La Cène I : repas du Seigneur

Les traditions protestantes ont retenu deux sacrements, le baptême et la Sainte Cène, au nom d’un principe d’autorité du Christ et de l’Écriture : selon le texte biblique, ces deux actes sont institués par le Seigneur lui-même.
Pour la Cène, en particulier, Luc 22, 19 et 1 Corinthiens 11, 24-25 comportent un impératif prononcé par le Christ : « faites cela en mémoire de moi. » De ce fait, l’attitude adéquate, pour l’Église, est l’obéissance. L’Église célèbre la Cène, c’est un des éléments qui la constitue et la définit comme Église du Christ. Autrement dit, la Cène n’est pas en option, ni pour l’Église, ni pour le croyant.

 

Sacrement

 

Dans le langage ecclésial et théologique, le sacrement est un acte liturgique à l’occasion duquel la grâce de Dieu est communiquée à la personne. Trois éléments sont donc à articuler dans la Cène : l’action de Dieu, l’acte liturgique et la foi de la communauté des croyants qui communient. Les débats et désaccords autour de la Cène attestent de la diversité des points de vue sur la manière dont ils s’articulent. Globalement, on peut dire que les enjeux se résument en une question : comment Christ est-il présent dans la Cène ?

On peut décliner cette question en plusieurs aspects : Christ se lie-t-il à un acte humain, le sacrement ? Se lie-t-il à des éléments, le pain et le vin ? Se lie-t-il à la personne de l’officiant ? Se lie-t-il à la foi du croyant ? Se lie-t-il à la communauté rassemblée ?

On comprend d’emblée que les possibilités de désaccord sont nombreuses. La manière d’aborder ce thème est donc déterminante

 

Une démarche d’ouverture

 

Dans cet article, j’ai pris l’option de mettre l’accent sur une démarche d’unité plutôt que de division, sans nier la réalité des divergences. L’éditorial de ce journal indique plusieurs raisons de ce choix. Je m’appuie ici sur le choix de l’Église protestante unie de France de s’inscrire dans la démarche de reconnaissance mutuelle entre réformés et luthériens manifestée par la Concorde de Leuenberg de 1973. Par ce choix, elle privilégie un esprit de dialogue et d’ouverture.

Voici les deux thèses de la Concorde de Leuenberg sur la Cène. Les suivantes, qui ne sont pas reproduites ici, reprennent les désaccords du 16e siècle qui avaient conduit à une excommunication mutuelle entre luthériens et réformés, et indiquent que si ces condamnations restent valables sur ce qu’elles visaient, les Églises ont évolué et ne sont donc plus concernées par ces critiques.

15. Dans la Cène, Jésus-Christ, le ressuscité, s’offre lui-même, en son corps et en son sang donnés pour tous, par la promesse de sa parole, avec le pain et le vin. Il nous accorde ainsi le pardon des péchés et nous libère pour une vie nouvelle dans la foi. Il renouvelle notre assurance d’être membres de son corps. Il nous fortifie pour le service des hommes. 16. En célébrant la Cène, nous proclamons la mort du Christ par laquelle Dieu a réconcilié le monde avec lui-même. Nous confessons la présence du Seigneur ressuscité parmi nous. Dans la joie de la venue du Seigneur auprès de nous, nous attendons son avènement dans la gloire.

L’article 15 décrit l’ouvre du Christ, tandis que l’article 16 porte sur celle de l’Église et des croyants (« nous »). Les deux articles soulignent que la Cène est reliée au cour de la foi chrétienne, à la fois comme lieu où le croyant est transformé, renouvelé et fortifié, et comme occasion de proclamer la foi chrétienne. Elle est donc le lieu d’un échange. D’un côté, dans la Cène, le Christ se donne ; de l’autre, le croyant exprime sa foi.

La Cène est en quelque sorte une confirmation. Elle redit, par la parole et par le geste, par l’écoute et par le pain partagé, l’essentiel de la foi. La Cène manifeste concrètement ce qui est offert en Christ : accueil inconditionnel, renouvellement de la personne et intégration dans une communauté spirituelle. En même temps, à chaque communion, le croyant et l’Église redisent leur enracinement dans le Christ.

La Cène inscrit le croyant dans le temps de la foi. Elle est un mémorial de la mort du Christ, elle relie chacun à cet événement unique et fondateur de la foi chrétienne. Elle est célébrée dans la conviction que le Christ est véritablement présent. Elle est un acte d’espérance, une expérience anticipée du Royaume.

 

Un mémorial joyeux

 

Les récits bibliques enracinent la Cène dans la Pâque juive (voir p.14 l’article sur les récits bibliques d’institution). Le mémorial de la sortie d’Égypte, qui célèbre l’acte libérateur et l’alliance entre Dieu et son peuple, est réinterprété dans la Cène. Désormais, pour celles et ceux qui se réclament du Christ, c’est en lui qu’est scellée l’alliance entre Dieu et les croyants. La Cène manifeste concrètement cette adhésion au Christ. En mangeant le pain, en buvant à la coupe, le croyant est actif. Il ne reste pas spectateur ou passif. De ce point de vue, communier est l’acte de foi par excellence.

Communier est un acte joyeux. Dans la Cène, l’Église remercie et se réjouit, tel est le sens du mot eucharistie, qui donne l’orientation générale de la prière qui ouvre la célébration. On aurait tort de rejeter ce mot au prétexte qu’il serait catholique : fondamentalement, toute célébration de la Cène est eucharistique, dans le sens de rendre grâce et de se réjouir du don du Christ.

La Cène enracine le croyant dans la communauté ecclésiale. Elle inscrit également la communauté concrète, celle qui se réunit tel dimanche à tel endroit – par exemple à Auteuil – dans l’Église universelle, qui confesse son unité en Christ. S’il est une chose dont on ne saurait être fier, c’est que la Cène manifeste la division au sein des Églises, par l’impossibilité de communier ensemble qui prévaut aujourd’hui et depuis longtemps.

 

A quelle fréquence ?

 

Si la Cène est un acte fondamental de la foi, à quelle fréquence est-il juste et bon de la célébrer ? Le baptême est unique. La Cène est renouvelable régulièrement. A tort, on attribue souvent à Calvin le rythme de célébration de la Cène quatre fois l’an, qui a longtemps prévalu dans les Églises de la tradition réformée. En fait, au début du 16ème siècle, la pratique générale était de communier une fois l’an, généralement à Pâques, même si la messe était célébrée quotidiennement.

Dans son ouvrage de référence, Calvin (Institution, IV, XVII, 43-45) s’en prend à cette pratique de la communion annuelle et à son corollaire, le fait d’assister sans communier ou encore de se retirer avant la communion. Pour lui, c’est une incohérence de la foi voire une offense au Seigneur de s’abstenir de communier. Avant cela, arguant du fait que la dignité n’est pas acquise mais reçue dans la foi, il s’en prenait à ceux qui se réfugient derrière leur manque de dignité pour s’abstenir de communier. C’est précisément parce que le croyant se reconnaît indigne devant son Seigneur qu’il est pleinement invité à communier.

Calvin plaide pour une célébration régulière de la Cène. Sans prendre nettement parti pour un rythme précis, il affiche une préférence pour un rythme hebdomadaire au moins – comme c’est le cas dans les Églises luthériennes depuis la Réforme. Dans les faits, un rythme de communion quatre fois l’an sera adopté, contre son avis. L’argument de type pédagogique était qu’un tel rythme constituait déjà un grand progrès pour l’immense majorité des fidèles et qu’une célébration trop fréquente conduirait à une dévalorisation et à une désaffection de la Cène. On communiait donc à Noël, à Pâques, à Pentecôte et en septembre.

Ce n’est que dans le courant du 20e siècle qu’une célébration plus fréquente s’est généralisée. La Constitution de l’Église protestante unie de France reprend le texte de la discipline de l’ERF et donne pour règle une célébration mensuelle au moins, tout en spécifiant que pour les luthériens le rythme hebdomadaire est de règle. L’Église réformée d’Auteuil fait partie de la majorité des Églises locales avec une célébration un dimanche sur deux, en général le premier et le troisième dimanche du mois, ainsi que les jours de fêtes chrétiennes.

 

Qui communie ?

 

Il vaut la peine, en conclusion de cette première partie, d’analyser la formulation de la Constitution de l’Église protestante unie de France sur l’accueil à la Cène (article 32, §3) :

Invitation et accueil
Par leur baptême, tous les chrétiens sont invités au repas du Seigneur. Jésus-Christ se donne lui-même sans restriction à tous ceux qui reçoivent le pain et le vin. Il se peut que l’on n’ait pas encore pris toute la mesure des évolutions que ce texte recèle, en particulier pour les réformés.

Premièrement, ce n’est pas l’Église qui invite, mais le baptême, et donc le Christ, qui se donne lui-même dans la Cène. De ce fait, l’Église est elle-même invitée, au sens de la communauté des baptisés. Conformément à ce qui se dit déjà, l’invitation liturgique à la Cène est donc formulée de manière ouverte et s’adresse à quiconque se sent appelé, membre ou non de l’Église locale, membre ou non de l’Église protestante unie.

En revanche, le texte établit la primauté du baptême, ce que la discipline de l’ERF ne faisait pas explicitement. Cela a pu inciter à comprendre que le baptême n’était pas requis pour participer à la Cène dans l’Église réformée, ce qui est évidemment une incohérence et suscite l’incompréhension de l’ensemble des Églises chrétiennes. Si cette situation peut se produire à l’occasion, elle ne saurait être qu’exceptionnelle, et s’inscrire, pour la personne concernée, dans une démarche la conduisant à demander le baptême, pour pouvoir ensuite participer régulièrement à la communion.

Je reviendrai dans un prochain numéro sur le lien établi entre le Christ et le pain et le vin, autour de la notion de corps du Christ. Ce sera également l’occasion d’aborder la Cène dans une perspective œcuménique.

Si le texte établit un lien clair entre le baptême et la Cène, la pratique lie souvent la première communion à la confirmation. Toutefois, ce lien n’est pas inscrit explicitement dans les textes de notre Église. Ce qui est dit, c’est que la catéchèse vise (notamment) à appeler à prendre part à la Sainte Cène. On peut donc poser à bon droit que le culte de confirmation est aussi, pour les catéchumènes, l’aboutissement d’une démarche de découverte de l’invitation faite à chaque baptisé de communier. On peut aussi envisager que cela se passe à d’autres moments. Le Synode de l’ERF, au début des années 2000, a ouvert la possibilité que des enfants plus jeunes puissent communier, dans le cadre d’une décision de l’Église locale, à la suite d’une catéchèse et avec l’accord des parents. Jusqu’ici, l’Église réformée d’Auteuil n’a pas souhaité s’emparer de cette possibilité. Comme les enfants de l’école biblique vont aborder le thème de la Cène ce printemps, il pourra être opportun de se poser à nouveau la question.

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