Cycle 2002-2003 : Introduction

Les interrogations sur la violence

De quelle violence voulons-nous parler ? … La violence, semble-t-il, est partout dans l’univers.

Voulons-nous parler d’une violence cosmique ? car partout des forces physiques sont à l’œuvre qui transforment et, éventuellement, détruisent. Les étoiles explosent ou s’effondrent sur elles-mêmes ; les galaxies s’entre-choquent ; les trous noirs absorbent toute la matière qui passe à leur portée. Notre planète elle-même, depuis qu’elle existe, est bombardée d’astéroïdes. Ses mouvements internes font trembler sa surface, jaillir les volcans. Les agents atmosphériques, nous ne le savons que trop, peuvent y semer destruction et désolation.

Voulons-nous parler de la violence de la vie, des espèces qui se nourrissent les unes des autres, chaque espèce ne prospérant que par la mort d’autres espèces ? Les plus forts attaquent les plus faibles, cependant que des êtres infiniment petits sont aussi capables de semer la mort.

Ou bien voulons-nous parler de la violence des hommes, de ces hommes dont Hobbes a dit  » Homo homini lupus » ( » l’homme est un loup pour l’homme « )? Car parmi toutes les espèces vivantes, l’homme est la seule créature qui soit systématiquement capable de tuer ses congénères ; et, pire encore, de faire souffrir ses semblables. Ce que Luc Ferry, dans un de ses livres, désigne par la violence absolue ou la violence radicale. Ce phénomène aussi dont Paul Ricœur a dit : la seule chose qui me reste incompréhensible, c’est que l’homme fasse souffrir l’homme.

C’est bien sûr ce dernier aspect de la violence, la violence humaine, qui est le sujet de ce cycle.

Mais à délimiter ainsi notre sujet, il importe alors de clarifier les relations qui peuvent exister entre d’une part la violence et d’autre part le mal et aussi la mort.

 » De même que par un seul homme le péché est entré dans le monde…  » (Rom. 5, 12). Dans ce passage célèbre, l’apôtre Paul vise la  » faute  » d’Adam qui aurait radicalement changé la nature du monde. Elle serait non seulement la source des mauvais penchants de l’homme, mais aussi la cause de la mort ( » le salaire du péché c’est la mort  » – Rom. 6, 23 ) et, plus encore, la cause d’une corruption générale de la Création ; dans cette conception élargie du péché, reprise par certains théologiens, l’événement de la  » chute  » expliquerait finalement tous les dérèglements et désordres du monde. Il y a là une conception globalisante du péché originel d’Adam selon laquelle, du fait même de la  » chute « , toutes choses, marquées par le mal et la violence, sont devenues mauvaises et corruptibles, cependant qu’au dernier jour, avec le retour du nouvel Adam, le monde revêtira l’incorruptibilité (I Cor. 15, 53-54) (en étendant l’idée de Paul à l’ensemble de la création).

C’est précisément cette vision globalisante, qui rassemble sous la notion de péché les idées de mal, de violence et de mort, dont nous avons voulu sortir et que nous n’avons pas retenue ici. D’autant, on le sait, que les forces violentes existent dans l’univers depuis que celui-ci s’est formé (l’hypothétique  » big-bang « ) et sans qu’Adam y soit pour quelque chose. On sait aussi que la mort est, si l’on peut dire, une des caractéristiques premières de la vie ; et que ce n’est pas parce qu’Adam a péché que le loup mange l’agneau (ne serait-ce d’ailleurs, comme l’a souligné Teilhard de Chardin, que parce que les loups et les agneaux existaient bien avant les hommes).

Notre sujet est donc bien celui de la violence humaine, à l’exclusion de tout ce qui, hors de cette violence des hommes, se révèle aussi cause de malheur et de souffrance : les cataclysmes physiques, les tremblements de terre, les inondations, les accidents, la maladie, la mort ….

Cette violence humaine, nous essaierons d’abord d’en cerner les fondements, en examinant ce que la Bible peut nous en dire ; puis en nous remémorant les théories de René Girard sur la violence ; en voyant enfin ce que la psychiatrie et la psychologie modernes nous disent sur le sujet.

Nous verrons aussi que cette violence remonte à la nuit des temps et que les traces d’humanité ancienne que la préhistoire nous révèle sont bien souvent des témoins de phénomènes de violence.

Nous étudierons par ailleurs comment les sociétés, pour rendre possible leur vie collective, se sont efforcées de canaliser cette violence par la religion, par les institutions, par le pouvoir, par le droit, et nous constaterons à cette occasion que la violence des hommes n’est elle-même contenue que par un certain recours à une contre-violence : c’est tout le problème de la légitimité de la violence légale qui vise à assurer l’ordre et la paix sociale.

Enfin nous regarderons de près comment une société comme la nôtre fait aujourd’hui face à la violence dans le cas très particulier de ce qu’on appelle de nos jours la  » violence des jeunes « , terme qui demande lui-même, d’ailleurs, à être précisé et nuancé, si l’on ne veut pas tomber dans des généralisations hâtives et injustifiées.

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