abolition de l’esclavage en termes de relatons internationales plus justes et plus intéressantes aussi pour l’Afrique comme pour l’Europe. L’un des théoriciens de la question est Fowel BUXTON, disciple de WILBERFORCE et auteur d’un livre traduit en français en 1840 sous le titre : De la traite des esclaves en Afrique et des moyens d’y remédier. Commerce, civilisation, christianisme, deviennent les piliers d’une doctrine coloniale nouvelle, exposée avant 1850, alors que les États nations européens ne s’étaient pas encore lancés dans la conquête territoriale proprement dite. Commerce, civilisation, christianisme relevaient de la responsabilité respective des Maisons de commerce liées aux armateurs des grandes villes portuaires, des explorateurs soutenus par les Sociétés de géographie, et des missionnaires soutenus par les Sociétés de mission.
La doctrine des « 3 C » : Commerce, Civilisation, Christianisme
Ce sont les mêmes nations christianisées qui ont jadis initié la colonisation esclavagiste qui entendent désormais sortir de l’esclavage et promouvoir un nouvelle colonisation. La mutation qu’elles opèrent en substituant à l’ »infâme négoce » le « commerce légitime », va se traduire en termes politiques, éthiques et théologiques tous interprétables à l’aune idéologique des Lumières :
• En termes politiques, c’est l’idéologie des droits de l’homme qui est à la base de la lute contre l’esclavage. Pour abolir l’esclavage il faut pouvoir affirmer que tous les hommes sont libres et égaux et frères en droit, idéologie qui promeut la personne singulière indépendamment de son appartenance ethnique, personne appelée un jour à devenir citoyenne dans le corps politique.
• En termes éthiques, c’est l’idéologie civilisationnelle qui permet de soutenir l’idée révolutionnaire que les autres « races » (on dirait aujourd’hui les autres peuples) sont civilisables, alors qu’on doutait jusque-là, c’est-à-dire qu’elles peuvent recevoir les bienfaits de la civilisation que l’Occident eut certes le privilège de découvrir avant elles, mais qu’elles peuvent désormais partager. C’est ce motf qui se traduira dans l’ouvre éducatve et sanitaire, de la colonisaton contemporaine.
• En termes théologiques, c’est l’idéologie revivaliste qui permet de raviver devant le monde la conviction chrétienne que le Dieu de Jésus-Christ aime tous les hommes, qu’il veut tous les sauver, pas seulement les siens donc, mais également les païens qui ignorent qu’ils sont aimés de Dieu et qu’ils peuvent être sauvés par le Christ, païens qui sont donc évangélisables, auxquels il faut, de toute urgence, aller annoncer cette bonne nouvelle. Vous avez là, résumé, tout le motf de la mission contemporaine qui va déclencher un mouvement mondial d’évangélisaton sans précédent.
Défense des droits de l’homme, extension de la civilisation et déploiement de la mission sont donc liés au point que, pour les missionnaires, fils des Lumières du XVIIIe siècle et du revivalisme du XIXe siècle , il y a comme un empêchement de commencer leur ouvre si l’esclavage demeure ce qu’il est, c’est-à-dire un déni de la personne humaine. L’idée de réparation des crimes de l’Occident chrétien est très présente dans cette volonté de pouvoir annoncer conjointement l’amour de Dieu pour tous les hommes et la rupture de leurs chaînes humaines. Pour ce faire il faut évidemment radicaliser l’horreur de l’esclavage afn d’en montrer l’incompatibilité avec le christianisme et luter contre les arguments esclavagistes implicites ou explicites. Une division du travail va s’opérer tant dans l’opinion européenne que sur le terrain afro-américain entre philanthropes anti-esclavagistes qui font de la propagande anti-esclavagiste, participent au désarmement des bateaux négriers, annoncent la promulgation des lois d’affranchissement et les missionnaires qui annoncent l’Évangile. Le matériel de la propagande anti-esclavagiste le montre avec éloquence (cf. document matériel de propagande anti-esclavagiste). Mais il arrive que les actions des philanthropes et des missionnaires soient conjointes à une époque où les velléités de conquêtes de l’Occident sur les terres des esclaves libérés ne sont encore ni affirmées, ni a fortiori mises en ouvre, ce qui permet aux missionnaires de ne pas craindre de se compromettre en politique. Nous sommes dans la période précoloniale du premier XIXe siècle.
Les arguments biblico-théologiques de Benjamin-Sigismond FROSSARD
Coup d’oeil sur la littérature chrétienne abolitionniste
Nous allons maintenant nous intéresser à l’argumentaire biblico-théologique de la lute contre l’esclavage au cours de la première moitié du XIXe siècle. Ce sont les protestants anglo-saxons qui sont les pionniers de cet argumentaire, car ce sont eux qui introduisent les idées abolitonnistes sur le contnent européen. La Société des « Amis des Noirs » fondée en 1788 est bien la copie conforme de l’Anti Trade Slavery Society de Londres et toutes les sociétés successives fondées (La « Société de la Morale chrétienne » en 1822, la « Société française pour l’abolition de l’esclavage » en 1834), ont des liens solides avec Londres. Ces Sociétés étaient animées par des protestants et quelques catholiques dont le plus connu étant l’Abbé Grégoire, prêtre constitutionnel rejeté par sa hiérarchie. Les abolitonnistes chrétiens français de la première heure sont aussi des protestants et, parmi eux le pasteur Benjamin Sigismond FROSSARD, auteur en 1789 de La cause des esclaves nègres et des habitants de la Guinée portées au Tribunal de la Justice, de la Religion, de la Politique ; ou Histoire de la Traite et de l’esclavage des Nègres ; Preuves de leur illégitimité ; Moyens de les abolir sans nuire ni aux colonies ni aux colons, un livre en deux tomes soit 770 pages, dont nous avons la chance d’avoir une réimpression de l’édition originale par l’éditeur SLATKINE de Genève en 1978 12. En 1809, FROSSARD deviendra le premier doyen de la Faculté de théologie protestante de Montauban recrée par décision de l’empereur. Mais c’est n’est pas à cette période de l’existence fort longue et fort diverse de FROSSARD que je vais m’intéresser mais au chapitre II du 2e tome de La cause des esclaves nègres intitulée : « L’esclavage des nègres est contraire à tous les préceptes de la religion chrétienne ».
Relecture du mythe de Cham (Gen. 9-10)
Dans son livre, comme il se doit, FROSSARD repart de l’interprétaton traditonnelle du récit des fls de Noé, Sem, Cham et Japhet du chap. 9 de la Genèse selon laquelle la descendance de Cham a été maudite du fait qu’il a vu son père nu. Comme la table des peuples du chap. 10 atribue Miçraim (l’Égypte), Pouth (la Lybie) et Kousch (l’Ethiopie) aux fls de Cham, l’interprétaton traditonnelle de ces textes en a déduit que Cham était noir et qu’ayant été maudit, tous les Noirs l’étaient aussi. FROSSARD tente de repousser cete interprétaton qu’il juge « spécieuse pour ceux qui, selon lui, ne sont point versés dans l’histoire primitve des natons » (p. 84). Cependant, il ne fonde sa positon ni sur l’exégèse de ce texte ni sur l’histoire de sa réception : trois arguments sont avancés pour repousser l’interprétation esclavagiste de ce texte :
• pour Dieu, selon FROSSARD, « le crime le plus abominable est l’idolâtrie » (p. 84) et ce crime n’a été puni, dans l’Israël ancien, que d’une peine courant sur trois générations (Sans doute FROSSARD fait-il allusion au texte de Gen 15 où Dieu dit à Abram que la 4e génération de sa descendance reviendra en Canaan à cause de l’iniquité des Amorites, mais il ne cite pas ce texte). FROSSARD ne voit donc pas pourquoi Dieu aurait puni certains hommes (les Africains) jusqu’à la génération actuelle à cause de la seule impiété de Cham envers son père ;
• si l’exclusion regardait les Africains, pourquoi ne se serait-elle exécutée que depuis trois siècles puisque la traite n’a débuté qu’au début du XVIe siècle ? (p.85).
• FROSSARD ne manque pas de relever que, dans le texte c’est Canaan, le seul des quatre fils de Cham qui est maudit, alors que c’est le seul qui, selon la table des peuples, ne reçoit pas de territoire en Afrique. La malédiction de Canaan ne peut donc s’étendre à l’Afrique.
Cette argumentation est difficilement utilisable aujourd’hui. Mais la conclusion de FROSSARD est intéressante : l’annonce du châtiment de Canaan n’est pas autre chose, selon lui, qu’une prédiction de la victoire des Israélites sur les Cananéens, explication qui replace cet épisode dans le contexte du destin du peuple israélite duquel il n’aurait jamais du être sort.
Dans l’histoire de la réception de ce texte de la Genèse, l’interprétation de FROSSARD nous indique à quel point la croyance en la malédiction des Noirs – qui est la clef de voute de l’esclavage – était encore répandue au XVIIIe siècle. L’argument a mis beaucoup de temps pour tomber en désuétude. En 1930 encore, le professeur Raoul Allier écrivait une petite brochure à succès intitulée : Une énigme troublante. La race nègre et la malédiction de Cham dans laquelle il devait encore prendre la peine de souligner que, jamais on ne trouve dans la Bible, ni dans l’Antiquité chrétienne la moindre allusion à une malédiction destinée à poursuivre les Africains 13. Allier indique que c’est au XVIe siècle que cette doctrine a commencé à être formulée au moment où la traite des esclaves démarrait. Il en trouve des traces dans la littérature talmudique, chez certains théologiens, tant catholiques que protestants, déplorant que jusque dans la littérature missionnaire du XIXe siècle on perpétue, en la répétant, cette légende qui pèse comme un destin sur les épaules des Africains.
Relectures d’autres texte de l’Ancien Testament (Gen. 39-47, Lév. 25)
FROSSARD passe encore rapidement en revue quelques textes classiques de l’Ancien Testament où il est question de l’esclavage : la réduction des Égyptiens en servitude par Joseph dans les chap. 39 à 47 de la Genèse et les textes où il est permis aux Juifs d’acheter des esclaves (Ex. 21 – code de l’Alliance) et la manière dont ils doivent les traiter (Lév. 25) (p. 89-94). A ceux qui voudraient se servir de ces textes pour justifier l’esclavage des Africains, FROSSARD répond que l’action de Joseph en Égypte ne consistait pas à réduire le peuple en servitude, mais dans les circonstances économiques difficiles que connaissait l’Égypte, à conforter le pouvoir du Pharaon, ce qui revient à dire que son action fut bénéfique (p. 88). De là, FROSSARD fait quelques considérations intéressantes pour son époque sur l’usage fallacieux des textes bibliques : les règlements politiques fixés aux Israélites ne peuvent être à la base de nos conduites actuelles, elles étaient conformes à l’état moral et spirituel d’un peuple marqué par la captivité mais surtout, dit FROSSARD, au « dessein particulier de la providence à son égard ». Ces dispositions sont donc dépassées, mais « la loi morale dont la vérité est éternelle » n’autorise pas les hommes d’aujourd’hui à ôter des Africains de leur patrie pour les soumettre à des lois injustes pas plus qu’on ne peut se prévaloir des lois de Moïse pour régler la vie conjugale ou la vie sociale dans un contexte différent. Et il ajoute : quelque satisfaisante que soit cette explication, elle devient inutile par les faits car il est faux de dire que les Israélites aient eu des esclaves dans le sens que nous donnons à ce terme. Et citant le fameux extrait du Lévitique 25, 39, où l’esclavage vis-à-vis du frère pauvre n’est pas permis, il voit trois différences entre la servitude autorisée par le Lévitique et l’esclavage tel qu’il parait dans le Code noir de 1685 :
• l’asservi a la liberté de se vendre ou de ne pas se vendre ;
• il a la jouissance du prix de cette vente ;
• c’est un pacte mutuel, libre et volontaire avec un terme.
L’esprit des « hérauts de l’Évangile »
Ensuite FROSSARD passe au Nouveau Testament pour répondre à ceux qui voient dans le fait que Jésus-Christ et ses apôtres n’ont pas formellement condamné la pratique de l’esclavage, une apologie esclavagiste. Or, écrit FROSSARD d’entrée de jeu, si les hérauts de l’Évangile avaient ouvertement prêché contre l’esclavage, ils auraient excité des révoltes et bouleversé la société sans produire des effets utiles. Et FROSSARD d’ajouter, ça serait la même chose si, « emporté d’un zèle fanatique, j’allais dans les colonies prononcer publiquement que l’enlèvement des Nègres et l’esclavage [.] sont des crimes odieux [.] que la révolte est légitime ». Imaginer que les hérauts de l’Évangile auraient pu agir ainsi, c’est selon FROSSARD, totalement méconnaître l’esprit qui les animait : « la douceur, la persuasion, voilà les seuls moyens qu’ils aient employés pour gagner des âmes, et s’ils ont frondé courageusement les vices régnants, ils ne se sont jamais permis de parler des institutions politiques et de semer le discorde ou la révolte dans les pays où ils portaient la lumière et la vérité » (T. II. p.95). Ces moyens sont les seuls susceptibles de combattre à la source les vices qui produisent l’esclavage à savoir l’orgueil, l’intempérance, l’avarice, le vol, le meurtre et toutes les passions qui conduisent à l’oppression et à la tyrannie. On reconnaît là un subtile mélange des armes de l’esprit du justice et de lumière de Saint-Paul avec les vertus politiques de la démocrate, pourquoi pas !
Relecture de la lettre à Philémon
Ce discours prépare la relecture que FROSSARD fait des lettres de Paul, au premier rang desquels la lettre à Philémon. Voici ce qu’il en dit : lorsque Paul renvoie Onésime converti à son contact chez son maître Philémon, c’est à la fois pour qu’il le serve comme auparavant, c’est-à-dire comme esclave, et pour qu’il sollicite sa clémence et son pardon. Pour obtenir l’effet escompté, écrit FROSSARD, « Paul intéresse la charité chrétienne de Philémon » en indiquant qu’il aurait le droit d’exiger (vue son autorité apostolique) mais il se borne à prier. Mais « Paul fait plus, écrit FROSSARD, il se sert d’un motif bien puissant dans l’esprit d’un fidèle. Il conjure Philémon de regarder Onésime non plus comme un esclave, mais comme une personne au-dessus d’un esclave, comme un frère ». Et FROSSARD d’imaginer une supplique à Philémon qu’il vouvoie alors : « Je vous prie au nom du Seigneur, donnez moi cette satisfaction, et que je recueille le fruit de cette conversion » (p. 97-98), puis il conclut : « quelle plus forte preuve que l’esclavage est incompatible avec le christianisme ; qu’on ne peut soumettre un frère à une plus odieuse servitude, ni plier toutes ses volontés à celle d’un maître et obéir en même temps à Dieu » (p. 98). FROSSARD croit-il que Philémon devrait libérer son esclave ? Non, mais il lui demande au moins de changer son regard sur lui au nom de la fraternité chrétienne, car, dans son esprit, ce changement de regard peut subvertir l’ordre social existant et peut amener le maître chrétien devant un choix, celui de renoncer au moins à être un maître odieux.
Relecture d’Éphésiens 6
Ceci conduit FROSSARD à examiner le texte d’Eph 6 dans lequel Paul s’adresse à la fois aux esclaves et aux maîtres. Il y voit une censure plus qu’une apologie de l’esclavage car il ne manque pas de souligner que ce qui est demandé aux esclaves – avec affection et bon cour – est « corrigé » (sic) « de tout ce que cette espèce de servitude pourrait avoir de contraire à l’égalité qui lie tous les hommes » à savoir « les devoirs des maîtres à l’égard de leurs domestiques de ne point les maltraiter et pour les détourner de toute espèce de tyrannie, il leur recommande de ne jamais oublier qu’ils ont aussi bien que leurs serviteurs un maître dans le Ciel qui n’a point d’égard à la condition des personnes » (p. 98). C’est une lecture intéressante qui met en lumière ce qu’un philosophe actuel, Alain Badiou, a désigné comme une technique de Paul de « symétrisation seconde » qui lui permet de « faire passer l’égalitarisme universalisant par la réversibilité d’une règle inégalitaire » 14. Je m’explique : Paul utilise cette technique tant pour les esclaves que pour les femmes et pour les enfants : il y a des règles sociales qui concernent ces trois catégories de personnes. Elles sont inégalitaires, certes, mais on peut les voir comme des règles différentielles car leurs effets inégalitaires sont dé absolutisés à la fois par les contreparties qu’elles posent à chacun et par l’appartenance de tous à un maître commun, symboliquement situé, dans le ciel, c’est-à-dire au dessus de tous et qui ne fait accepton de personne. Pour FROSSARD, dans le contexte où il lit ce texte, cete symétrisaton esclave/maître conteste bien plus la positon du maître que celle de l’esclave. L’un a beaucoup à perdre et l’autre a beaucoup à gagner et cela peut être porteur de changement social car si l’esclavage abrutti l’esclave, il corrompt le maître. À terme, l’esclavage est une mauvaise affaire pour tout le monde.
Relecture de 1 Cor 7
C’est pourquoi FROSSARD relit, pour fnir, le texte de I Co 7, 21 où Paul recommande aux esclaves de metre à proft leur conditon d’esclave pour montrer que lorsque Dieu appelle tous les hommes à la liberté, il ne convient pas nécessairement de changer de conditon après avoir répondu à l’appel de Dieu. FROSSARD interprète ce précepte d’obéissance et de soumission dans une perspectve éthique et eschatologique. « Il a pour but, écrit FROSSARD, d’éloigner de l’esprit de l’esclave toute idée de révolte, et de les inviter à se contenter de leur sort actuel, jusqu’à ce que l’Évangile ayant fait de plus grands progrès dans le monde rompe enfn leur chaînes » (p. 99). FROSSARD nourrit donc bien l’espoir qu’un jour ou l’autre la nouvelle identité de frère en Christ modifiera l’ancienne identité d’esclave. Si celle-ci est encore supportable dans l’Antiquité selon FROSSARD, il n’en va pas de même selon lui, de celle de l’esclave africain.
Conclusion
Je voudrais terminer sur une dernière citation de FROSSARD pour faire retour sur le contexte dans lequel il reçoit ses textes et les interprète : Il y avait, en 1789 deux écoles d’abolition de l’esclavage, la « radicale » et la « progressive », on dirait aujourd’hui la révolutionnaire et la réformiste. FROSSARD se situe dans la seconde perspective : celle qui propose une abolition graduelle de l’esclavage qui commence par l’abolition de la Traite sur les lieux-mêmes du drame et se poursuit par l’extinction progressive du servage dans les colonies. En tarissant la source de l’esclavage, il veut modifier le système économique qui le soutient et proposer une alternative à l’esclavage. FROSSARD exprime là une conception de l’abolition de l’esclavage qui a plus d’un siècle d’avance car elle décrit un type de colonisation de l’Afrique qui va instaurer une alternative à l’esclavage quand celui-ci sera aboli par les Parlements européens, mais seulement au milieu du XIXe siècle : « Les contrées d’Afrique, jusqu’ici le théâtre de notre barbarie plutôt que de notre industrie, écrit-il, pourraient devenir la source d’une honorable richesse pour la nation européenne qui aurait l’art de mériter la confiance des habitants par sa douceur, son humanité, sa bonne foi Il n’est nulle culture précieuse sur la surface du globe, dont elles ne soient susceptible. Celles qui sont marécageuses, seraient bientôt saignées par la main de l’agriculteur. Le sucre, le café, l’indigo, y croîtront aussi bien que dans les îles de l’Amérique. Les Nègres prêteront leurs bras, sans qu’il fût nécessaire de les asservir. Plus près de la mère-patrie, délivrés des frais énormes de l’achat des esclaves et des dangers de la longue navigation, les Européens y formeraient des établissements, pourraient fournir des denrées à un prix très modéré et s’enrichir par leur culture. Puisse cette heureuse révolution arriver bientôt pour venger l’Afrique de toutes les injustices des habitants des îles ». (T I. p. 190-191)
Cette voie est celle que va suivre la Grande-Bretagne qui abolira la Traite en 1807 comme je l’ai déjà rappelé avant d’être la première à abolir l’esclavage en 1833 au Parlement. C’est aussi la première nation à avoir pu envoyer des missionnaires dans le monde. La London Missionary Society a été fondée en 1795, soit deux ans avant l’Anti Trade Slavery Society et la première action anti-esclavagiste et missionnaire commune de ces deux sociétés est d’avoir créé en 1797 la Sierra Leone où ont été rapatriés de esclaves libérés en Grande-Bretagne puis des esclaves libérés des bateaux de négriers désarmés.
La France avait choisi l’autre voie, la voie radicale et révolutionnaire qui consiste à décréter l’esclavage aboli avant de détruire la Traite. L’esclavage fut aboli une première fois dans les colonies des Antilles dans des conditions anarchiques suite au décret d’abolition promulgué par l’Assemblée nationale en 1794. Ce décret voté dans l’enthousiasme révolutionnaire mais sans les mesures transitoires, tant vis-à-vis des colons qui perdaient leur main d’ouvre servile que des esclaves qui étaient jetés à la rue, provoqua l’embrasement des colonies des Antilles de sorte qu’en 1802 Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage. Il fallut attendre 1848 pour que l’esclavage soit définitivement aboli en France. Le 12 décembre 1792, FROSSARD présentait pourtant à la Convention une longue Adresse sur l’abolition de la traite des Nègres dans laquelle il reprenait les arguments de son livre en faveur de l’abolition graduelle de l’esclavage. Il ne fut pas suivi, trop influencé au goût des députés par les idées anglaises et protestantes. Anglaises, en ce qu’elles étaient pragmatiques et réussissaient à cette nation qui entra un demi-siècle avant la France dans la nouvelle colonisation, une avance qui peut sans doute expliquer encore la situation différence actuelle de nos deux pays dans le monde. Quant à savoir si les idées de FROSSARD étaient protestantes, sans doute l’étaient-elles car l’argumentaire biblico-théologique était très présent dans son livre alors qu’en France les abolitionnistes ne maniaient pas les idées religieuses mais seulement les idées philosophiques. FROSSARD était à la fois un calviniste formé à Genève et Lausanne et un homme des Lumières tenant du droit naturel pour lequel la révélation chrétienne vient sanctionner, renouveler, perfectionner la loi naturelle. Étant à l’époque un républicain réformiste, il avait su temporiser vis-à-vis de la thèse radicale de la libération inconditionnelle de l’esclavage, mais il était fondamentalement préoccupé de montrer en quoi la nouvelle identité de frère dans la foi chrétienne de l’esclave devait tôt ou tard le faire accéder à celle de frère dans le droit humain. Une fois cette démonstration administrée, il restait aux Sociétés missionnaires à entrer en action, pour annoncer que l’amour de Dieu en Christ pour tous les humains était désormais offert aux Africains, que cet amour ne pouvait plus les maintenir dans les chaînes de l’esclavage, signe de la haine des hommes.